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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
La psychose découpée finement au scalpel…

Quel point commun partagent René Magritte, Luc Kaisin, Aline Dieudonné, Jacques Brel, Philippe Gelück, Arno, François Damiens, Cécile de France, Marguerite Yourcenar, Henri Michaux, Amélie Nothomb, Delvoye Wim (ah ce dernier je l'aime beaucoup) et l'auteur de cet incroyable livre, Lize Spit ?
Oui, iIs sont belges. Ma petite liste est le simple reflet des premiers noms qui me viennent en tête, elle est ainsi vraiment loin d'être exhaustive, mais elle me fait prendre conscience à quel point je ne cesse de m'émerveiller de la scène artistique belge que je trouve particulièrement foisonnante, audacieuse, fraiche, créative. Décalée aussi, souvent ne se prenant pas au sérieux. Réussissant à mêler le burlesque au tragique à coup d'images étonnantes. Oui, les artistes belges ont un petit quelque chose en plus. Une pétulance je dirais.

C'est vraiment le cas avec ce roman totalement addictif, « Je ne suis pas là », plus abouti que le roman qui avait fait connaitre Lize Spit, le fameux « Débâcle » paru en 2018 aux éditions Actes Sud dont la couverture déjà donnait le ton de son contenu particulièrement oppressant et glauque puisqu'il donnait à voir une petite fille fumant nonchalamment une cigarette. Si j'avais été marquée par ce récit devenu désormais inoubliable, j'ai lu son dernier roman littéralement en apnée, épatée par l'écriture de la jeune femme et sa façon très cinématographique d'y orchestrer le suspense.

Léonie, surnommée Léo, vit avec son petit ami Simon depuis dix ans. Leur couple est totalement fusionnel, tous deux fortement liés par une blessure commune en lien avec le décès prématuré de leur mère respective et une enfance troublée. le couple vit parfaitement heureux, comme peuvent l'être deux trentenaires qui réussissent à inventer leur propre monde régi par des règles et des rituels uniques, base d'une relation à nul autre pareil. Un amour tissé à coup de bouloches dans le nombril, de lavages de dos mutuels, de cave à fromage derrière les oreilles, de fous rires, d'intimité totalement dévoilée. Ils deviennent tout l'un pour l'autre, amants, amis, parents.

« Il était bien plus que mon havre dans la tempête, il était ces milliers de ridules formées dans le sable par la marée ou les courants et qui permettaient de marcher sur la plage pendant des kilomètres sans se mouiller les pieds une seule fois ».

Jusqu'à ce que tout change : Simon rentre chez eux au milieu de la nuit et Leo ne le reconnaît plus, ni dans ses gestes, ni dans ses mots, totalement décousus et mégalomanes. Lentement, l'existence méticuleusement construite de Leo s'effondre, jusqu'à mettre sa vie en danger...Lize Spit décortique au scalpel la folie qui s'invite dans ce couple, elle pèle couche après couche l'oignon écoeurant de la psychose qui gangrène le cerveau de Simon, qui ensevelit le couple, qui détruit à petit feu Léo. La jeune femme, face à la paranoïa délirante de son compagnon, voire parfois sa violence la plus abjecte, répond avec beaucoup de dévotion, qui force l'admiration, et parfois un peu de trahison pour tenter de tenir le coup. En se remettant en cause constamment. C'est à la fois terriblement touchant et très haletant, impossible de lâcher le livre tant nous avons peur, craignant le pire au côté de Léo duquel côté nous nous plaçons tout au long du livre.

« Ce n'était pas seulement la maladie qui le rendait malade, mais aussi mon regard sur lui. Si je l'avais perdu, je m'étais perdue tout autant ».

La structure du roman, l'écriture cinématographique et les images décalées, très modernes, participent à ce côté particulièrement haletant. Là où un autre auteur aurait narré cette histoire de folie de façon classique avec beaucoup de pathos, Spit ose. Elle ose l'humour, ose l'horreur, ose les propos crus sans jamais franchir la frontière de la vulgarité, ose la prise de recul via des plans de caméra, des travelings, des zooms, et des arrêts sur image. Sans jugement, jamais. Elle réussit avec beaucoup de talent et de subtilité à faire éclore des images incongrues dans le suspense intenable qui surprennent, étonnent, font sourire tout en disséquant avec application son objet d'étude. C'est fascinant et vertigineux. Je suis sincèrement impressionnée.

