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EAN : 9782876783751
96 pages
L'Aube (31/10/1997)
5/5   5 notes
Résumé :
Idir Tas dédie ce conte, à la fois poétique et prophétique, à tous les enfants de son pays natal.

Akli partage d’intenses moments de complicité avec son grand-père Larbi, qui l’abreuve de récits extraordinaires, et avec Babouh qui vit à l’écart des autres, mais aime aussi contempler le ciel et se laisse emporter par le mystère des étoiles.

Une vie d’enfant avide de découvrir toutes les richesses que le monde réserve à ceux qui prennent ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
Dans L'Étoile des neiges, Idir Tas, à travers le regard d'un enfant sur le monde des adultes, nous offre un message de lumière, de bonheur et d'espoir.
C'est autour de ses souvenirs d'enfance, passée sur les hauteurs de l'Akfadou, qu'Idir Tas a construit L'Étoile des neiges, son premier livre publié.
Ce roman aura demandé un an de travail à son auteur qui a été étudiant à l'INP de Grenoble puis enseignant à l'université de Constantine.
Revenu en France en décembre 1994, ce docteur en physique (plus exactement en automatique et traitement du signal) est depuis à la recherche d'un emploi. Alors, entre stages et petits boulots, il s'est lancé dans l'écriture. Et le résultat est à la fois remarquable et prometteur.
Avec des mots simples et un récit coloré, il raconte l'univers merveilleux et innocent de l'enfance. Akli, le petit héros du livre, apprend la vie et découvre la nature auprès de Babouh, un homme de son village en marge de la société. Ensemble, au quotidien, ils partagent de merveilleux moments, réinventent un monde idéal.
En compagnie de celui que certains considèrent comme fou, Akli apprendra à écouter la musique des arbres et le chant du torrent, à voir la beauté des choses et à connaître les vraies richesses, celles qui viennent de l'intelligence du coeur. Une intense complicité dans une Algérie profonde et idéale. C'est plein de poésie et de bonheur, de tendresse et de lumière. L'Étoile des neiges est à ce titre un souffle de fraîcheur et un hymne à la vérité et à la pureté.
Il y est aussi question d'intolérance, de peur et de violence. En effet, Akli prendra conscience de la méchanceté des hommes lorsqu'il perdra son ami, dans des circonstances aussi tragiques qu'absurdes. de cette douloureuse expérience, il en reviendra plus fort, plus courageux, plus déterminé aussi.
Conte pour les enfants d'Algérie ou d'ailleurs (à partir de 10-12 ans), ce livre s'adresse également aux adultes. Une “deuxième lecture” permet de comprendre que derrière les mots, c'est le drame algérien qui se profile. Et c'est aussi un message d'espoir et de paix destiné à tous les innocents de ce pays qui vivent dans la terreur et la douleur.
L'Étoile des neiges est un récit à la fois attendrissant et émouvant où se mêlent symboles et philosophie. Il invite chacun de nous à être meilleur que soi-même. Car, comme le confie Babouh à son jeune ami, « Les étoiles sont au fond de nous. Dans la vérité de notre coeur, on pressent ce que la terre nous cache pour ne le découvrir que si nos désirs sont purs ».
M.B., le Dauphiné Libéré, dimanche 18 janvier 1998
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Idir Tas, un conte d'auteur

Idir Tas, scientifique de formation et de métier, a écrit un conte dans la plus pure tradition du genre, en apparence tout du moins, et dont les implications concernent plus les adultes et les adolescents que les enfants.

“L'Étoile des neiges” (publiée aux éditions de l'Aube) ne doit rien, en effet, aux contes de fée, même si l'innocence dans ce qu'elle a de magique et de grand constitue la trame de cette histoire tout à la fois hors du temps et de la réalité, et douloureusement enracinée dans la tragique universalité de la condition humaine.

C'est dans le cadre de la manifestation d'envergure organisée par la Fnac aux plans national et local, du 27 février au 13 mars (“Algérie, j'écris ton nom”), que cet auteur, résidant dans la région de Saint-Marcellin, rencontrait ces lecteurs, ce mercredi.

