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Peut-on rester de marbre devant ce verger de marbre ? Non. Pourtant, il n'y a pas plus calme qu'un verger de marbre, ses habitants ayant l'habitude de rester silencieux.

Malgré tout, ce verger ne m'a pas laissé de marbre et son écriture avait l'âpreté et la dureté d'une épitaphe dans un vieux cimetière perdu dans le trou du cul du Kentucky.

Le roman noir rural a le vent en poupe ces derniers temps et il faudra s'attendre un de ces quatre à mettre le pied et les mains dans une bouse, mai rassurez-vous, ce n'est pas encore le cas ici !

Une tragédie grecque à la sauce américaine, voilà ce que je viens de déguster en me reléchant les doigts. Une tragédie à la Caïn et Abel, mais je ne sais si c'est Caïn qui tue Abel ou Abel qui assassine Caïn dans ce cas-ci.

Beam est un ado de 17 ans, qui, comme tous les ados de 17 ans ne pensent pas à grand-chose dans la vie, si ce n'est tirer un coup de temps en temps…

Sa tragédie commencera lorsqu'en pilotant le ferry de ses parents qui fait la traversé sur la Gasping River, il tuera accidentellement un espèce de vagabond qui voulait lui piquer la caisse.

Bah, en temps normal, zigouiller un vagabond évadé n'aurait pas eu de conséquences trop lourdes, mais nous sommes dans une tragédie, donc, ce macchabée n'est autre que le fils du caïd local, Loat Duncan, un trafiquant de drogue, usurier, tricheur, un habitués des bars louches et psychopathe aussi.

D'accord, il n'en avait rien à foutre de son fils, en temps normal, mais là, ne rien dire et ne rien faire mettrait en péril son autorité et puis, il avait quand même un peu besoin de son fils vivant… du moins, une partie de son fils… Un vrai salaud, je vous dis !

Si le départ de ce roman noir est conventionnel au possible, qu'il pue le déjà-lu, je vous conseille de ne pas vous laisser abuser par cet air connu parce que la suite de la partition n'a rien à voir avec la musique du début !

Si au départ on aurait envie de laisser Beam avec ses soucis tant il a le charisme d'une moule avariée ou de lui coller une baffe tant il sait être têtu au possible et se foutre encore plus dans les emmerdes, au fur et à mesure de sa cavale – qui a tout d'une cavale sans issue – on sentira naître en nous de la sympathie pour ce gamin qui a eu la malchance de naître dans une Amérique rurale minée par le chômage et soumise aux caïds locaux.

Quant à Loat Duncan, le caïd local, il est réussi car c'est un salopard de première classe, tout à l'opposé de Beam qui lui est aussi intelligent qu'un bernacle mort et à un potentiel de séduction d'un poulpe rejeté sur la plage. C'est vous dire que face à Loat, Beam ne fait absolument pas le poids !

Les personnages secondaires ne sont pas en reste non plus et auront leur mot à dire dans toute cette histoire et quand bien même ils auraient un petit rôle, ce sont tous des rôles importants et ils laisseront une trace de leur passage dans les pages et dans votre vie de lecteur.

Quand à l'écriture de l'auteur, elle sait se faire poétiquement noire de temps en temps, mais pour le reste, ça clashe, c'est sec, dur, sans édulcorant pour faire passer le breuvage tiré des fruits du verger dont les personnages boiront le calice jusqu'à la lie.

Et puis, il y a cette relecture de l'histoire tragique de Caïn et Abel… ainsi qu'Abraham prêt à sacrifier son fils, même si ici, papa Clem ne veut pas le sacrifier au couteau mais lui demande de fuir.

Un excellent roman noir rural, même si je n'ai pas retrouvé les émotions de « Rural Noir » car ici, impossible de m'identifier avec l'un ou l'autre personnage.

C'est puissant et ça ne se boit pas au petit-déjeuner car ce genre de petit noir, il arrache !