Prenons la structure du livre tout d'abord. Nous alternons, de chapitre en chapitre, entre le présent et la passé. le présent, c'est onze minutes à pédaler pour éviter le pire après que la meilleure amie de Léo, Lotte, lui a envoyé un appel téléphonique terrifiant. Et durant ces onze minutes interminables, le passé ressurgit, un passé à la fois proche à savoir les dix derniers mois de cette vie commune durant lesquels la folie, dont l'engrenage implacable est décortiqué, est devenue un personnage à part entière dans ce couple, mais aussi un passé plus lointain, avant ces dix mois, où nous découvrons leurs moments fondateurs de complicité et d'amour pur. Nous comprenons ainsi, sur le vélo de Léo, avec laquelle nous pédalons à perdre haleine comment ces passés plus ou moins lointains projettent leur lumière sur l'effroi actuel de Léo, son comportement tiraillé entre dévotion, amour et horreur.

Prenons l'écriture cinématographique ensuite. Il faut préciser que Léo a fait des études en scénarisation, elle sait écrire, elle écrit d'ailleurs très bien mais a quelque peu délaissé cette voie. Elle travaille comme vendeuse dans une boutique de vêtements de maternité haut de gamme où elle a rencontré son amie Lotte. de ses études de cinéma lui sont restés quelques réflexes dans sa façon de voir et de relater les choses. Ainsi, dans ses pensées, fait-elle allusion par moment à certaines techniques de mise en valeur de la scène qui se joue ou des personnages que nous voyons littéralement avec elle. Cela donne une dimension supplémentaire au récit, à la fois une mise à distance mais en même temps une véritable immersion en décalant notre point de vue, en vivant les scènes autrement.

Enfin, parlons des images, des métaphores, du ton employé par Lize Spit. Il y a mille et une images surprenantes qui pétillent, explosent parfois en un blop étourdissant offrant de belles respirations dans cette plongée en apnée dans la folie. C'est rafraichissant, touchant, poétique et ce sont des images bien marquantes car surprenantes, novatrices, inattendues.

« Plus tard, pour éviter qu'il ne prenne une double dose, j'ai acheté un pilulier à la pharmacie, une sorte de longue boite à sept tiroirs divisés en quatre compartiments, que je remplissais en début de semaine avec les cachets adéquats. Lorsqu'elle était posée debout sur le plan de travail, elle ressemblait à un minuscule immeuble de sept étages avec, derrière les fenêtres, des petites bouilles blafardes ».

Un roman vertigineux dans lequel Lize Spit nous offre une écriture audacieuse et pétillante, plus aboutie que le déjà incroyable Débâcle, sur un thème tout aussi sombre, celui de la folie. Elle en décortique finement l'engrenage nous entrainant dans un suspense intenable jusqu'à la toute fin. Un gros coup de coeur !