“L'Étoile des neiges”, sa première oeuvre publiée, révèle un écrivain de talent, apte à modeler un imaginaire qui ne s'impose à lui que dans l'urgence de dire. Car Idir Tas ne se prévaut en aucun cas de sa qualité d'écrivain, dans la mesure où ce livre est né de la nécessité de formuler une rêverie pétrie d'angoisses inavouées, par le biais des mots et d'un cadre littéraire dont la souplesse autorise tous les délires.

Mais loin de lui la pensée de “fonctionnariser” son écriture, de titiller chaque matin la feuille blanche afin de lui extirper la substance future d'un nouvel ouvrage. Idir Tas s'avoue incapable d'affirmer qu'un second livre suivra.

Modestie, ou discrétion ? Réserve d'un auteur qui se tient à l'écart de la vie politique, refuse même d'aborder le sujet, et ne veut retenir que l'irréductible complicité affective que lie l'Algérie à la France. La France dans laquelle il compte de nombreuses attaches, et avec laquelle il vit une “histoire d'amour”.

Emma Louis, le Dauphiné Libéré, mercredi 3 mars 1999
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L'histoire est belle […]
Son fil conducteur est l'amitié d'un enfant, Akli, avec un marginal, un “fou” que certains tolèrent et dont d'autres voudraient se débarrasser en l'envoyant à l'asile. Pour l'enfant, son ami Babouh ne peut avoir de meilleur asile que les bois, les grottes où il cueille des opalines.
La beauté de ce conte tient à son écriture et à l'univers qu'elle fait partager. Un grand-père qui fait des ombres chinoises en bougeant les mains devant une lampe tempête et raconte des histoires.
Un père qui revient, après trois ans d'absence, de là-bas, de l'autre côté de la mer. […] Une soeur qui coud une robe pour la fille du cheikh qui va se marier dans deux jours. On sacrifie un boeuf…
Ce n'est pas un monde idyllique : l'intolérance et la haine font partie de ce qu'Akli découvre.
Lui aussi aura envie de partir, de “couper les lianes que tresse le lieu de naissance
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C'est avec énormément d'émotion qu'on lit L'Étoile des neiges, un écrit captivant de Idir Tas. Les mots contenus dans ce livre, paru récemment aux éditions de L'Aube, enivrent et poussent l'individu à être meilleur que soi-même.
Idir Tas raconte avec beaucoup d'élégance l'Algérie heureuse malgré les difficultés quotidiennes et les absences prolongées des êtres chéris…
L'auteur de cette oeuvre merveilleuse décrit aussi des comportements malsains qui peut-être sont à l'origine du drame algérien. Il dit avec doigté la société qui n'acceptent pas ceux qui veulent être originaux et trouver leurs chemins à eux. En fait, il stigmatise l'intolérance et salue la diversité des manières d'être…
À bien des égards, L'Étoile des neiges est une ode destinée à tous ceux qui croient à la coexistence pacifique de tous les hommes.

Nabil Abbas, La Tribune des livres, Alger, jeudi 11 décembre 1997
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
Brusquement la voiture partit. En quelques secondes, le village se renfrogna et les lacets se succédèrent sur la pente raide qui conduit à la vallée. Rien ne semblait effrayer Si Méziane qui allait à fond de train, coupant malgré le peu de visibilité les virages les plus tortueux. Tant bien que mal, Akli se cramponnait à la banquette râpeuse d’où s’échappaient de molles crêtes de mousse que son index, dans les moments d’anxiété, s’efforçait de rabattre sous le tergal.
— C’est la première fois que tu vas voir la mer ? lui demanda Si Méziane.
Akli fit oui de la tête, peu enclin à parler.
— Quand je suis allé en France à dix-sept ans, c’est elle qui m’a le plus manqué. Faut dire qu’à Paris, on ne craint pas de trouver la mer à moins de trois cents kilomètres à la ronde ; et à part la houle des toits… Pas vrai, Saïd ! Au fait, t’es revenu pour de bon cette fois-ci ?
