Raymond Tallis est un autre de ces oiseaux rares : un scientifique devenu philosophe. Neurologue, gériatre, il était clinicien et chercheur. Puis il s'est retiré de la profession médicale, et a commencé à publier en philosophie.
Tallis est un humaniste, athéiste confirmé mais respectueux, qui voit l'humanisme menacé, non plus par une religion désormais marginalisée, mais par le scientisme, cette détestable manie de réduire tout phénomène et toute entité au lit de Procuste des méthodes et conceptions existentes.
Freud ramenait l'homme à la gestion brinquebalante de ses pulsions inconscientes, le neo-Darwinisme le réduit à ses gènes. Et la neurologie - discipline de
Tallis - le dépeint comme un organe, conçu en tant qu'ordinateur biologique. L'homme aime à se réduire à ses créations ... étrange humilité ! le projet philosophique de
Tallis consiste à combattre les versions réductrices de l'homme qu'il percoit dans ces courants Freudiens, neo-Darwinistes tendance
Dawkins, neurolphilosophiques genre Dennett, et même linguistiques post-structuralistes .
Auteur prolifique,
Tallis a élaboré ses thèses positives dans un trio de livres : " Je Suis", " La Main" et " L'Animal Qui Sait". Il s'en est pris à
Freud,
Dawkins, Dennet et
Lacan dans " Ennemis de l'Espoir". Et le voici qui règle ses comptes avec les neurologeâtres et darwinomanes dans " Singer l'Homme" .
L'idée centrale de ce livre est la dissimilitude entre processus neurologiques et vécu : l'on ne peut assimiler les qualia - unités expérientielles - à des impulsions nerveuses, ni même à des séquences d'impulsions, aussi complexes soient-elles. A fortiori ne saurait on établir d'equivalence entre l'activité neurologique et des perceptions plus complexes (images, mots ou mélodies) voir à des émotions ou des reflexions. Confondre le neurologique et le vécu est tout simplement une confusion de catégories. Il y a corrélation entre l'un et l'autre, non équivalence, et certainement pas identité !
L'évolution, quant à elle, ne saurait produire l'esprit humain, celui-ci ne conférant pas d'avantage compétititif, donc aucun avantage reproductif. Quel est l'avantage évolutif de la poésie, des mathématiques ou de la musique ?
Le livre est écrit dans un langage accessible, et ne nécéssite aucune connaissance médicale préalable. Il ne compte que 360 pages plus réferences et index, ce qui est tout à fait raisonnable. Pourtant, j'ai eu des difficultés à le finir. Et c'était ma seconde tentative. le style, d'abord, ne me convient pas. J'éprouve un sentiment étrange à entendre se mêler des termes médicaux et philosophiques, cela me désoriente ( suis je en philosophie ou en médecine ?). Un style, assez austère d'ailleurs, clinique même, agrémenté de-ci de-là d'un brin d'humour anglais. le problème, ensuite. Spontanément, et sans doute par éducation, je suis un dualiste cartésien. Je ne suis donc pas tenté par la réduction pure et simple de l'esprit au fonctionnement d'un organe - pour moi, si problèmes il y a, ils se situent ailleurs.
Tallis enfonce donc des portes qui chez moi sont restées ouvertes ...
Ce livre me laisse donc avec une petite amertume : je m'attendais à un essai philosophique et j'ai eu quelque chose qui, pour moi, s'en approche, sans plus. Mais je ne suis pas l'arbitre des élégances ! le livre est bien écrit, assez compact - vous n'en avez pas pour 800 pages - et il témoigne d'une solide érudition, structurée par une réflexion soutenue. Choses qui, chez moi, suscitent toujours le respect voir l'admiration. 4 étoiles quand même.