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Maritimes », ce roman solaire, est une parenthèse humaniste qui fait du bien. Une bulle de fraicheur en cette chaleur pré-estivale. Un tout petit livre qui dépeint l'amour, les origines, la tragédie. Tant de choses, tant de puissance en un si petit format. le choix du conte, nous pourrions dire de la fable même, par
Sylvie Tanette permet cette prouesse, elle permet aussi de distiller onirisme et magie. Une fable oui, car nous pourrions en effet la raconter, tous blottis autour d'un feu.
L'île qui nous est présentée, tel un mirage, me fait rêver. Pourtant pas de longues plages de sable fin, pas de cocotiers, pas d'eau turquoise ici. C'est une simple miette dans la Méditerranée cette île, une île indéfinie, c'est la minéralité des rochers et des criques, l'odeur de garrigue des collines, des caroubiers et des oliveraies, c'est la blancheur du village écrasé sous le soleil, protégé par la mer à perte de vue, avec son port et ses barques, ses ruelles et ses petits escaliers. « Et partout des pierres. Des pierres et des pierres. Des rochers entassés qui forment des criques. Ils semblent avoir été posés là tout exprès pour que les petits garçons d'ici puissent apprendre à plonger ».
Cette île c'est également ses habitants, taiseux et mystérieux, qui cultivent olives, agrumes et amandes, qui pêchent le poisson, se suffisant de peu, se suffisant d'eux-mêmes. Ses habitants surtout me font rêver. Une poche d'humanité comme il en existe encore. Des gens qui savent, sans les mots, sans la science, qui refusent l'autoritarisme naturellement avec bienveillance, en gardiens de ce temple sauvage, qui font de l'entraide la valeur essentielle, l'hospitalité une pierre angulaire. L'humanité dans ce qu'elle a de plus pure. Malgré l'ignominie.
La blancheur du village est symbole de pureté et de protection lorsque le continent, en face, dont on aperçoit les côtes lors de beau temps, est en proie à la dictature. le narrateur, un vieux monsieur qui régulièrement se rend à l'arrière de l'île pour venir nettoyer l'autel de Sainte Michaëla au rocher du voile de la mariée, nous raconte.
Il nous raconte la vie sur l'île, la présence et le rôle des mouettes, les vagues d'émigration qui font disparaitre les personnes de l'île depuis des années, la réserve polie et touchante que les îliens affichent aux personnes du continent qui viennent parfois les observer comme s'ils étaient des animaux curieux. Il nous conte l'arrivée de Benjamin depuis le continent un beau matin. Son installation loin du village dans une modeste maison de pierres.
Il nous raconte la méfiance des habitants pour ce nouveau régime qui enflamme par stades entiers les gens sur le continent, l'intégration bienveillante de Benjamin, dans ce contexte inquiétant, qui sera aimé peu à peu comme un fils.
La légende dit que l'île a été découverte par une population sortie de la mer. « Des gens qui vivaient dans les grands fonds avaient un jour décidé de fausser compagnie aux créatures marines. Ils avaient nagé sous l'eau de longues heures jusqu'au moment où ils avaient aperçu des rochers perçant la surface. Ils s'étaient hissés dessus, épuisés, et avaient vu de leurs yeux combien la mer est magnifique quand on la contemple depuis l'extérieur ». Ils ont l'habitude les îliens. Personne ne s'est jamais intéressé à ce que qu'ils racontent. Sauf Benjamin justement.
Il y a de l'amour également dans ce conte, beaucoup d'amour. de la beauté. Et une tragédie terrible. Depuis « les touristes s'étonnent parfois de notre peu d'empressement à bavarder avec eux. Ils disent que sur l'île nous sommes des taiseux, c'est le mot qu'ils emploient. Si ça peut leur faire plaisir, je me fiche de les entendre dire que nous sommes des taiseux. Nous les laissons à leurs considérations et aux adjectifs vieillots qu'ils affectionnent quand ils parlent de nous. Ce que nos yeux ont vu ce jour-là nous a éloignés pour toujours de la compagnie des hommes ».
La plume de l'auteure est douce et délicate. Profondément humaine. Engagée tout en étant poétique. Militante l'air de rien, par petites touches fulgurantes. Il fait chaud au coeur ce livre à la fois simple et d'une grande puissance. Curieuse et empressée de découvrir les autres livres de
Sylvie Tanette, notamment «
un jardin en Australie ».