— L’occasion s’est présentée pour que je travaille ici. Je l’ai saisie. Après plus de six mois d’attente, je vais enfin commencer demain.
— Un homme, pour être fort, doit être chez lui, même s’il tangue, reprit Si Méziane. Moi, j’ai tenu vingt ans à Paris, et un jour, j’ai compris que tous les talismans du monde ne pourraient me protéger de la colère de mes aïeux. Alors j’ai acheté un billet d’avion et j’ai tout plaqué. Arrivé au bercail, ma mère m’a accueilli avec des talmouses pour être resté si longtemps loin d’elle. Puis elle m’a fait promettre de ne plus m’entendre parler de mon séjour là-bas. Et c’est comme ça que j’ai renoué définitivement avec le bled.
Ils avaient dépassé la première ville au pied de la montagne et longeaient à présent un fleuve bondé d’eaux grises, au moins quatre fois plus large que la rivière.
Ici et là affleuraient des pierres toutes lisses qu’Akli comparait à des pieds d’éléphants qu’un fort débit eût sectionnés. Ils s’engagèrent ensuite sous une longue allée de platanes et redoublèrent de vitesse. Les branches défilaient en une danse hypnotique contre les vitres, puis s’éclipsaient avec de brusques torsions, semblables à des boas qu’un vent violent eût emportés dans les airs. Les troncs des platanes, tous revêtus d’une combinaison cendreuse, se déchiraient régulièrement en découvrant des bouts de peau d’un vert très fourni. Des champs de luzerne où il serait bon de courir avec Rex, pensa tristement Akli. On dirait que rouler, c’est épingler des images sur le pare-brise pour ne plus avoir à les regarder.
Ils atteignirent la gare à dix heures précises. C’était une vieille bâtisse blanche à peine plus grande que l’école communale d’Akli.
— Où sommes-nous ? demanda Larbi soudain éveillé.
— Là où on t’a embarqué pour la France, il y a plusieurs lunaisons, répondit Si Méziane goguenard.
Ils entrèrent dans un hall minuscule. Un groupe de voyageurs attendait.
— N’oublie pas ta valise, Saïd, recommanda Si Méziane en déposant le bagage par terre. Ton train ne partira qu’à dix heures trente.
Puis, se tournant vers Akli et Larbi, il continua :
— Dépêchez-vous, mes amis. Une autre course m’attend. Je vais vous conduire jusqu’à l’arrêt de bus le plus proche.
— À bientôt, dit Saïd qui n’aimait ni les longues phrases, ni les effusions démonstratives.
Et il s’en fut, l’esprit préoccupé par ce que lui réserverait son nouvel emploi.
Près du port, une odeur de poisson flottait. Des bateaux partaient en haute mer, accompagnés d’une nuée de mouettes. D’autres, au loin, trépignaient sur les labours cahotés. Sur la grève, telle la carcasse d’un animal éventré, gisait la coque d’un chalutier laminé par les roulis. Peut-être avait-il traversé toutes les mers, essuyé de furieuses tempêtes, et peut-être avait-il aujourd’hui besoin de tout son calme. Bercé par le clapotement de la digue, Akli avançait lentement.
Dès son arrivée dans cette ville, à chaque interstice entre les immeubles, il s’était attendu à plonger dans la mer, mais l’immense mur qui se refermait sans cesse l’en avait empêché. Certes, quand l’autocar avait pris de la hauteur, un bleu brumeux était apparu enfin, en pointillés entre les bâtisses. Hélas, cela n’avait pas duré. L’autocar s’était engouffré dans un dédale de ruelles bordées d’habitations hautaines. Au bout de quelques minutes, il avait freiné brutalement devant l’arrêt qui faisait face au cabinet du médecin auquel Larbi avait consenti à rendre visite. Une chance pour le vieil homme, peu disposé à marcher.
