Surtout connu comme poète, Tchicaya u Tamsi, originaire du Congo, a aussi écrit des textes en prose et quelques pièces de théâtre, dont ce Destin glorieux du Maréchal Nnikon Nniku Prince qu'on sort (1979).
L'oeuvre se compose de trois Plans et de nombreuses séquences, ces dénominations évoquent un aspect cinématographique. Nous sommes dans un pays qui n'est pas nommé, mais qui fait penser au Congo, pays de l'auteur. Au début de la pièce, deux soldats inspectent la prison, qui visiblement devra être rapidement utilisée. Nous nous rendons ensuite dans un bar, dans lequel deux jeunes gens, Lheki et Nniyra jouent à une forme de provocation. Mais les choses s'accélèrent : nous suivons à la radio du bar un coup d'état : le président en titre est en train d'être renversé par un caporal, Nnikon Nniku. Des tirs se font entendre, des soldats apparaissent, le barman est tué.
Dans le deuxième plan, nous revenons à la prison, nos deux soldats se voient confier un prisonnier, un enfant, fils du président assassiné. Nous avons quelques aperçus de la façon délirante et mégalomaniaque dont Nnikon Nniku gouverne. Pendant ce temps, Lheki et Nniyra entrent à leur façon dans la résistance. Nniyra attire les soldats avec ses charmes, puis ils sont tués.
Dans le troisième plan, Nnikon Nniku est de plus en plus sanguinaire et absurde dans sa façon de gouverner. Mais des idées de prise de pouvoir germent dans d'autres têtes, en particulier dans celles des soldats du début de la pièce, éveillées sans doute en partie, par l'enfant et un geôlier fantôme, qui pourrait bien symboliser la mort. le tyran est renversé aussi aisément qu'il a triomphé lui-même et exécuté à son tour. Que va-t-il arriver au nouveau homme fort ?
La pièce analyse la gouvernance dans un pays sans boussole, où n'importe qui peut s'emparer du pouvoir, sans aucun projet politique. le pouvoir est un but en soi, qui ne fait qu'alimenter la spirale de la violence et de la mort, dans un absurde permanent. Il y a quelque chose de shakespearien dans cette vision des tyrans qui se détrônent les uns les autres, avant de finir chacun à leur tour par succomber sous les coups de l'aspirant suivant. Mais nous sommes au XXe siècle, le siècle des idéologies, et il s'agit d'habiller la prise de pouvoir dans un discours justificateur, ici tourné en ridicule, en parodie. L'auteur évoque aussi la façon dont ces pouvoirs tyranniques sont facilement reconnu et entretenu de l'extérieur, à condition que le tyran accepte de satisfaire certaines exigences de pays tiers, ce qui lui permet de martyriser son peuple en toute impunité.
Même si l'auteur se place dans un contexte africain, il a incontestablement l'ambition de donner un aspect universel à sa pièce. le lieu n'est pas nommé, aucune date n'est donnée. Une sorte de choeur intervient avec des textes poétiques et qui généralisent les situations particulières évoquées. le réalisme côtoient une sorte d'absurde, il y a un fantôme (sans doute un symbole de la mort).
C'est une oeuvre riche et puissante, qui mériterait d'être plus connue, et qui doit avoir une réelle efficacité sur une scène.
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Nyiyra : Porcs. Pourquoi, par souci d'ordre, nous nous croyons contraints de vivre une cruelle parodie de notre vie... de notre indépendance ? Une sinistre parodie. La liberté devient synonyme de crime et quel crime ! Je ne crois pas que d'autres peuples ont connu cela. Ris : tu es suspect. Ne ris pas : tu es suspect. Tout est ainsi, pourquoi ?
Le Geôlier : Cette mort-ci est un fait divers. Cette mort-là est un drame national. Laquelle des deux n'est pas fausse ? Le chagrin de ce peuple est une colère. Cinq doigts pour un poing levé, quelle arme est-ce ? La mort qu'un petit déluge sur ce corps. Laissons-le dormir.
Tchicaya U TAM'SI – Une Vie, une Œuvre : 1931-1988 (France Culture, 1998)
Émission "Une Vie, une Œuvre", par Catherine Pont-Humbert, diffusée le 22 octobre 1998 sur France Culture. Invités : Tahar Bekri, Jacques Chevrier, Gabriel Garran, Boniface Mongo Mboussa, Patrice Yengo, Jacqueline Sorel, Claude Wautier et Jean Dion.