Normal, on plonge sans masque et sans tuba dans la noirceur humaine…

(4/5)
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Une mort tragique un soir sur le ferry parcourant la Gasping River, et une mécanique infernale se met en route...

Un tout premier roman brillant, porté par une écriture remarquable, et une constructionqui fait mouche. C'est une histoire de fuite, de chasse à l'homme, de secrets de famille aussi. Un récit sombre, âpre, dépouillé, avec quelques épisodes de violence subite. Et toujours la noirceur, et le Mal, qui rôdent...

C'est aussi, et surtout peut-être, dans ce Kentucky rural, une sacrée galerie de personnages, dont certains bienveillants (le vieux Pete), mais d'autres particulièrement inquiétants (Loat Duncan, mais surtout celui dénommé le routier).

M'étonnerait pas en tout cas que ce roman finisse par être adapté au cinéma (peut-être est-ce déjà le cas ?)...
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Et au milieu coule une rivière

Cette rivière c'est la Gasping River, en plein Kentucky rural, dans un coin au moins aussi paumé que les gens qui y vivent. Pour traverser la Gasping, il faut prendre un vieux ferry tenu par Clem Sheetmire. Quelques fois, la nuit, il laisse les commandes à son fils Beam. Cette nuit là, c'est un type bizarre qui se présente à l'embarcadère. Beam le laisse monter sur le ferry mais lorsque le gars se montre menaçant, Beam le frappe avec un outil et le tue, un cas de légitime défense quoi... Ce qu'il ignore, c'est que c'était le fils de Loat Duncan, un genre de caïd du coin qui se ballade avec sa meute de dobermans spécialement dressés pour la chasse (à l'homme évidemment), que tout le monde semble redouter et avec qui ses parents ont une histoire bien particulière. Beam n'a pas le choix, il doit s'enfuir, le plus loin possible car Loat n'est pas du genre à laisser couler…
J'ai découvert Alex Taylor avec l'excellent « le sang ne suffit pas », et j'avais très envie de découvrir son premier roman qui s'avère finalement très différent, mais (presque) aussi bon. Attention, c'est toujours très noir, crépusculaire même… L'intrigue est conçue comme une mécanique implacable, une spirale infernale dans laquelle aucune échappatoire ne semble possible. Dans sa fuite éperdue, Beam rencontrera bien des personnages, mais deux sont vraiment marquants, le Bien et le Mal personnifiés en quelque sorte. le vieux Pete, d'abord, qui, lorsque les choses menacent de mal tourner (et au Kentucky, pour les blacks, c'est assez souvent), trouve refuge dans un ancien cimetière presque à l'abandon. Pete va prendre Beam sous son aile, pour quelques heures… Et il y a ce routier en costard, totalement barré -encore plus que Loat, que Beam aura le malheur de croiser… Autre « personnage », la nature, magnifique, les arbres aux noms évocateurs (pacaniers, érables, robiniers, ginseng) qui tranchent avec le contexte terriblement tragique de ce livre.
Tragiquement sans espoir.
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Le jeune Beam Sheetmire a toujours vécu dans le Kentucky (dans l'est des USA au sud de l'Indiana et au nord du Tennessee) dans un village isolé, au bord d'une rivière. Faute de pont à proximité, un bac permet le passage d'une rive à l'autre, moyennant quelques dollars. Le père de Beam gère cette petite affaire depuis plusieurs décennies. Beam le remplace occasionnellement pour conduire la navette. Une grosse bévue du jeune homme l'oblige à s'enfuir de ces lieux. Bonne occasion pour lui de démarrer une vie un peu plus palpitante ? Rien n'est moins sûr car son départ précipité attire l'attention et les suspicions, à tel point que Loat Duncan, caïd de la contrée, part à la poursuite de Beam.