— Tu vas m’attendre là, lui avait-il dit en lui désignant l’enseigne d’un bar. C’est un ami qui le tient. Dis-lui que tu viens de ma part.
— Ce sera long, grand-père ?
— Une demi-heure, une heure tout au plus.
Et comme Akli avait hésité à pénétrer dans le bar, il lui avait rappelé sa promesse :
— Tout à l’heure, nous prendrons le bus et nous irons ensemble admirer la résidence des sirènes.
Ayant profité d’un moment d’inattention du propriétaire dont le visage, à la seule évocation du nom de son grand-père, s’était aiguisé d’une curiosité désobligeante, Akli avait délaissé le bar. L’attrait de la mer s’était révélé plus fort que tout. Il avait calculé qu’en pressant le pas, il pourrait atteindre le littoral qu’il avait évalué à une distance d’environ deux kilomètres en une vingtaine de minutes. Si la visite durait une heure comme il l’espérait, il serait de retour au bar en même temps que Larbi.
Blanches et minuscules, diluées dans l’outremer, des voiles semblaient inertes. Des chalutiers revenaient du large, chargés d’odeurs de pêche et de nuits sans sommeil. Le soleil allumait des étoiles sur des lames défaites et invitait à le rejoindre. Allongé sur le musoir, Akli écoutait le brisement de la houle s’échouer en lui.
Comme des vagues, successivement, les derniers événements lui revinrent en mémoire. Une foule d’images s’abattant en grêle sur tous les visages qui, de près ou de loi, avaient assisté à la mise à mort de son ami. Les uns après les autres, il les distingua, il lut leur avenir, il vit ce qu’ils deviendraient après le drame. Alors il souhaita la disparition totale de ce pouvoir qui était échu pour connaître seulement la méchanceté des hommes et leurs massacres. Il comprit encore mieux pourquoi Babouh avait préféré une vie sans gloire, à l’insu de tous. À quoi bon un tel don ?
Il implora la mer qui efface toute trace humaine dans son infinie fluidité ; il l’implora si fort qu’il sentit ses forces s’amoindrir, son cerveau se vider. Il eut soudain l’impression d’être comme un de ces vers de terre qui cheminent le long de la rivière, d’une nudité vulnérable, enfermé dans un corps qu’il connaissait à peine et avec lequel il aurait à vivre désormais, volontairement amputé des vibrations douloureuses de son cœur.
La mer l’avait exaucé. Il était devenu un enfant ordinaire, incapable de prédire le temps du lendemain ou la vie future des gens qui l’abordaient, un enfant regardant lucidement le monde autour de lui.
À présent, la lumière n’est plus la même. Elle a quelque chose de dilué comme si le soleil, éparpillé sur les flots, s’était recouvert d’un voile. Un ronflement profond remonte des eaux sombres. Les mains crispées sur la rambarde, Akli fixe d’un œil glacé le pelage de la mer. Un instant, il crut entendre la voix rauque et inquiète de son grand-père qui le soulevait, l’entourait de sa barbe grise semblable à de l’herbe desséchée et l’embrassait plus tendrement qu’à l’accoutumée.
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Le jour commençait à décliner lorsque sa sœur apparut à l’orée du bois. Les feuilles des arbres les plus bas la coiffaient d’une chéchia mouvante et lui donnaient l’apparence des dryades qu’il avait vues quelquefois dans ses livres de classe.
— Il faut rentrer, dit-elle simplement. On t’attend.
À ce moment-là, Rex qui avait dû reconnaître sa voix, surgit d’un fourré. Il était trempé jusqu’aux os ; quant à l’étoile, elle était totalement recouverte de fange.
— Tu as belle mine ! s’écria-t-elle en tapant dans ses mains.
Le chien apprécia le compliment à sa manière et se précipita au-devant du chemin en aboyant.
— On a un hôte ? demanda Akli.
— Je te laisse deviner, rétorqua Sadia, davantage par goût du jeu que pour s’amuser d’un don sur lequel elle ne savait rien. Elle ne l’aurait d’ailleurs pas pris au sérieux si l’enfant lui en avait parlé.
Quand ils pénétrèrent dans la maison fleurant la viande grillée, Akli remarqua les valises jetées pêle-mêle au pied de l’escalier intérieur. Il n’eut pas besoin de lire les étiquettes pour savoir à qui elles appartenaient. Ainsi l’étoile n’avait pas menti. Son père était rentré plutôt que prévu. Sa famille avait seulement préféré se taire pour que la venue de son père fût une surprise, mais tout au fond de lui il l’avait déjà vaguement pressentie.
— Va l’embrasser, lui dit Sadia en le poussant du coude. Il n’attend plus que toi.
Dehors des voix fusaient, très heureuses. Akli ouvrit la porte du corridor et reçut en plein visage la lumière aveuglante du couchant. Comme il hésitait à s’approcher, Oudia, une de ses tantes, l’encouragea :
— Regarde qui est là, Akli ! C’est ton père. Viens donc l’embrasser.
Les membres de sa famille étaient rassemblés autour d’un homme vêtu d’un costume gris. À son poignet, le soleil se réverbérait, dardant d’ardentes pointes de clarté qui firent baisser les yeux d’Akli comme si on y eût enfoncé de la laine de verre. Il dut attendre quelques secondes que la brûlure s’estompe. Ce fut suffisant pour que son père fendît la joyeuse troupe et le soulevât de terre.
— Eh bien mon gaillard ! Tu as grandi !
Les yeux d’Akli cuisaient toujours. Il ne pouvait regarder son père en face.
— Tu ne lui souhaites pas la bienvenue ? reprit sa tante Oudia. À moins que tu aies perdu ta langue dans la rivière !
— Qu’est-ce que tu attends pour l’embrasser ? lui dit sa mère qui venait d’entrer avec un plateau de baklavas et prenait maintenant part à la scène.
Visiblement gêné par la tournure de la situation, Saïd le déposa au sol à l’instant précis où le soleil disparaissait derrière les collines, cendrant aussitôt la cour et les visages, emportant avec lui la brûlure de ses yeux.
— Rien ne presse, l’excusa son père, tandis qu’Akli s’apprêtait à l’embrasser et que Saïd, qui ne comprit pas quelle était son intention, s’en retourna vers son siège.
Akli se demanda s’il devait faire comme si de rien n’était ou l’embrasser quand même. Il opta pour le second choix. Timidement, il déposa un baiser sur la joue de son père qui lui murmura :
— Je suis resté un peu plus longtemps que je le pensais. L’essentiel est d’être de nouveau là. Pas vrai, fiston ? Je suis vraiment content de voir mon grand garçon.
Assailli par les nouveaux venus qui lui posaient successivement des questions soit pour prendre des nouvelles d’un des leurs, soit pour s’enquérir du mode de vie, là-bas, de l’autre côté de la mer, Saïd n’eut plus le temps de se tourner vers l’enfant.
Bientôt il ferait nuit. Dans le ciel parcouru de vols lents d’étourneaux, de longs filaments violets s’estompaient entre les branches froissées par une imperceptible brise.
Akli profita d’un moment d’inattention pour s’échapper dans le jardin. Au loin chuchotait la rivière. Alors lui revinrent en mémoire des bribes de sa journée. Il pensa à Babouh qui devait se trouver quelque part là-bas, dans les bois. Toutes ces étoiles gardées par leur sœur polaire, paissant dans l’herbe brune, Babouh devait les voir aussi. Le ciel appartient à tous comme la rivière, se dit Akli qui s’amusa quelques secondes à compter les scintillations douces et laineuses tels des poings d’enfant serrant de petits rêves chauds.
Puis, éprouvant soudain un étrange vertige, il souffla, souffla pour que s’éparpille au milieu des herbes sauvages et des crécelles un ruissellement de lumière. Mais il dut s’interrompre lorsqu’il vit sa mère entrer dans le jardin.