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To spit en anglais : cracher
Lize Spit nous crache à la figure, tout comme les crachats pouvaient atteindre le petit Simon, huit ans, victime de harcèlement scolaire à cause de ses oreilles décollées.
Spit, cela sonne comme le sifflement du serpent qui vient susurrer à nos oreilles avant de nous infliger son venin.
Le venin dont il s'agit ici est insidieux, celui de la maladie mentale, qui petit à petit, fait son nid, jusqu'à un beau jour où nous découvrons effarés, sous le masque, un autre visage que celui de l'être que nous avons aimé des années durant.
Léo, pour Léonie, a suivi des études de scénariste, mais son absence de contacts ne lui a pas permis de faire carrière dans le cinéma. Alors, en attendant des jours meilleurs, elle joue à la vendeuse dans une boutique de vêtements pour femmes enceintes. La présence de Lotte sa collègue, devenue sa meilleure amie lui facilite la tâche.
Léonie pas encore trentenaire se satisfait de sa vie de couple auprès de Simon, jeune graphiste bourré de talent, une immense complicité est née entre eux au fil des ans, après avoir mutuellement pansé leurs plaies, leurs deux mamans étant toutes deux décédées prématurément.
L'avenir semblait radieux pour Léo et Simon, il devait pouvoir se conjuguer au futur pour toujours. Tout semblait possible jusqu'à un certain point de basculement…
Un soir, Simon rentre trop tard, après avoir bu et en arborant un tatouage à l'arrière de ses oreilles anciennement décollées dans un curieux état d'euphorie et de mégalomanie que Léo ne lui a jamais connu auparavant.
Petit à petit, Simon bascule dans la paranoïa, entrainant inexorablement Léo dans sa chute dévastatrice.
Lize Spit décortique brillamment la maladie mentale, la manière dont elle atteint le couple, dont l'autre regarde le mirage de l'ancienne version de son âme soeur se ratatiner peu à peu au sol, comme une veille mue. Sans juger, elle expose les difficultés pour l'entourage de comprendre réellement ce qui se passe malgré sa bonne volonté ou bienveillance. Les liens se distendent entre Léo et Lotte, le fossé se creuse petit à petit, les incompréhensions se font jour…
J'ai eu peur de m'ennuyer au long de ces 510 pages, craignant les redondances, de me cogner dans la boite crânienne de Léo. Mais non, le rythme est haletant, soutenu, nous réalisons aux côtés de Léo une course contre la montre à vélo, dont l'objet ne nous est révélé que petit à petit dans un compte à rebours oppressant qui ne vient se terminer qu'à la toute fin du livre.
L'analyse psychologique des personnages est fine, la structure du livre époustouflante de maitrise, avec un grand art dans la mise en scène, provoquant des flashs visuels que ne suis près d'oublier. L'humour, le cynisme permettent au lecteur un sourire, de reprendre son souffle entre deux passages lus en apnée.
Je n'avais pas lu Débâcle, la couverture m'ayant rebutée, me voilà prête maintenant à sauter le pas afin de poursuivre ma découverte de cette auteure talentueuse.
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Léo (pour Léonie) et Simon, la trentaine, sont en couple depuis dix ans. Un couple fusionnel, d'une solidité sans failles, qui a pris racine, paradoxalement, dans leurs enfances/adolescences lézardées par le décès prématuré de leurs mères respectives. « Nous étions deux piliers de guingois qui, dès lors qu'on les appuierait l'un contre l'autre, auraient plus de stabilité qu'un seul pilier à la verticale. Tout irait bien tant que nous resterions ensemble ». Chacun est l'univers de l'autre, et le monde extérieur n'a pas grand-chose à y faire.
« Tout irait bien tant que nous resterions ensemble »...
Et donc, quand Simon, ou son cerveau, se fait la malle, rien ne va plus. La descente aux enfers commence une nuit de mai 2018, quand Simon rentre d'une soirée dans un état d'excitation excessive, arborant un tatouage bizarre derrière l'oreille. Au fil des jours et des semaines, il sombre dans une psychose et une paranoïa délirantes qui vont peu à peu détruire le cocon qu'avec Léo ils avaient tissé si patiemment. La maladie met en danger non seulement Simon, de plus en plus isolé et inatteignable dans sa bulle pathologique, mais aussi Léo, qui, au bout de la patience et de la compréhension, s'efforce de cacher l'état de Simon à leur entourage, mais qui s'épuise et s'oublie dans cette spirale infernale.
Au fil de ces 500 pages, on s'enfonce de plus en plus loin dans le calvaire de Simon et Léo, de plus en plus profondément dans les strates de la folie et de la psychose. Lize Spit décrit avec une finesse psychologique remarquable la paranoïa de plus en plus prégnante de Simon, ses délires, sa violence, son autodestruction, et l'attitude de Léo, protectrice et compatissante mais intérieurement rongée par le désespoir et la solitude. Au bord de la rupture mentale, elle finit par comprendre qu'elle doit trouver un exutoire, mais ce à quoi elle se raccroche implique de trahir Simon, d'une certaine façon, et donc un énorme dilemme moral et un sentiment de culpabilité.
Comme dans l'impressionnant « Débâcle », Lize Spit entremêle plusieurs fils narratifs : celui d'un compte à rebours de onze minutes, au cours duquel on suit Léo qui traverse Bruxelles à vélo à toute vitesse pour empêcher une catastrophe. Et celui qui s'étale sur dix mois à partir de mai 2018, lorsque Simon commence à ne plus « être là », jusqu'à la potentielle catastrophe en question. S'y ajoutent quelques flash-back sur leur enfance et leur rencontre.
Comme dans « Débâcle », l'écriture de Lize Spit est très visuelle et cinématographique, méticuleuse et sensorielle, parsemée de métaphores d'autant plus marquantes qu'elles sont décalées ou inattendues. Il y a de l'humour (parfois noir), de l'empathie, un sens aigu de l'observation. C'est parfois cru et totalement impudique, mais jamais vulgaire ou voyeur. Cela pose la question de la folie qui transforme le malade, mais aussi tous ceux qui l'entourent et qui tentent de s'adapter à lui. L'amour peut-il résister quand l'un est « absent » ? Notre identité se réduit-elle à notre cerveau ? Est-on encore soi-même quand on sombre dans la folie ? Est-ce réversible ? Peut-on encore être aimé de la même façon par les mêmes personnes ?
Autant de questions (liste non exhaustive) posées par ce roman qui vous tient jusqu'à sa dernière ligne. C'est poignant, oppressant, totalement maîtrisé, impressionnant.

#LisezVousLeBelge
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le décor est planté dès les toutes premières pages, et Lize Spit le compare au scénario d'un film : “ Donnez aux spectateurs quelques informations d'avance sur le personnage auquel vous souhaitez qu'ils s'identifient et ils seront tout ouïe, fébriles, dévorés par l'envie de crier des avertissements à son intention.”

le personnage ici est une jeune femme, Léo, elle habite à Bruxelles, vit une relation fusionnelle avec son compagnon Simon. Elle est au travail, son téléphone est loin d'elle, il n'arrête pas de sonner, elle ne l'entend pas, et lorsqu'à la fin elle le prend en mains, nous comprenons qu'elle n'a que onze minutes pour agir, qu'une catastrophe se produit peut-être, mais nous ignorons laquelle…
Léo prend son vélo et fonce à travers Bruxelles. Il faudra plus de cinq cent pages au lecteur pour parcourir ce trajet avec elle.

Léo vit avec Simon une histoire d'amour intense, en vase clos, lorsqu'une nuit tout bascule, Simon n'est plus le même, et de jour en jour, son comportement vire au cauchemar…

Léo nous raconte cela au fil des chapitres, certains égrènent le temps qui lui reste avant d'arriver à destination (« encore neuf minutes et trente secondes, boutique centre-ville », « encore neuf minutes, boutique centre-ville », …), ceux-ci sont entrecoupés de chapitres décrivant les événements antérieurs.
Cette construction fait la grande force du roman, nous suivons avec angoisse la course de Léo, il y a un vrai suspense et beaucoup de souffle. C'est oppressant !

Lise Spit a le souci du détail, elle nous décrit le magasin où Léo travaille avec minutie, y apportant même une touche d'humour, on peut suivre le trajet de Léo sur une carte, Bruxelles n'est pas épargnée quand elle décrit la saleté des rues du centre,
« on pouvait rejoindre n'importe quel quartier de Bruxelles en suivant un chemin de chewing-gums crachés par terre. »,
l'insécurité et les insultes faites aux femmes, et on sent qu'elle s'est bien documentée sur les hôpitaux
« La chambre correspondait exactement à ce que j'en attendais, c'était une variation des différents asiles psychiatriques que j'avais vus dans les films : surfaces lisses, pas de télévision, presque pas de jour, murs pastels », sur les différents traitements et médicaments, sur les rechutes.

J'ai ressenti de l'empathie pour Léo, elle se sent impuissante mais tente à travers tout de garder espoir. le souvenir de la belle histoire qu'elle a vécue avec Simon L aide à rester à ses côtés. Tout deux ont connu des traumatismes dans le passé et ensemble, les ont surmontés.

Lize Spit a souvent des comparaisons étonnantes :
« Son nez faisait tellement saillie qu'elle aurait pu fumer sous la douche sans aucun problème. »
« Il se déplaçait à travers l'appartement comme un état de coquille dans le blanc d'oeuf : dès que j'essayais de poser mon doigt dessus, il trouvait une façon de me glisser entre les doigts. »
J'ai peu apprécié certaines comparaisons peu ragoûtantes et assez crues.

