« Ásta - Où se réfugier quand aucun chemin ne mène hors du monde »
Ce n'est pas le premier roman de
Jón Kalman Stefánsson que je lis. Non, mais c'est celui dont je sais que je ne vais pas sortir de suite.
Pas sortir indemne de toute façon.
Bon, pour l'instant je suis totalement vidé.
Vidé de tout sentiment, vidé de toute substance.
C'est parfois ainsi lorsqu'on termine un roman. C'est quasiment toujours ainsi lorsqu'on referme un roman de cet auteur.
Je ne vais certainement pas tenter de vous raconter l'histoire, il vous appartient de la découvrir.
Par contre je peux sans le déflorer vous dire que le livre commence lorsque Sigvaldi, peintre de son état, tombe d'une échelle. Depuis le trottoir sur lequel il vient de tomber, cette certitude au moment de faire le bilan : il n'aura donc pas assez aimé.
Pourtant Sigvaldi et Helga se sont aimés et Ásta est née de cet amour.
À une lettre près, le prénom d'Ásta signifie d'ailleurs « amour » en islandais (ást) ainsi prénommée d'après un personnage de
Halldór Laxness, l'écrivain islandais prix Nobel.
C'est dire si ses parents ont voulu placer leur fille sous les meilleurs augures.
Et puis, je n'en dirai pas plus sur le déroulement de cette histoire.
D'ailleurs ce serait difficile tant
Jón Kalman Stefánsson s'évertue à brouiller la chronologie, les décennies et dépeint les personnages avec tellement de passion que c'est tout ce qui importe.
« Il est impossible de raconter une histoire sans s'égarer, sans emprunter des chemins incertains, sans avancer et reculer, non seulement une fois, mais au moins trois — car nous vivons en même temps à toutes les époques »
La seule façon de lire dans Ásta, c'est de se laisser envahir, de ne pas lutter, de se laisser emporter par le talent de conteur de
Jón Kalman Stefánsson (il faut y associer le talent du traducteur
Eric Boury).
Tous les destins ici contés ne parlent que de vies ordinaires, de passion, d'amour dans toutes ses déclinaisons, et aussi d'échecs, de défaites.
Souvent on ne découvre les liens, les causes, les carrefours de la vie que quelques chapitres plus loin, voire carrément à la fin.
L'histoire d'Ásta et des siens nous est en partie racontée par le biais des souvenirs désordonnés de Sigvaldi, son père.
L'auteur est aussi présent dans cette narration, comme une voix « off » et pourtant si impliquée.
Et peut-être au centre de tout cela une Ásta âgée de 15 ans envoyée dans les fjords de l'ouest de l'Islande chez un fermier taiseux bourru et solitaire, et sa mère atteinte d'une forme de démence proche de l'Alzheimer, habitués à accueillir des adolescents à remettre dans le droit chemin.
Un jour, l'amoureux d'Ásta lui a écrit un poème, où il dit :
« Que faire
Si tout ce que je touche
Se change en manque de toi
Et où aller
Où se réfugier
Quand aucun chemin ne mène hors du monde ? »
Cette histoire me laisse totalement vidé disais-je, foudroyé serait plus juste.
Je suis littéralement subjugué, par l'écriture sensuelle et lyrique de
Jón Kalman Stefánsson