— Toujours le nez dans les étoiles ! Je parie que tu n’as pas mangé de la journée, lui dit-elle d’une voix ferme mais douce.
— Je n’ai pas faim, bredouilla-t-il.
— Monte dans ta chambre. Tu trouveras ta part. Il faut la finir avant de dormir. Demain, je vérifierai que tu n’as rien laissé dans ton assiette.
Akli s’exécuta en souriant, car depuis longtemps, lui semblait-il, il n’avait pas vu sa mère aussi rayonnante. Il avait tellement faim qu’il dévora toute la viande grillée et ne laissa qu’un petit os dans l’assiette. Avant de s’endormir il repensa à Babouh. Tantôt il l’imaginait en train de parcourir les bois si profondément obscurs que nul autre homme à part lui ne devait traverser, tantôt il le voyait couper à la hache les branches qui entravaient sa progression. Et il se disait que les chemins que Babouh empruntait, ressemblaient au monde qu’il lui fallait découvrir. Pourtant, il avait beau fouiller en pensée l’épaisseur des troncs, il ne distinguait que le dos de son ami et l’éclat grisonnant de sa hache qui s’imbriquaient avec le reste de sa vision. Alors une émotion le saisissait, pareille à un malaise passager, et il s’élançait avec Rex à travers le jardin, se réconfortant de croire qu’ils étaient l’un et l’autre mus par un désir de gambade et de légèreté.
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Un après-midi, alors qu’il songeait à la chance que représentait l’étoile lorsqu’il aurait à prendre de grandes résolutions, Akli s’engagea sur un promontoire en terre fortement détrempée, à une trentaine de mètres au-dessus d’une cascade que formait la rivière. Et comme chaque fois qu’il parlait en cavale ‒ ainsi le disait-il lui-même pour évoquer ses sorties visionnaires ‒, il perdit quelques instants toute notion d’espace. Ce fut suffisant pour que son pied déséquilibré le fit verser sur la pente raide. Il eut tout juste le temps d’accrocher une main à la bordure. Il serait sans doute tombé si Babouh, qui errait par là, n’était accouru hors d’un fouillis d’arbustes et ne l’avait aidé à se hisser.
Pour le remercier, Akli emboîta le pas à Babouh comme si secrètement il l’avait invité à le suivre. Ce dernier se dirigea vers le hêtre qui enjambait la rivière et le franchit d’un pas alerte. Akli se mit à plat ventre et progressa doucement sur la cambrure écorcée, respirant à pleins poumons la mousse humide et les champignons noirâtres. Une fois sur l’autre rive, il s’engagea sur le chemin qu’avait emprunté Babouh.
Là, à maintes reprises, Akli fut assailli par des visions d’une telle force dramatique qu’il crut que l’étoile pour une fois le trompait, désorienté telle l’aiguille d’une boussole qu’on eût secouée trop violemment. Non, il ne pouvait se résoudre à croire à ce qu’elle lui annonçait.
Tout était si ignoble, si profondément injuste que même s’il s’avérait un jour qu’il avait été abusé par son étoile, se jouant à l’éprouver par de fausses prémonitions dans nul autre but que de l’endurcir, il ne pourrait exprimer à quiconque ce qu’il avait entrevu, pas même à son grand-père avec lequel il partageait tant de secrets. Le vieil homme le croirait fou s’il le lui disait.
Pourtant, Akli refoula ses visions en retrouvant Babouh dans une clairière où l’on entendait le doux écoulement du vent dans les feuilles. Il était assis sur un tronc réduit à sa base. Ses larges épaules ne bougeaient pas. Ses longs cheveux s’entremêlaient comme des lianes. On aurait dit qu’il faisait corps avec la forêt en restant immobile, insensible au passage de la brise.