Y aurait-il une spécificité propres à certaines autrices belges qu'elles soient de langue néerlandaise comme Lize Spit (lisez aussi son roman antérieur, Débacle) ou de langue française comme Aline Dieudonné (La vraie vie) ou Isabelle Wéry (Ponney flottant) ?
Toutes les trois nous livrent des oeuvres originales fortes qui ont le don de me secouer !
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Dix mois difficiles, éprouvants, violents, bouleversants, racontés par Léo, la narratrice, sur deux plans temporels : onze minutes qui s'égrènent et semblent s'étirer indéfiniment, venant sporadiquement entretenir le suspense généré par l'inéluctable, et le récit des événements qui se déroulent du 5 mai 2018 au 22 février 2019. Très habilement, l'autrice, Lize Spit, nous décrit d'ailleurs brièvement les mécanismes du suspense de manière théorique en résumant un cours de scénario qu'elle a suivi. Ce vendredi 22 février 2019, dans la première de ces onze minutes, on ne sait encore rien de Léo sinon qu'elle se sent moins seule depuis qu'elle travaille dans une chaîne de vêtements pour femmes enceintes. C'est son premier jour chez ce nouvel employeur. Son téléphone sonne, mais il est loin d'elle et elle ne l'entend pas. Rétrospectivement, elle se regarde agir ce matin-là comme si elle tenait une caméra et détaille les plans au bénéfice du lecteur. Après ces deux pages et demie déjà très prenantes, Léo va nous raconter ce qu'il s'est passé… Simon, son compagnon depuis 10 ans, rentre au petit matin sans l'avoir prévenue comme ils en ont convenu, et ce n'était encore jamais arrivé depuis qu'ils vivent ensemble. Il lui montre un tatouage tout frais : derrière son oreille, une ligne pointillée, « sorte de guide pour les petits ciseaux tatoués à côté »… Complexé, Simon a subi une chirurgie esthétique parce qu'il avait les oreilles très décollées, ce qui lui avait valu un sévère harcèlement à l'école et même plus tard. Il est surexcité, fébrile, énervé, suspicieux, bref, il n'est plus lui-même.
***
Dans Je ne suis pas là, Léo éprouve fréquemment le besoin de remonter dans le passé, quand tous les deux avaient une vie « normale » avec ses joies, ses peines, ses coups durs et ses bons moments, leurs divergences et leurs nombreux points communs (mort des mères et absence des pères, par exemple). Plus le temps passe, plus les bizarreries de Simon s'intensifient, plus elles inquiètent Léo et déteignent sur les relations de la jeune femme avec ses amis. Simon est un graphiste talentueux qui travaille pour Koen, le compagnon de Lotte, la meilleure amie de Léo. Leur harmonieuse amitié se délite à cause du comportement de Simon, qui vire à la paranoïa : il soupçonne Koen et ses anciens collègues de lui vouloir du mal. Il faudra qu'il perde complètement pied pour accepter enfin de consulter, et admettre que quelque chose ne va pas chez lui… Mais le diagnostic posé, la situation est loin de s'améliorer... La délicatesse de Léo, son amour pour Simon, son dévouement, son empathie finissent par lui pourrir la vie : elle n'agit plus pour elle, mais en fonction de ce qu'il va penser, de ses possibles réactions, tout entière tournée vers ce nouveau Simon qu'elle ne connaît ni ne comprend et qui est venu phagocyter l'homme qu'elle aimait. La maladie prend toute la place chez lui, c'est logique, mais elle aussi se laisse consumer. Elle réussit à ne pas sombrer grâce à un coup de chance qui lui permet de réaliser un de ses rêves les plus chers, mais là encore, rien ne sera simple. Au cours de ma lecture, je me suis dit deux fois que le récit allait devenir long, qu'on finirait par tourner en rond… mais je me suis passionnée pour ce récit difficile et dérangeant, cette plongée dans la maladie mentale qui réussit à être à la fois un documentaire sans concession et un récit lucide absolument passionnant, sans temps morts ni redites, avec une solide dose d'autodérision, jusqu'à la dernière ligne. Chapeau bas !
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Je ne suis pas là ou anatomie d'une psychose. Dans tout les cas c'est du grand Lize Spit, autrice belge que j'avais découvert avec le fameux Débâcle.
Léo (Léonie) et Simon sont amoureux fou depuis près de dix ans. Jeunes trentenaires la vie leur sourit dirait-on. Pour Léo, études en cinéma/scénarisation elle écrit merveilleusement bien mais a quelque peu délaissé cette voie et travaille comme vendeuse dans une boutique de vêtements de maternité haut de gamme. Simon est un artiste de talent, dessine trop bien, possède une imagination sans limite et travaille comme graphiste. Ils ont un chat, des bouloches dans le nombril, se lavent mutuellement le dos, se surnomment Loulou et Chouchou, bref un amour fusionnel, en symbiose. Ils sont heureux jusqu'à ce que...
Jusqu'à ce que Simon bascule de l'autre côté, de ce côté plus sombre du cerveau, celui qui développe paranoïa, méfiance, mégalomanie, excès.
Le récit c'est onze minutes dans les dix derniers mois de leur vie commune. Onze minutes à pédaler pour éviter le pire.
De ces derniers moments, surgiront les souvenirs, les morceaux de vie commune, le passé de chacun, les détails de certains troubles observés, puis l'incompréhension.
Lize Spit dissèque tranches de vie sur tranches de vie. Rien n'est laissé dans le flou. Tout est là, observé, consigné, documenté, expliqué. Aucun détail de la vie de ce couple ne lui échappe. Elle raconte tout dans une langue parfaite, parfois crue mais toujours juste. Un brin d'humour parfois de l'ironie pour alléger le propos mais jamais de jugement dans son regard.
Honnêtement, en commençant cette lecture, je me suis sérieusement demandée où Lize Spit voulait en venir. Je me suis accrochée. J'ai bien fait car c'est vertigineux. Cette mise en abîme face à la maladie est brusque et destructrice. Plusieurs fois j'ai cru tomber mais j'ai senti qu'on me tenait la main. Heureusement car ce n'est pas évident de sentir monter ainsi l'inquiétude doublée d'égarement au fil des pages. En tant que lectrice j'ai ressenti tout ça et jusqu'à tard dans la nuit, je n'ai pu lâcher ce livre.
Une intrique hautement crédible, un récit authentique, des personnages complexes et attachants, un titre que je recommande chaudement.

