Ce livre est la suite du roman «
Et le buisson devint cendre ». On y retrouve celui qui devient peu à peu le personnage principal de la trilogie, Faber Doïno, et pour cause, beaucoup de ses camarades sont morts assassinés. Exilé à Vienne, il doit fuir encore en mars 1938, quelques temps avant l'entrée des troupes nazies. C'est l'Anschluss, l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne hitlérienne. Une nouvelle fois, les militants socialistes et communistes qui s'étaient exilés doivent fuir. Mais le pire pour ces derniers, ce sont sans aucun doute les procès montés de toute pièce par leurs anciens camarades. La technique est bien rodée : les « aveux » arrachés à ceux qui cèdent aux pressions et au désespoir servent à « accuser » d'autres, de tous les méfaits contre-révolutionnaires qui soient. La machine à broyer stalinienne est en marche, et pendant ce temps-là, à Moscou, les procès et les exécutions des anciens bolchéviques se poursuivent. Cela fera dire à Doïno que le régime stalinien, en 1940, a tué plus de communistes que le régime hitlérien. Son désespoir face à la victoire des staliniens et à ce que devient la Russie soviétique l'entraîne aux portes du suicide. C'est en se retournant sur un amour passé et sur une amitié de jeunesse que Doïno parvient à retrouver la force de vivre.
Désespérés, certains se suicident ; d'autres, mais c'est la même chose, partent combattre le fascisme en Espagne, pour au moins mourir les armes à la main. Et pour les autres, l'exil en France, en Norvège ou ailleurs, n'est qu'une longue fuite, qui les entraînent dans un désespoir «
plus profond que l'abîme ». Doïno s'engage dans l'armée française, pour combattre les soldats nazis, mais là encore, c'est un échec, la déroute et l'occupation allemande. L'armistice signé par le gouvernement Pétain avec l'Etat-major allemand le 22 juin 1940, prévoit, dans son article 19, que les autorités françaises doivent livrer les réfugiés politiques allemands et autrichiens sur son sol. La Gestapo va se charger de ces chasses-à-l'homme. Fuyant vers le sud, il se retrouve à Marseille, mais ne trouve aucun moyen de quitter la France : les autorités US lui refusent un visa, même pour se rendre en Angleterre. Alors qu'il ne trouve plus d'autre solution que le suicide, un orphelin va le faire renoncer...
Roman très sombre, puisque les survivants, qui fondaient leur engagement sur les plus hautes espérances émancipatrices pour le genre humain, ne font qu'aller de défaites en échecs. Ils récoltent des fruits amers, la peur, la solitude et le désespoir avec la victoire de la barbarie nazie, comme dans un horrible cauchemar. Sauf qu'ici, chaque matin quand on se lève, le cauchemar est là, bien réel. Ce livre pourrait donc être désespérant, mais la talent de
Manès Sperber est justement qu'il ne tombe pas dans cette ornière, et il en fait un livre humainement très riche, tout en finesse, plein de discernement, un condensé de lucidité qui va bien au-delà du simple « tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir ».