L'intrigue est découpée en quatre parties, sans que je n'ai pu savoir la raison de ce découpage, pourquoi quatre et pas trois ou cinq ? D'ailleurs, séparer en quatre le roman ne m'a pas paru être une idée qui allait de soi car le mettre sous forme de séquences n'y apporte rien de plus et a seulement l'air d'être un prétexte pour intercaler des mots de la langue parlée à Désolation, qui n'apportent eux non plus pas davantage à l'intrigue. Je me suis dit que ces mots devaient bien avoir une utilité pour la partie du récit qu'ils représentent, mais non, même pas. Dès le début du roman, je me suis retrouvée face à un certain nombre d'éléments qui n'avaient strictement aucune utilité pour ma lecture et j'ai eu peur que ce soit le cas pour le reste du roman.
Mais malheureusement, le problème principal de ce livre est indéniablement le nombre d'informations qui sont fournies mais qui ne servent pas positivement l'expérience de lecture. Au lieu de m'immerger davantage dans l'univers proposé par l'autrice, ils m'ont fait soupirer de lassitude. Des détails sont décrits longuement alors qu'ils n'ont ni intérêt ni retentissement dans l'intrigue. Beaucoup de scènes sont de trop, et je suis certaine que si j'enlevais les passages qui m'ont semblé être improductifs, j'obtiendrai non plus un pavé de presque 700 pages, mais un roman classique de 300 à 400 pages. La raison de cette diminution est très simple : lorsqu'une scène se déroule, l'autrice la raconte sous le point de vue de plusieurs personnages les uns après les autres, rendant la scène particulièrement redondante, et peut aussi rappeler une caractérisation plusieurs fois en quelques pages pour que le lecteur comprenne bien, alors qu'une seule fois était suffisante (c'est le cas au début du roman, lorsque l'autrice décrit Thyon Nero par rapport à Lazlo, en disant que le premier est riche et le deuxième pauvre, et que ce parallèle est répété au moins trois fois en deux pages).
Les univers de fantasy sont très complexes à créer car s'il y a de la magie, il faut en préciser les règles, les limites et les coûts pour les personnages qui l'utilisent, s'il y a une religion inventée, il faut qu'elle ait une raison d'être et qu'elle fasse partie du quotidien des personnages, et si un voyage est prévu dans l'histoire, il faut que le lecteur puisse avoir conscience de sa matérialité, souvent représentée à travers une carte dans les premières pages du livre. Or dans ce roman, ces trois principes n'ont pas été respectés.
couverture
Premièrement, la magie n'a aucune explication dans l'histoire : elle a une place aléatoire dans le roman, elle n'est pas structurée et nous ignorons comment elle fonctionne. Les dieux (pourquoi sont-ils appelés dieux alors que ce sont des enfants de dieux et d'humains donc des demi-dieux ?) possèdent un don chacun, mais ce don peut se déclarer n'importe quand dans la vie de son porteur. Nous n'avons que l'exemple de quelques dons, comme faire contrôler les plantes, les rêves, les nuages, les fantômes ou le Mésarthium, le métal magique, mais avec ce peu d'informations, nous sommes obligés de conclure que les dons peuvent n'avoir aucune limite. Par conséquent, le lecteur ne peut pas faire grandir l'intrigue dans son imagination car celle-ci est régie par des règles qui n'existent pas ou qui ne lui sont pas livrées, et donc perd un certain intérêt à la lecture.
Deuxièmement, en ce qui concerne la religion, celle-ci m'a rendue assez indécise. Des séraphins et des dieux sont évoqués mais leurs rôles dans la cohésion du monde sont complètement passés à côté du récit. Il ne semble même pas avoir de culte puisque les dieux sont détestés des humains. Chose étrange également : les dieux sont mortels et vivent en compagnie des humains, contrastant totalement avec l'idée même de dieu. Ce sont les raisons pour lesquelles la religion proposée dans cette histoire m'a laissée pantoise.