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Les histoires d'amour finissent mal, en général.
Dix ans depuis leur première rencontre ; dix ans de vie commune, d'amour, de complicité, de rires et de tendresse. L'achat d'un appartement, le projet d'agrandir la famille…
Jusqu'à ce que la maladie psychique fasse irruption dans leur couple.
Comme dans le puissant "Débâcle", son premier roman, Lize Spit nous balade entre plusieurs arcs narratifs.
Dans l'un, le présent, Léo pédale aussi vite qu'elle peut à travers Bruxelles, à la recherche de Simon dont elle ne sait plus de quoi il est capable.
Dans un autre arc, elle se remémore sa propre enfance, ses chagrins, puis sa rencontre et ses débuts avec Simon.
Le dernier arc retrace l'année qui vient de s'écouler, où l'on voit naître et grandir la folie.
Lize Spit mène les trois temporalités de front, avec une extraordinaire virtuosité (et dans une traduction impeccable par Emmanuelle Tardif).
Je me souviens avoir écrit une ou deux fois, dans ma chronique de "Débâcle", quelque chose comme : "Ça va, vous suivez ?"
Oui, on la suit, sans difficulté… à part celle de maîtriser l'angoisse qui monte, implacablement.
Pendant ces quelques jours de lecture, à chaque retour chez moi j'avais à la fois terriblement envie de reprendre le livre, mais également envie de ne pas poursuivre, tant c'était douloureux.
Parce qu'on souffre avec Léo, on souffre avec Simon, on souffre de tant de noirceur, on souffre au souvenir du lumineux bonheur perdu.

TW : maltraitance animale.