Vous ne trouverez rien de bucolique dans ce récit qui se déroule dans un trou perdu des USA dans lequel la loi du plus fort semble toujours la meilleure - avec en toile de fond alcoolisme, prostitution et criminalité.
Certains personnages en prennent donc plein la gueule, et le lecteur aussi par la même occasion.
L'ambiance et l'écriture font penser à celles des romans de Donald Ray Pollock, mais sans la touche d'humour de ce dernier.
La lecture de cet ouvrage n'est cependant jamais fastidieuse, le suspense et l'émotion nous amenant à tourner les pages avec l'espoir d'un dénouement heureux.
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Néo Noir chez Gallmeister c'est un peu le rendez-vous des mauvais garçons de l'Amérique qui vous balancent des textes avec cet air nonchalant propre à ceux qui vous jetteraient un mégot à la figure. Ca brûle et ça surprend à l'image des romans qui hantent la collection. Pas vraiment des enfants de coeur, mais bourrés de talents vous ne rencontrerez pas ces écrivains dans les salons littéraires, mais plutôt au détour de bars enfumés, occupés qu'ils sont à écluser quelques verres pour se remettre des cours qu'ils dispensent dans des petites facultés de seconde zone. Et c'est dans ce vivier d'hommes et de femmes atypiques que l'on déniche des textes d'une cinglante beauté à l'instar du premier roman d'Alex Taylor intitulé le Verger de Marbre.

Au Kentucky du côté de la Gasping River ce sont les Sheetmire, père et fils qui conduisent le ferry pour franchir la rivière. Un boulot plutôt peinard qui ne rapporte pas grand-chose si ce n'est quelques ennuis avec des passagers irascibles. Mais quand l'un d'entre eux tente de le détrousser, le jeune Beam Sheetmire parvient à s'en sortir en le trucidant. Un acte qui ne va pas rester sans conséquence puisque la victime n'est autre que le fils de Loat Duncan, un puissant caïd extrêmement dangereux. S'ensuit une traque sans pitié où le chasseur, détenteur d'un lourd secret concernant sa proie, va tout mettre en oeuvre pour capturer Beam. Pour Loat Duncan qui se fout de l'honneur, il s'agit tout simplement d'une question de vie ou de mort.

Pour ceux qui éprouveraient une certaine lassitude vis à vis des aventures se déroulant dans l'Amérique rurale, il leur est recommandé de surmonter leurs appréhensions pour se plonger dans un récit qui figure parmi les plus aboutis dans le genre. Et puisqu'il s'agit d'une affaire de traque dont les codes ont été définitivement entérinés avec des films tel que La Nuit du Chasseur de Charles Laughton ou des ouvrages comme Non Ce Pays N'est Pas Pour le Vieil Homme de Cormac McCarthy, Alex Taylor s'est employé à détourner les règles du genre en nous soumettant un texte aux entournures lyriques plutôt surprenant où l'on décèle quelques influences gothiques, diffusant ainsi une atmosphère crépusculaire pas forcément glauque. Il y a un véritable souffle poétique qui se dégage de ce récit inquiétant truffé de métaphores et de périphrases à l'image du titre de l'ouvrage désignant sous une forme plus lyrique, le cimetière où débute et se conclut l'intrigue.

Le Verger de Marbre se distingue également au niveau des protagonistes qui habitent le roman. Ainsi Beam Sheetmire, jeune homme plutôt maladroit et irréfléchi, n‘inspire aucun sentiment d'empathie tant il sème le chaos et la désolation auprès des proches qui tentent de lui venir en aide. de ses maladresses ne résultent qu'une succession de tragédies à la fois déroutantes et violentes qui ne cessent de heurter le lecteur. Quant à son adversaire, Loat Duncan, une espèce de Némésis démoniaque, flanqué de ses chiens féroces, il apparaît bien plus vulnérable qu'il n'y paraît, particulièrement lorsqu'il côtoie cet étrange routier vêtu d'un costume noir. Avec ce personnage au symbolisme exacerbé, on perçoit une aura étrange, presque fantastique qui plane au-dessus de cette histoire intrigante. Au-delà d'une thématique basée sur la vengeance, Alex Taylor pimente l'intrigue en intégrant d'autres enjeux qui se révèlent plutôt originaux pour un roman riche en péripétie. Abruptes, singulière et très souvent cruelles, les confrontations permettent de révéler les caractères de protagonistes dont le côté manichéen est atténué par les veuleries des uns et le courage des autres que l'on ne retrouve pas forcément là où l'on pourrait les déceler.