Babouh se leva hiératiquement, s’approcha des blocs de granit qui formaient une voûte au nord de la clairière, et d’un geste de la main lui indiqua l’entrée d’une grotte. Aussitôt il s’y enfonça, aussi prompt qu’un lièvre dans son terrier, pour n’en plus ressortir. Avec mille précautions, Akli s’approcha à son tour et aperçut un couloir obscur où brillait le regard incitatif de Babouh. Sans hésiter, il s’engagea dans la cavité glacée, guidé par la respiration saccadée de son ami. Certes, l’air était peu abondant et contraignait à des efforts supplémentaires pour avancer normalement ; néanmoins, piqué par une sourde curiosité, Akli ne s’en inquiétait pas. Une fois encore, il ne consulta pas l’étoile. Il voulait se réserver la surprise de découvrir ce que son guide se proposait de lui montrer.
Doucement, ils se coulèrent dans les ténèbres fraîches des profondeurs secrètes de la terre. Akli se dit qu’ils devaient progresser sous la forêt, loin du monde qui vivait, étudiait, labourait, se battait, souffrait ou mouraient ; loin de toutes les luttes sanglantes, semblables à un mauvais rêve. Tout être qui pénétrait ces lieux était soudain protégé des influences nocives, des souffles mortifères des vents. Il se trouvait, par une sorte de grâce surnaturelle, affranchi du sort humain. Akli sentait tout cela sans que babouh lui parlât. Il lui suffisait d’être ici pour que toutes ces pensées lovées dans les cavités souterraines s’offrissent à lui. Divine force que la suggestion ! L’enfant savait ce que Babouh voulait lui dire. Il le remercia intimement de l’avoir emmené dans cette grotte pour connaître l’autre face des prédictions, l’expression des rêves bien vivants, au fond des citernes d’un monde invisible, mais tellement plus vrai et plus pur.
Akli était à nouveau désorienté. Il avançait cependant en compagnie de Babouh dans les sous-sols de la terre, vers une profondeur que tout son être ressentait comme étant le centre des choses, une attraction lumineuse qu’il suffisait de pressentir pour continuer de s’acheminer. Nul n’étant besoin de voir, de ce regard qui lui était nécessaire dans la forêt ou dans le village auprès des siens. Il suivant son guide, ignorant où ses pas le menaient. Dans la paroi, subitement, il découvrit une multitude de constellations qui faillirent le renverser d’éblouissement. Émerveillé, Akli ne bougeait plus. On aurait dit qu’on avait scellé dans la grotte un pan de petites lagunes miroitantes.
— Ce sont des opalines, dit Babouh avant de disparaître plus avant dans la nuit.
— Attends-moi, demanda Akli soudain désenchanté.
Mais aucun son ne lui parvint. Alors toute la paroi se ternit d’un seul coup. Babouh paraissait terriblement loin et Akli était angoissé comme la première fois où il n’avait pu franchir le bras du hêtre. Des arêtes aiguës venaient à l’encontre de son front. Les parois se rétrécissaient ; il fallut ramper sur le sol continûment mouillé. Le visage maculé, Akli avait un goût de glaise dans la bouche. Des gouttes glaciales descendaient sur sa nuque, puis le long de son dos. Il avait l’impression d’avancer depuis des heures, sans but, et il commençait à regretter de s’être enfoncé si profond. À tout instant, il craignait d’être submergé par des eaux résurgentes. Parvenu toutefois à un endroit évasé où l’air circulait librement, il se sentit apaisé.
— J’ai dû atteindre ce centre que je pressentais, se dit-il en inspirant à fond.
Tout à coup, il vit un lac à ciel ouvert où virevoltait un banc de poissons violets illuminant d’imperceptibles zébrures de sable blanc de la profondeur toute proche tellement l’eau était translucide. Akli n’en croyait pas ses yeux. Il lui semblait voir le cœur de la pureté du monde. Il pensa à son étoile, puis à toutes ces blancheurs et ces lumières qu’il avait découvertes tout près de lui.
— Les étoiles sont tout au fond de nous, lui soudain Babouh d’une voix aussi claire que l’eau du lac. Dans la vérité de notre cœur, on pressent ce que la terre nous cache pour ne le découvrir que si nos désirs sont purs.