LC thématique octobre 2023 : "Un·e auteur·e déjà lu·e"
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Addictif - c' est le mot qui me vient à l'esprit après avoir terminé la lecture de ce thriller psychologique.
Dans une boutique de vêtements pour des femmes enceintes, la narratrice reçoit un appel alarmant. On ne sait pas encore à ce moment-là de quoi s'agit-il. Nous savons seulement qu'il ne reste qu' onze minutes pour intervenir. On saura les détails progressivement.
Et puis viennent les souvenirs : la vie de couple de la narratrice, les troubles observés chez son petit ami, le passé de chacun, la maladie psychique et les conséquences dans la vie de tous les jours...
Ente passé et présent où les minutes défilent à une vitesse incroyable, le lecteur sent l'angoisse monter à chaque page. Lize Spit maîtrise l'intrigue et même si tout est décrit en détail, le récit ne souffre pas de longueurs.
L'ironie est bien présente et la psychologie des personnages très bien travaillée.
Impossible de lâcher le livre.
Une lecture marquante !
Merci Lirtuel pour la découverte.

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Après le très (trop ?) dérangeant Débâcle, la romancière flamande fait son retour avec Je ne suis pas là, tout aussi inconfortable mais encore plus maîtrisé et nettement moins complaisant dans le scabreux, ce que l'on pouvait reprocher à certains passages de son premier livre. Il s'agit ici de l'histoire d'un couple, où la narratrice est confrontée à la maladie mentale de son amoureux, une bipolarité aigüe qui se manifeste par un cerveau en surchauffe et des bouffées paranoïaques épuisantes. Cela fait penser à l'excellent et poignant film de Joachim Lafosse (tiens, encore un Belge), Les Intranquilles, mais dans une version bien plus frénétique et minutieuse. le livre se situe à la marge du thriller, avec un compte à rebours qui revient à intervalles régulier, jusqu'au dénouement fatal (ou pas). En attendant que sonne le glas, le roman remonte le temps et la manière dont la maladie a grignoté la tête de l'un et rendu la vie infernale à l'autre. Comme c'est cette dernière qui raconte, elle n'omet aucun détail, atteinte elle aussi par une sorte de dérèglement de sa raison, s'interrogeant sans cesse sur le bien fondé de ses propres actes, visant à protéger celui qui partage sa vie, quitte parfois à se mettre elle même en danger. La violence psychologique ne quitte guère les pages de Je ne suis pas là mais Lize Spit nous rappelle sans cesse qu'il s'agit aussi d'une histoire d'amour, éperdue et tragique. Il est également fréquent, mais moins dans les dernières pages, que la romancière use d'un humour noir dévastateur et irrévérencieux, qui desserre pour quelques instants l'étreinte, montrant au passage qu'elle n'a peur de rien et surtout pas de choquer. On peut voir aussi dans Je ne suis pas là un roman formidable de la ville de Bruxelles, avec une topographie précise qui ravira tous les habitants et les amoureux de la capitale belge. Ce livre est comme un long fleuve intranquille, à la séduction abrasive et décapante, qui exprime un talent sidérant d'écrivaine dont on se languit déjà de lire les prochaines folies.
Lien : https://cinephile-m-etait-co..
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Pour son histoire d'amour tragique, en forme de thriller psychologique, Liz Spit utilise trois fils narratifs comme dans Débâcle, son précédent roman qui mettait également en scène une forme d'emprise et de maladie mentale.

Le premier fil est un compte à rebours terriblement angoissant de onze minutes qui démarre dans une boutique du centre-ville et se poursuit à vélo dans les rues de Bruxelles.
Ensuite du 5 mai 2018 au 22 février 2019, Liz Spit déroule l'irruption de la maladie mentale dans la vie harmonieuse et heureuse d'un couple de trentenaires. Enfin, le dernier fil, plus gracile, plonge dans le passé de Léo et de Simon pour révéler des blessures d'enfance et de deuil.

La scène d'ouverture amorce toutes les techniques d'écriture utilisées par l'autrice pour dérouler sur plus de 500 pages une histoire sur la bipolarité dans un huis-clos dénué d'effets spéciaux.
La description au plus près des symptômes de la maladie n'a en soi rien de palpitant et le délitement d'un couple dans la maladie mentale peut rapidement tourner au voyeurisme et lasser les lecteurs.