Les rivières écumantes charrient leurs lots de déchets et autres objets hétéroclites, tandis que les terrains instables s'affaissent alors que l'eau prend une étrange couleur orangée dans ce comté du Kentucky parsemé de maisons abandonnées. Alex Taylor dépeint ainsi d'une manière plus subtile, notamment par le biais de brillantes plages descriptives, les affres d'une région rongée par les maux insidieux de la pollution. Allégorie sur le mal qui se décline sur tous les plans, le Verger de Marbre exhale les relents malsains d'individus qui n'ont plus grand-chose à perdre dans cette lente agonie silencieuse et inquiétante émanant d'un obscur territoire dépourvu d'avenir.

Alex Taylor : le Verger de Marbre (The Marble Orchard). Editions Gallmeister 2016. Traduit de l'anglais par Anatole Pons.

A lire en écoutant : Love de G. Love & Special Sauce. Album : Philadelphonic. Sony Music Entertainement Inc. 1999.
Lien : http://monromannoiretbienser..
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Le verger de marbre, un premier roman d'exception

Un nouvel auteur vient de rejoindre la collection NeoNoir des éditions Gallmeister : Alex Taylor.

Son premier roman, le verger de marbre, sent la sueur et la poussière. On pourrait croire que toutes les malédictions du monde pourraient s'abattre sur les habitants de cette région du Kentucky. le malheur et la douleur semblent être le lot quotidien des personnages issu de l'imagination de l'auteur.

Rarement, un roman m'aura fait ressentir son atmosphère à ce point. C'est lourd, pesant, et cette histoire nous fait ressentir le mal-être qui règne sur les berges de cette rivière.

Tout commence une nuit, quand Beam Sheetmire prend sur son ferry un passager qui s'avère être violent. Lorsque celui-ci tente de le voler, le combat s'engage. Beam vient de commettre son premier meurtre. Lorsqu'il en parle à son père, celui-ci lui conseille de fuir, car les foudres des caïds locaux ne vont pas tarder à s'abattre sur lui.

Qui est cet inconnu qui git au fond de la rivière ? Quels sont les secrets qui hantent la famille de Beam ? Et pourquoi le terrible Loat Duncan veut-il sa peau ?

Mon avis

Ce roman est addictif. Dès la première page, on se retrouve plongé en enfer, pourtant, ce n'est qu'un début et la chute est encore longue. Un seul roman m'avait fait ressentir une ambiance si malsaine : « le diable tout le temps » de Daniel Ray Pollock. J'ai fortement apprécié les personnages. Alex Taylor a eu le génie de rendre les ordures parfois touchantes. J'ai pu imaginer que certains allaient changer, que d'autres allaient devenir amis, et que même au Kentucky l'espoir existe. J'ai été bien naïve.

Cette chasse à l'homme, dans laquelle Beam rencontre des personnages tous plus abjectes les uns des autres est contrebalancée par une histoire familiale complexe. le Personnage de Derna, la mère de Beam, est également très spécial. Cette femme est un feu qui couve dont les sentiments semblent s'être taris depuis si longtemps...

Vous l'aurez compris, « le verger de marbre » d'Alex Taylor est un roman qui rejoint ma catégorie « Coups de coeur ».

