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EAN : 9782226121400
176 pages
Albin Michel (07/02/2001)

Note moyenne : /5 (sur 0 notes)
Résumé :
4° de couverture :
(Edition source : Albin Michel, Histoire à deux voix - 02/2001)


" Ne présente aucun intérêt au point de vue national " : telle était la raison, consignée dans les archives, du refus de naturalisation signifié en 1933 à la famille Michlin, originaire de Pologne.

Quelques années plus tard, les époux Michlin seront déportés à Auschwitz. Seul survivant, leur fils Gilbert, qui entreprend ici un véritable tr... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Conséquences meurtrières du fantasme de l'unité organique de la nation

« Cette monstruosité, cette « expérience », comme on dit habituellement, cette « expérience » dont je me serais bien passé, je ne l'ai pas oubliée. Toute ma vie, jusqu'à aujourd'hui, j'ai voulu savoir pourquoi, comment, on avait pu, simplement parce que j'étais,me plonger dans cet enfer. Savoir pourquoi, comment, mon père, ma mère, des amis, des familles entières, pour la même raison avaient dû eux aussi périr. Ces questions, je me les suis posées cent fois, mille fois, et je n'ai jamais pu y répondre ou du moins trouver le temps d'y répondre ». Des questions partagées par les survivant·es de tous les génocides, crimes contre l'humanité et crimes de guerre…

Reprendre le fil des vies, plonger avec sa mémoire et les archives (et leur fermeture par l'Etat français) ou les documents publiés, renouveler les questions « pourquoi et comment cela nous était-il arrivé ? », consacrer son temps aux recherches pour livrer « aujourd'hui, pour mes parents, pour moi, pour tous ceux qui, comme nous, croyaient éperdument qu'il était possible d'être heureux comme Dieu en France ».

Gilbert Michlin parle sobrement de ses parents, de Nieswiej, du débarquement de son père aux Etats-Unis en 1923, du Freedom of Information Act, d'Elis Island, du tri des migrant·es, « Ici, à Ellis Island, comme à Birkenau, on devait avancer, sans se poser de questions, machinalement, mécaniquement. Il fallait le faire… on le faisait », des routine bureaucratiques, du « Welcome to America » et des quotas fixés pour les migrant·es, de l'antisémitisme étasunien et des autres antisémitismes « nationaux », de la statue de la liberté, « cynique allégorie d'une liberté qu'on lui refusait ».

Comment ne pas penser au présent, aux lois contre l'immigration, les réfugié·es, les migrant·es, les murs de séparation, les phraséologies de refus. Hier contre certaines populations, aujourd'hui contre d'autres, mais aujourd'hui aussi contre le droit international…

D'une contrée polono-russe à la France, Moshe-Meyer devenu Maurice, Riwka devenue Renée, un enfant né en 1926 Gilbert Michlin. L'auteur raconte son enfance, « je me souviens », les promenades sur les Grands Boulevards, la cuisine juive russe, l'apprentissage de la lecture avant la maternelle, les déménagements, les lieux, les cinémas, cette petite valise dans laquelle sa mère a rangé tout ce qu'elle considérait comme l'essentiel, le « choix » d'être ajusteur-outilleur, Dorian, « Je commençais à me rendre compte qu'être juif n'est pas seulement être comme tout le monde avec des traditions, des fêtes, une cuisine différentes », l'anti-judaïsme catholique et l'antisémitisme…

1933, les démarches de Maurice pour « acquérir la nationalité française », le temps bureaucratiques et cette réponse « la présente demande n'offre aucun intérêt au point de vue national »…

Les bruits de bottes résonnent dans l'Europe entière. le monde bascule et « la population française fut au mieux tout à fait indifférente à ce qui se passait et le demeura ». La mémoire de l'exposition universelle de 1937 et des pavillons allemand et soviétique, l'ignominie du pacte germano-soviétique de 1939, la « drôle de guerre », les apprentissages à Dorian, les fantasmes sur la ligne Maginot et l'armée française, la Blitzkrieg, l'exode d'une partie de la population parisienne, « Cet exode provoque en moi une véritable panique », l'arrivée de l'armée allemande à Paris le 14 juin 1940 et la vie qui reprend son cours.

Le Statut des juifs, l'aryanisation par le Commissariat général aux questions juives, la longue attente pour se faire enregistrer, le rôle de l'Union générale des israélites de France (UGIF), l'étoile jaune, Drancy et Auschwitz, le père gazé à son arrivée, la police française, au nom de la « révolution nationale » les lois antisémites, l'indifférence généralisée, les citoyens de seconde classe, « Et comme à Ellis Island, il n'y a aucun appel possible »…

L'entrée aux usines des avions Caudron, l'insouciance du jeune Gilbert, la grande rafle de juillet 1942, « les rafles s'accélèrent et la police française continue sa sale besogne », la porte tambouriné à deux heures du matin, « Longtemps. de plus en plus fort et de plus en plus vite. Nous ne sommes pas longs à comprendre », un épisode et une hésitation, Gilbert reste avec sa mère, un commissariat (plus tard une plaque sur sept fonctionnaires de police tombés à la libération – dans l'oubli de quatre ans d'ignominie, de quatre ans de déshonneur), la souveraineté de la police française et sa « responsabilité exclusive du « maintien de l'ordre et de la sécurité intérieure » » ou dit autrement la collaboration active…