Mais Liz Spit construit une machine infernale avec un sens de la narration et du découpage renforcé par des études en écriture de scénario.
Tout en prétendant donner une leçon de cinéma, elle donne le ton de sa pratique d'écrivain.
Dans les différents chapitres, l'emploi du je de la narratrice et du présent de la narration cohabite avec une mise à distance de la narratrice qui se regarde évoluer. Cette distanciation lui permet de rompre le pacte tacite de pathos lié à la maladie et de s'autoriser des pas de côté emplis de dérision macabre.
Ou comme ici lorsqu'elle se décrit avec malice comme "une jeune femme au travail" qui ne soupçonne pas ce qui est en train de se dérouler alors qu'un réalisateur omniscient choisit la métaphore cinématographique.
" La séquence se termine par un plan zénithal de cartons attendant d'être vidés de leur contenu : des piles de manteaux pliés tous pareils, manches croisées sur le devant, comme s'ils savaient, eux, ce qui va se passer- ils font déjà leur prière."

La connexion amoureuse entre Léonie et Simon est de l'ordre de l'intime, du charnel et du physiologique. Dans une écriture parfois crue et résolument moderne, la complicité du couple s'exhibe dans les manifestations les plus intimes et les plus organiques de leurs corps. Bien loin de la glamourisation de la relation amoureuse et pourtant celle-ci est totalement authentique et désirable.
" Je connaissais Simon dans ses moindres recoins, jusqu'au moindre détail. Quand il ronchonnait, je savais qu'il devait manger quelque chose ; à sa façon de monter l'escalier, j'evaluais l'intensité de sa journée de travail ; la nuit, s'il se détournait de moi, sur le flanc, c'est qu'il voulait un bras passé autour de sa taille. Je pouvais entendre à sa respiration qu'il était en train de penser à sa mère, le goût de sa sueur m'indiquait s'il allait tomber malade, l'odeur de son urine me disait s'il avait mangé trop d'oeufs ou de viande, je connaissais le nombre exact de ses grains de beauté (....), je savais ce que signifiait chaque bruit qu'il faisait en dessinant. "

Liz Spit documente parfaitement les étapes de la maladie de Simon avant qu'il ne sombre totalement dans un délire paranoïaque.
L' exaltation et l'hyperactivite se manifestent par un manque de sommeil qui se répercute dans le couple, d'autant plus lorsqu'il est à ce point fusionnel. Difficile alors pour Léo de mesurer la gravité des symptômes alors qu'elle souffre elle-même d'un déficit de sommeil qui la rend inapte à la réflexion.
Les sentiments d'euphorie et de créativité, en adéquation avec sa profession de graphiste, sont d'abord perçus comme des signaux positifs pour entreprendre une nouvelle carrière. Car ce que Léo devine, elle ne peut l'admettre. On tremble pour elle, alors qu'elle culpabilise de ne pas être à la hauteur, qu'elle refuse l'ineluctable de la folie.

Aucun temps mort ni complaisance larmoyante dans ce roman totalement original, capable de puiser dans l'émotion et l'empathie tout en se maintenant à distance.
Cette distance, mise en pratique dans le roman par l'héroïne, relève également de l'écriture puisque Léo rédige ses chroniques dans un blog puis dans un magazine avec l'espoir de " maîtriser une réalité colossale, violente et souvent triste. Elle déclare que" ça me permettait de la surpasser, et donc, de la dompter. "

Car Léo fait partie de ces amoureuses exemplaires et inoubliables. Elle affronte pas à pas les drames de la psychose et dépasse même la violence la plus abjecte en se tenant toujours aux côtés de son compagnon.
"Rien qu'à l'idée de pouvoir enfin lui en parler, mon coeur battait à tout rompre. M'entendre enfin lui dire ce qu'il avait fait, ce qu'il m'avait infligé, pourquoi rien n'était plus pareil entre nous. Rouvrir l'étrange cicatrice invisible, en rincer toute la crasse, essayer tant bien que mal de refermer l'ensemble, dans l'espoir que la guérison commence. "

Sous le signe de la résilience, Liz Spit conclut magistralement son roman avec un clin d'oeil à cette image du" mini-manteau de Leontine, grand comme un vêtement de poupée, les bras écartés " et un énorme sourire" face caméra ".
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