Troisièmement, la géographie de l'univers est très floue. Plusieurs royaumes sont évoqués dont Zosma, le royaume originaire de Lazlo, mais aucun n'est exploré. Nous ignorons tout de ces royaumes, à part la légendaire bibliothèque pour Zosma et une tour pour une autre contrée. Concernant Désolation, nous savons juste qu'une citadelle cache le ciel des habitants terrestres. En revanche, nous ignorons comment ces habitants vivent, quelles sont leurs coutumes, leurs professions… Même le voyage de six mois entre Zosma et Désolation est abrégé en quelques pages, sans donner le temps au lecteur d'apprécier ce premier changement dans l'intrigue. En bref, aucun lieu n'est approfondi, si ce n'est l'esprit de Lazlo là où se concentre la seconde moitié du récit.
De plus, pour une raison qui n'est encore une fois pas donnée, les personnages ont tous deux coeurs : le premier pour faire circuler le sang dans le corps et le deuxième pour l'esprit. Cet esprit a le seul emploi dans tout le roman de servir à changer du métal en or. Et cette utilité n'est pas exploitée du tout, si ce n'est pour montrer que Thyon Nero peut devenir immensément riche s'il le souhaite. Dans un roman de fantasy où les personnages peuvent ne pas être humains ou légèrement diverger des humains, il est primordial d'expliquer pourquoi ce changement est nécessaire. Dans
le Faiseur de rêves aucune explication n'est fournie à ce propos. Il en est de même pour la peau bleue des dieux, qui est pourtant un élément central quant à la haine des humains envers eux.
II n'y a pas de structure dans l'importance des personnages, étant donné qu'ils ont presque tous le même temps de parole et de pensée, à part Lazlo et Sarai qui sont les personnages principaux. Thyon, qui était important dans le début du roman, passe pour un personnage tertiaire dans tout le reste du récit alors qu'il est probablement un des deux antagonistes. Pour qu'un récit soit intéressant et équilibré au niveau des forces qui s'opposent, il faut que le protagoniste et l'antagoniste soient tous les deux des personnages principaux, ce qui n'est pas du tout le cas ici. de plus, aucun des personnages de la troupe de Eril-Fane n'est utile. Aucun n'est développé, même Calixte qui a tout de même droit à quelques dialogues.
L'écriture est probablement le seul point entièrement positif de ce roman, si tant est que nous puissions en écarter toutes les redondances et les descriptions inutiles. En effet, le style de l'autrice est tout en métaphore, en image, plein de lyrisme et d'émotions, avec un vocabulaire avancé. Cependant, ce style a tendance à vouloir aller dans le trop spectaculaire et à créer des scènes belles par le style mais peu pertinentes pour le récit. Tout est décrit avec beaucoup d'emphase, mais cela n'empêche pas de constater que l'écriture est particulièrement travaillée, surtout pour un roman dont le public cible n'est pas l'adulte. Outre les définitions de certains mots en langue inventée au début de chaque partie,
Laini Taylor a pris le parti de donner des titres à ses chapitres. Ces titres ne sont pas innocents car ce sont des citations des-dits chapitres qu'ils représentent. le roman s'alourdit alors d'une énième redondance, peu utile encore une fois, mais qui accentue le lyrisme du livre.
Mais malgré tous les points négatifs que j'ai pu relever, cette lecture est très vite passée, les pages se tournaient d'elles-mêmes alors que le roman est quand même un pavé de plus de 600 pages. Et c'est ce qui me donne envie de lire le tome 2 : si le tome 1 est passé aussi vite, pourquoi je n'irai pas découvrir le deuxième qui pourrait me surprendre ? C'est pourquoi je conclus ma critique sur une note plutôt positive : ce roman est globalement un bon moment de lecture.
Points positifs :
– écriture fluide et travaillée
– idée de base originale
– univers onirique et poétique de qualité
Points négatifs :
– personnages statiques et fades
– conflit presque inexistant
– récit trop long par rapport aux péripéties
– univers très bancal
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