L'encre versée pour parler de ce livre suffirait à faire couler la Seine pendant un an ! Et pourtant, il y a toujours matière à dire sur ce texte plus ou moins bien traité par la postérité.
Mais, envers et contre tous les amateurs de gentils vampires louchant du côté de Roméo et Juliette – en moins bien ! –,
Dracula est un méchant de la pire espèce, autant à cause de sa nature démoniaque que de son attitude aristocratiquement méprisante à l'égard de la valetaille. Pareillement qu'un seigneur du Moyen Âge, il réduit les paysans des alentours à la servitude, à ce détail près qu'il les vide de leur sang ! Certes, il n'a rien inventé puisqu'un certain Gilles de Rais aurait jadis accompli la même besogne sur des jouvenceaux, crimes toutefois sujets à controverse.
Seulement voilà :
Dracula a de la classe. Vulgairement parlant, c'est un salaud magnifique : il fait aussi peur qu'il fascine, un peu comme ce cher docteur Lecter !
Et le coup de génie de
Bram Stoker c'est qu'il ne le fait apparaître qu'à travers les impressions personnelles des autres protagonistes de l'histoire – relatées dans des journaux intimes et des lettres –, comme s'il n'était que le fruit d'une hallucination collective. Hallucination à laquelle nous croyons, nous autres lecteurs, accrochés à ce prince infernal pris en étau entre le monde des vivants et celui des morts. Ces différents points de vue des personnages confèrent par ailleurs au récit une aura de mystère parfois frustrante : nous aurions aimé entendre la voix propre de l'intéressé dans cette affaire ! Mais
Dracula est une ombre, et les ombres ne sont pas très causantes !
Dracula est enfin une histoire très chrétienne qui fait traditionnellement se dresser le bien contre le mal. Son origine est elle-même inspirée par un soldat du christianisme qui se dressa contre les Turcs au XVe siècle, Vlad III, prince de Valachie – dans l'actuelle Roumanie –, que la légende a retenu comme particulièrement cruel, omettant qu'il était tout-à-fait raccord avec son époque, notre Louis XI n'ayant, par exemple, rien à lui envier.
Revenant à la créature de Stoker, elle est devenue un mythe populaire, qui n'est pas usurpé, et trouve sa place dans le bestiaire fantastique littéraire aux côtés de Frankenstein, Jekyll et Hyde, et tant d'autres.
Méfiez-vous cependant : après cette lecture, votre indulgence pour les déclinaisons mièvres du vampire risque d'être sérieusement mise à mal !