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Depuis quelques instants déjà, des femmes, le dos chargé de fagots et de bêches, revenaient des champs en traînant le pas, lasses d’avoir creusé la terre. Des gestes qu’elles avaient exécutés, il ne restait plus qu’un corps meurtri et endolori. Maintenant qu’elles rentraient, elles allaient préparer le repas du soir et dans tout le village un fumet d’herbes et de légumes flotterait. Par petits groupes, elles avançaient. Quelques-unes portaient des enfants endormis, au visage crotté et terreux. Derrière, d’autres enfants plus grands menaient les chèvres et les brebis, frappant régulièrement le sol de leur bâton. Quand les mulets et les ânes geignant sous leurs charges apparaissaient, les hommes n’étaient plus loin. Ils suivaient les bêtes, les rudoyaient de coups et d’injures. Des chiens aboyaient furieusement et les derniers hommes, précédés par des adolescents joyeux à l’idée que demain ils deviendraient à leur tour de grandes personnes, ramenaient les socles et les piochons. Chaque jour d’automne, dans une clameur rituelle et harmonieuse, c’était ainsi que les crépuscules s’annonçaient. Sur les montagnes, les roches plus réelles sans la lueur du soleil révélaient leurs anfractuosités. Le village plongerait bientôt dans un profond sommeil que seules les grenouillères coassantes et les chacals jappeurs dérangeraient.
Akli regagna le jardin où il trouva son grand-père Larbi installé dans sa brouette. Sans mot dire, il s’assit près de lui sur la murette. Et tandis qu’ils regardaient ensemble pousser la nuit, Rex, à une centaine de mètres plus bas, allait et venait le long des thuyas clabaudeurs.
Au bout de quelques minutes, à brûle-pourpoint, Akli rompit le silence :
— Dis-moi, papy, pourquoi certaines personnes sont méchantes avec d’autres ?
— Tu penses à qui, fiston ?
— Aux villageois, et à ce qu’ils racontent sur Babouh.
— Tu sais, Akli, les grandes personnes parlent beaucoup. Mais elles croient rarement ce qu’elles disent.
— Babouh n’est pas celui qu’elles imaginent, grand-père !
— Je le sais bien, Akli.
— Que lui reproche-t-on alors ?
— Ce qu’on lui reproche ? Disons simplement… qu’on n’aime pas ceux qui n’ont ni feu ni lieu.
— Je ne te comprends pas, grand-père !
— Pour parler clairement : un homme de son âge ne peut pas rester éternellement sans enfant, ni femme, ni maison.
— On n’est pas libre de vivre comme ça nous plaît ?
— Dans une certaine mesure, si. En respectant nos lois, nos traditions. Sinon…
— Sinon quoi, grand-père ?
— Sinon, on est désigné du doigt.
— C’est tout ?
— Que vas-tu imaginer, fiston ? Nous ne sommes pas des sauvages, voyons !
— Est-il vrai que son cousin Mohand est pressé de mettre la main sur ses terres ?
— Qui t’a dit ça ?
— Mon père.
— Ce ne sont que des rumeurs, mon enfant. Cela fait des années que Mohand laboure les terres abandonnées de son cousin Babouh. Et celui-ci ne lui a jamais fait de reproche !
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- Quel est le sujet de votre livre "Le Murmure du figuier bleu", publié chez L'Harmattan en septembre 2014 ? - Le sujet de ce livre, c’est le rôle que les membres de ma famille ont joué dans ma vie de petit garçon et plus tard d’adolescent, m’ouvrant les portes de l’Histoire, m’initiant aux secrets de la Nature, me montrant comment rester sage face aux épreuves. Ce sont eux qui m’ont transmis les valeurs fondamentales de mon existence. Mais il y a également un autre acteur essentiel de mon enfance, c’est le figuier bleu. Il est mon plus fidèle confident et ce n’est pas un hasard s’il donne son titre au roman. Entretien avec Idir Tas, Algérie-Littérature-Action 197-200, janvier 2017.
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