Je vous conseille ce roman pour :

— L'atmosphère pesante

— Les personnages si particuliers

— L'histoire familiale

— La description des scènes et paysages qui est juste magique

Lien : http://que-lire.over-blog.co..
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J'ai lu le verger de marbre comme on lirait une tragédie : c'est le récit d'une fuite, celle d'un homme qui en tue un autre.
Beam Sheetmire est décrit dès les premières pages comme différent des membres de sa famille : il ne ressemble pas vraiment à son père Clem dont le métier consiste à faire traverser à quelques clients, à bord d'un ferry, la Gasping River dans le Kentucky.
Clem en Charon, faisant franchir le Styx aux morts s'ils veulent trouver la paix de l'âme ? le rapprochement est bien tentant…
Cinq dollars le passage, à peine de quoi se payer une bière et un paquet de cigarettes : « Beaucoup de peine pour pas grand-chose »…
Parfois, c'est Beam, son fils, qui s'en occupe. Encore ado, « un sang fiévreux dans les veines » et souffrant de narcolepsie, il ne sait pas trop quoi faire de lui.
Or, une nuit, il est abordé par un inconnu qui refuse de payer, finit par accepter et tente finalement de lui voler sa caisse. Beam le tue. Son père lui dit de fuir. Il obéit.
Cette fuite sera, pour le jeune garçon un peu paumé, un espace de rencontres, d'apprentissages et de révélations. La lumière se fera progressivement. Il me fait penser à Oedipe fuyant les prédictions des prêtres de Delphes afin d'échapper à son destin et qui découvre, mais trop tard, qu'il a assassiné son père et épousé sa mère. « Plus on s'éloigne de la vérité, plus c'est dur d'y revenir » dira un des personnages… Il y a de l'Oedipe dans Beam et de la mythologie dans le verger de marbre.
Beam rencontrera des hommes et des femmes qui lui voudront du bien parfois, du mal souvent. Il ne comprendra pas pourquoi on veut l'aider et finira progressivement par saisir, mais trop tard, pourquoi on veut le tuer.
Et puis, il y a ce personnage étrange et fascinant qui porte un costume trois-pièces, un chauffeur de camion, dont personne ne comprend les propos métaphoriques, énigmatiques et lourds de sous-entendus, un homme toujours présent là où on ne l'attend pas, dans un lieu où il n'a rien à faire, où il ne connaît personne. Est-il le Mal, est-il la Mort, celui qui dira au shérif : « Vous pouvez trouver ça difficile à croire, mais il y a un ordre qui vous dépasse. Vous en faites pas partie. », celui qui apparaît et disparaît « comme s'il n'avait jamais été » ?
Beam rencontre aussi Pete Daugherty, le ramasseur de ginseng, celui qui raconte des histoires et semble vouloir le prévenir : les terres sont devenues maudites, il faut partir, s'éloigner… le vieil homme soigne, apaise, rassure : il est l'incarnation du Bien.
Autre figure du Bien : celle du shérif Elvis Dunne, un pauvre Créon fatigué, chargé de faire régner un ordre auquel il ne croit plus vraiment, lui qui, comme l'oncle d'Antigone, se plaît à collectionner les antiquités et à les admirer, unique moment de paix …
Qui va gagner dans ce combat de forces antagonistes ?
