N'avez-vous jamais rêvé de ce terrifiant séjour dans une pièce inconnue dont les issues peu à peu se ferment et dont la taille semble toujours se réduire ? C'est un peu le piège mortel dans la falaise de "
L'île aux trente cercueils" (1919) de
Maurice LEBLANC ou la menace tapie dans "
Le rêve de l'escalier" [in "Le notti difficile"](1971), fameuse nouvelle du grand
Dino BUZZATI où la spirale de l'escalier que gravit nuitamment le dormeur voit l'espace entre ses degrés s'élargir, s'élargir...
On se réveille éperdu d'angoisse.
La seconde partie de "The Shadow over Innsmouth"/ "
Le cauchemar d'Innsmouth" de TANABE /
H.P. LOVECRAFT, c'est tout cela et pire.
« Un rêve est un terrier aux multiples entrées. » [*]
En effet, de chambres contiguës en chambres contiguës (toutes semblables), la "House Gilman" ne vous lâchera plus : vrai labyrinthe borgésien mais faux havre de paix aux allures de "Pension Vauquer" (certes, on rira beaucoup plus aux pages tragicomiques mémorables du "Père Goriot" (1842) du Tourangeau
BALZAC monté en graine à Paris...) ; le gars qui vous accueille et vous remet votre clé n'a pas "le masque d'Innsmouth", certes ! (On se souvient des trois personnages muets à demi-visage de batracien dans "The Haunted Palace" de
Roger CORMAN (1963), faisant leur ronde autour du couple Vincent Price/Charles Dexter Ward-Debra Paget/Mrs Ward).
La maîtrise du Maître mangaka est ici à son comble... Ses très intuitifs presque "débuts" en son adaptation de "
The Outsider"/
Je suis d'ailleurs" étaient certes prometteurs, mais nous sombrons là dans l'inconnu des Espaces Extérieurs chers à ce fieffé conteur de
Lovecraft...
Les cadrages "grand-angulaires" sont tout à fait dignes de la profondeur de champ abyssale du précurseur "Citizen Kane" (noir-et-blanc, bien sûr) d'Orson WELLES...
Le récif du diable et le castelet au-dessus de Gilman House aux lueurs qui se répondent... On songe aux images expressionnistes inoubliables de "The Lighthouse " (2019) de Robert
EGGERS, au cauchemar de folie qui assaille le protagoniste du récit "
Le Gardien du feu" (1900) d'
Anatole LE BRAZ...
Une prémonition ? Que tout est bon dans l'oeuvre perfectionniste de TANABE Gô ! Décidément rien à jeter (sauf un oeil terrifié)...
Le sens de l'épique, du cauchemar récurrent familier, du mystère des mondes souterrains et sous-marins... Tout y est maîtrisé, absolument tout !
La vision finale du Grand Cthulhu, divinité mutante et cauchemardesque... et l'on repense une fois de plus à la très évolutive monstruosité de "The Thing" (1982) du solide artisan
John CARPENTER , "Prince du fantastique cinématographique" !
Et des lumières troubles s'allument au coin de chaque image...
Innsmouth est décidément une bourgade et un monde-en-soi insubmersible et inoubliable...
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[*] Qu'on veuille bien nous pardonner cette auto-citation : celle du si peu lovecraftien mais très kafkaïen récit "Heiraten" (Chap. IX, "REVES AU BALCON", page 47), Franz tenant la plume... :-)