Drancy, départ pour « Pitchipoï », des wagons à bestiaux, des sifflements de vapeur « Il m'arrive, aujourd'hui encore, de les entendre résonner dans mes oreilles… et de revoir ma mère », trois jours, une station, Auschwitz. Arbeit macht frei, « je sens une odeur dans l'air, une odeur de poule déplumée sur la flamme », le numéro sur le bras et le nouveau nom « 173847 », sa mère, « « le gaz ». Tout s'écroule. En une seconde. J'ai compris ». L'auteur ne comprends pas que cela, « J'ai compris ce qu'est Pitchipoï. J'ai compris que je ne suis plus rien », le travail pour Siemens (le capitalisme ne s'est pas dissous) et la construction de l'usine, un Kommando disciplinaire, la dénutrition et l'immense fatigue, l'arbitraire généralisée des chefs de Block, « S'accrocher à cette vie en essayant de garder pour soi cette humanité que ce parfait système doit nous enlever pour faire de nous des bêtes prêtes à s'entre-tuer », la hiérarchie et les SS au sommet de la pyramide, l'injustice érigée en système, la nourriture sujet central des conversations, « En plus de cela, de cette barbarie pure, gratuite, plane au-dessus de nous la menace de la chambre à gaz », la mort partout, l'efficace processus de déshumanisation, le camp des juifs tchèques et celui des tsiganes, l'épreuve de l'appel, les poux, le blok des expériences médicales, la nuit du 17 au 18 janvier 1945, l'ordre de ses préparer, la marche dans le froid, une nouvelle sélection, l'évacuation, « La locomotive siffle. le train démarre », Prague, Buchenwald, Berlin, encore Siemens, Sachsenhausen, Dresde rasée, la Croix-Rouge internationale, « Libres et vivants »…

Paris, « je retourne à Caudron car il me faut vivre », le contenu précieux d'une valise, « Les premières questions se posent. Insupportables. Comment, pourquoi en sommes-nous arrivés là ? ». L'extraordinaire a bien des causes et des responsables. L'enchainement de décisions, de politiques ne saurait se dissoudre derrière la « magie » de l'horreur ou des réécritures de l'histoire. Il convient de nommer et de rendre justice. C'est de cela principalement parle Zeev Sternhell. Mais j'anticipe. Changer de nom ne changerait rien. « Je serai Michlin, sans « e », à nouveau. Je suis juif et que les gens le veuillent ou non je le resterai »

Que sont devenus les fonctionnaires de police ? Ceux qui ont signé les ordres d'arrestation, tous ces policiers qui ont appliqués les ordres sans question, ceux qui ont fait rouler les trains et ceux qui n'ont pas bombardés les lignes ?

« Je pars heureux et fort à la découverte de l'Amérique », l'auteur n'oubliera pas ce qu'il fut, que ses parents « perdirent la vie pour cela, sans aucun intérêt au point de vue national ».

Zeev Sternhell parle, entre autres, de l'enfer qui surgit de ces pages, du sort des juifs ordinaires, de l'horreur des minorités, des conceptions nationalistes exclusives, des migrations de centaines de milliers d'hommes et de femmes qui cherchaient un asile, de la Statue de la Liberté et de l'Amérique blanche et protestante, de celles et ceux survivant·es de la destruction qui « ne pouvaient plus respirer en Europe », du yiddish et de son absence dans la famille Michlin, des désirs de se fondre dans la nation, de Maurras et des intellectuels ouvertement antisémitismes

, de la déchéance de la nationalité française, de la révocation du décret Crémieux, de celles et ceux qui n'ont pas de « sépulture autre que celles des monuments collectifs », deux ceux et celles qui sont mort·es par la France, de la révolution nationale menée par Pétain, de Mgr Baudrillart et de l'ignominie de l'Eglise catholique, de l'extrême droite et des campagnes anti-juives, des comptes qui ne furent jamais demandés, « Mettre le fonctionnement de la machine d'exclusion, puis d'extermination, sur le compte d'un simple enchaînement d'événements bureaucratiques, comme le voudraient certains historiens français, constitue encore une autre forme de refoulement », des lois raciales et du peu de résistance active, de la qualité de citoyen comme « fiction légale », des fantasmes meurtriers de l'unité organique de la nation, de la société « conçue comme un corps, une tribu ou une grande famille », du « refoulement entrepris par historiographie française dès le lendemain de la Libération », de la réécriture de l'« épopée de la France libre et de la Résistance », des forces de destructions « qui sont partie intégrante de notre civilisation, aujourd'hui comme hier »…

Reste que sa conception des Lumières me semble bien unilatérale, il n'en évoque aucune des facettes d'ombre.

Aujourd'hui, comme hier, il nous faut donc agir solidairement, même si cela doit être considéré par l'appareil d'Etat comme une délinquance
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Citations et extraits (7) Voir plus Ajouter une citation
Cette monstruosité, cette « expérience », comme on dit habituellement, cette « expérience » dont je me serais bien passé, je ne l’ai pas oubliée. Toute ma vie, jusqu’à aujourd’hui, j’ai voulu savoir pourquoi, comment, on avait pu, simplement parce que j’étais,me plonger dans cet enfer. Savoir pourquoi, comment, mon père, ma mère, des amis, des familles entières, pour la même raison avaient dû eux aussi périr. Ces questions, je me les suis posées cent fois, mille fois, et je n’ai jamais pu y répondre ou du moins trouver le temps d’y répondre
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Mettre le fonctionnement de la machine d’exclusion, puis d’extermination, sur le compte d’un simple enchaînement d’événements bureaucratiques, comme le voudraient certains historiens français, constitue encore une autre forme de refoulement
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Ici, à Ellis Island, comme à Birkenau, on devait avancer, sans se poser de questions, machinalement, mécaniquement. Il fallait le faire… on le faisait
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Je serai Michlin, sans « e », à nouveau. Je suis juif et que les gens le veuillent ou non je le resterai
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Les premières questions se posent. Insupportables. Comment, pourquoi en sommes-nous arrivés là ?
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