Les tragédies antiques données lors des fêtes de Dionysos commençaient par le sacrifice du bouc, le mot « tragédie » signifiant d'ailleurs en grec « chant du bouc ». Or ici, l'animal est bien présent, attaché au poteau du bar de Daryl où règnent les caïds du coin, les prostituées et les paumés. Il ne sera pas mis à mort mais, dans une scène quasi surréaliste, on lui enlèvera un rein qu'on lui donnera à manger.
Ultime perversion.
Est-ce à dire que le monde moderne ne cherche même plus à apaiser la colère des dieux par des offrandes, que le destin -le fatum- nommé ici misère, alcoolisme, banditisme, prostitution, meurtre est devenu inéluctable ?
Le verger de marbre est un roman fort, puissant qui met en scène des déshérités, des gens usés par la vie, piégés par une existence glauque dans laquelle ils s'enfoncent irrémédiablement chaque jour.
C'est une tragédie : la règle des trois unités n'est pas loin d'être respectée.
Unité de temps : en quelques jours, l'affaire est bouclée.
Unité de lieu : les personnages semblent incapables de quitter les terres maudites où ils vivent. Ils semblent tourner en boucle et revenir sans cesse au point de départ comme piégés dans un monde hors du monde, un monde dont on ne sort pas.
Unité d'action : fuir, fuir, fuir.
C'est fort parce que c'est serré, étouffant, mystérieux, tendu, comme habité par un mal dans lequel les personnages semblent empêtrés.
Beam l'innocent ne fait finalement que payer les fautes de ses géniteurs. En cela, il est un homme tragique. Il subit. « - J'ai bien essayé de vivre comme il fallait, dira sa mère, mais il y a ce monde. Il te piège, il t'attrape des fois, tellement qu'on dirait que les choses qu'on fait sont pas vraiment nous. Elles sont ce que quelqu'un d'autre aurait fait. »
Façon naïve de sentir qu'on est pris dans les filets, qu'un oiseau de mauvais augure plane au-dessus de notre tête comme pour signifier qu'on est le prochain sur la liste.
Les personnages de l'oeuvre sont présentés comme des êtres complexes, difficiles à cerner : on les découvre progressivement, au détour du chemin, d'une phrase, d'une histoire qu'ils racontent. On ne comprend pas toujours leurs motivations, on cherche des raisons, on émet des hypothèses… Ils ont une épaisseur et une force incroyables.
Les dialogues acquièrent parfois une dimension philosophique. Les acteurs de cette tragédie peinent souvent à se comprendre, à comprendre les autres, à saisir le sens de leur propre existence.
Leur malheur est à l'image de la Gasping River, sans fond. « Les choses peuvent pas couler sans s'arrêter » fait remarquer Beam. La vie lui apprendra que si, que l'on peut tomber longtemps, très longtemps, sans jamais s'arrêter…
Et puis enfin, seul refuge finalement dans ce monde terrible, la nature. Elle est là, omniprésente, dans sa beauté irréelle, sa sensualité infinie, sa force et sa violence sauvages et la langue d'Alex Taylor ainsi que la superbe traduction d'Anatole Pons l'enchantent, la poétisent, la transforment en personnage quasi central de l'histoire dans une langue lyrique envoûtante…

