Fresque romanesque, va et vient perpétuel à travers les origines de l'Amérique, de l'établissement des premiers colons hollandais aux années 60,
Au bout du monde est une plongée habile et irrévérencieuse dans la matrice de la société américaine, à travers les générations de trois familles aux destinées et aux réussites opposées dans un comté de l'état de New York.
De mémoire de colon, les Wan Wart ont toujours fait figure de notabilités établies, craintes par la force de l'habitude et exécrées quand leur joug se faisait plus pesant et leurs injustices plus criantes. de l'ancêtre patroon, par la grâce et sous l'autorité de Leurs Hautes Puissances des États-Généraux des Provinces-Unies, propriétaire de vastes étendues vierges, au douzième héritier de van Wart Manor, dont la pulviphagie est la manie, affligé d'une femme fuyant ses devoirs conjugaux après ne lui avoir donné qu'une descendante, transcendant sa libido sexuelle dans la cause en faveur des indiens, et d'une adolescente hippie en révolte traînant avec une bande de chevelus hirsutes, les Wan Wart on toujours fait la pluie et le beau temps sur ce comté de Nouvelle-Angleterre.
Les van Brunt, quand à eux semblent poursuivis par la funeste marque de la déveine et de l'abjection. Ils sont les descendants de pauvres pécheurs de hareng de Zélande, qui ont connus tous les mécomptes des colons, les maladies, les incidents marquant le défrichage et la découverte de cette nouvelle terre d'élection. le dernier du nom est un jeune homme au spleen existentialiste dont les tournants dans sa vie et les rencontres avec l'Histoire se soldent fâcheusement au détriment de son anatomie, au gré des multiples accidents de la route emmaillant sa calamiteuse existence. Il est à la recherche de la vérité concernant ce père vagabond dont le rôle trouble durant une émeute suite à l'organisation d'un concert par des sympathisants de gauche lui ont donné la réputation d'être un jaune, un délateur, un traitre.
Les Mohonks sont les ultimes représentants des kitchawanks, Tribu indienne décimée par la variole et autres maladies vénériennes léguées par les envahisseurs, par l'alcool importé des européens, trompée, flouée, spoliée de leur terre par ces visages pales. le dernier des kitchawanks est un marginal passé par les geôles de Sing Sing pour avoir revendiqué en brave un lopin de cette terre ignominieusement dérobée par les descendant du premier des van Wart.
La prose de T.C. Boyle est réjouissante et entraînante, elle enchaîne les images évocatrice et percutante avec l'aisance et la truculence d'un Arturo Brachetti changeant de costume. Elle est aussi à l'aise pour conter les heurs et malheurs des premiers colons, que pour nous divertir des fumisteries divagantes des hippies dérisoires. Une oeuvre forte et malicieuse; un récit remarquablement mené.