Je finirai en citant les paroles du Choeur dans Antigone d'Anouilh qui dit ceci : « Dans la tragédie on est tranquille. D'abord on est entre soi. On est tous innocents en somme ! Ce n'est pas parce qu'il y en a un qui tue et l'autre qui est tué. C'est une question de distribution. Et puis, surtout, c'est reposant la tragédie, parce qu'on sait qu'il n'y a plus d'espoir, le sale espoir ; qu'on est pris comme un rat, avec tout le ciel sur son dos, et qu'on n'a plus qu'à crier,-pas à gémir, non, pas à se plaindre,- à gueuler à pleine voix ce qu'on avait à dire, qu'on n'avait jamais dit et qu'on ne savait peut-être même pas encore. »

Pas de doute, on y est… et c'est sublime !

Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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La famille Sheetmire, Derna, la mère, Clem, le père, et Beam, le fils de dix-sept ans gère le bac qui permet de traverser la Gasping River, quelque part au fin fond du Kentucky. À l'occasion, Clem ne rechigne pas à dépouiller un ivrogne monté sur son bateau. Ni ça, ni le chômage devenu endémique dans ce coin qui se désertifie ne facilite les affaires. Et quand Beam, une nuit, tue un client un peu trop agressif, tout commence à partir en vrille. Car Beam n'a pas tué n'importe qui. La victime n'est autre que le fils de Loat Duncan, l'homme le plus puissant du comté. Trafiquant, usurier, psychopathe tenant la région dans sa main, Loat, même s'il n'éprouve pas grand-chose pour son fils, a des principes : on ne touche pas aux siens, car c'est remettre son autorité en question. Clem l'a bien compris, qui pousse Beam à fuir à travers bois pour aller au Diable qui est certainement moins dangereux que Loat. Mais, on s'en doute, Duncan n'est pas près de lâcher prise ; d'autant plus qu'il a un autre intérêt vital à mettre la main sur Beam.
Et là, le lecteur qui aime Daniel Woodrell, William Gay, Chris Offut, ou Frank Bill, pour n'en citer que quelques-uns se dit qu'il a déjà lu cette histoire plusieurs fois. Pour peu qu'il ait été comme moi un peu déçu par quelques-unes des dernières nouveautés estampillées « rural noir » – oui, je pense à Bull Mountain – il y a des chances pour qu'il aborde le verger de marbre avec circonspection.
Et, de fait, l'entrée en matière du Verger de marbre laisse à penser qu'Alex Taylor ne fait pas forcément dans l'originalité.
Sauf que, une fois le personnage de Beam et la situation initiale mis en place, Taylor ne se contente pas de copier ses estimables confrères. Si les influences sont bien là, l'auteur n'en arrive pas moins à offrir au lecteur un roman original et, pour tout dire, drôlement bien ficelé. D'abord parce que ce roman initiatique met en scène un héros, Beam, qui n'a a priori pas un grand potentiel de séduction. Adolescent à la masse, un peu lâche, pas très malin, il aimante les ennuis et, généralement, ce sont les autres qui pâtissent à sa place. C'est en fait avant tout l'opposition à Loat Duncan, pourriture de classe internationale et candidat à la couronne du plus gros méchant de la littérature de ces dernières années qui finit par susciter chez le lecteur une once de sympathie à l'égard de Beam. C'est aussi certainement le personnage de Derna, formidable femme malmenée par la vie mais droite dans ses bottes et l'amour qu'elle porte à son fils qui finit par faire voir Beam d'une manière plus indulgente.
Autour de ces personnages principaux tourne aussi toute une procession d'hommes et de femmes que Taylor ne néglige pas et auxquels il donne chair avec talent. le shérif Dunne et Pete Dougherty, partagés entre leur crainte de Loat et la révolte que sa tyrannie inspire, Ella, rugueuse et fragile, Daryl et son désir de vengeance, et ce mystérieux routier qui porte au roman une certaine aura fantastique au point que l'on peut se demander si l'on est face à un roman noir ou à une histoire horrifique.
Car Alex Taylor plante aussi une ambiance particulière dans cette Amérique profonde abandonnée des dieux et dans laquelle, abondante littérature et surenchère dans la violence oblige, on ne sait plus si l'on navigue dans le fantasme, le mythe ou la rude réalité. Si le décor, construit avec rigueur et sens du détail semble en effet ancrer le récit dans une matérialité triviale, l'écriture de Taylor, pas dénuée de poésie et qui se plaît à laisser autour du réel des zones d'ombre, rend tout cela étrangement onirique et mouvant.
Et c'est avec une certaine délectation que l'on se laisse entraîner dans ce Kentucky hors du temps et parfois cauchemardesque à la suite de personnages de tragédie.

Lien : http://www.encoredunoir.com/..
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Une traque, une chasse à l'homme avec un côté tragédie antique, le Hasard s'étant chargé de piper les dés.
Un monde désenchanté, glacial, d'une pâleur maladive et d'une lassitude fiévreuse et illusoire
Des hommes et des femmes enchainés à leur destin et une rivière, peut-être le seul personnage qui soit libre.
Du noir, du vrai noir, porté par une langue âpre, rugueuse, magnifique.
« Il sentit de nouveau le whisky, la bouse et la boue, et quelque chose de plus ancien et de plus fort, et puis il sut que c'était l'odeur du sang. »
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Sombre, sombre, sombre!

Au fin fond du Kentucky-mais le Kentucky n'est-il pas le fin fond (avec quelques autres états) de l'Amérique...- un jeune homme sans ambition et somme toute assez fade tue un homme.

Pas de chance cet homme est le fils de la terreur du coin !

Pas d'autre solution que de fuir dans un coin où tous se connaissent, où les embrouilles se multiplient à loisirs et où chaque personnage est plus tordu, retors,violent, malhonnête que le précédent.

La traque du jeune Beam nous promène dans des lieux glauques où la nature, pourtant très présente, n'est même pas une source d'espoir et les humains encore moins.
Lien : http://theetlivres.eklablog...
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