Ce tome reprend les 4 épisodes de la minisérie du même nom, initialement parus en 2014. Il s'agit d'une histoire complète et indépendante de toute autre.
Ben Templesmith a tout fait : scénario, dialogues, dessins, mise en couleurs et effets spéciaux, et même le lettrage.
Dans plusieurs années, la Terre a été soumise par des monstres à tentacules (qui doivent beaucoup à
Howard Philips Lovecraft) qui ont décimé l'humanité, se sont installés sur Terre et ont développé une caste de prêtrise humaine. de son côté l'humanité a vaillamment lutté ; elle a amélioré génétiquement des soldats appelés Squidder pour être de taille à lutter contre ces monstres, en vain.
Jack Smith est un squidder qui a survécu aux guerres, et qui en est réduit à vendre ses services à petits barons capables de le payer. L'un d'entre eux lui demande de lui ramener Perséphone Greyspark, une prêtresse du Calmar (traduction de Squid) qu'il a acheté à un rival et qui ne lui a jamais été livrée.
Ben Templesmith est un artiste complet à la personnalité graphique très affirmée, connu pour avoir créé 30 Days of night avec
Steve Niles. Il a également réalisé plusieurs histoires tout seul, telles que la trilogie Wormwood (The first few pints) ou Welcome to Hoxford.
Ce qui attire le lecteur en premier lieu, réside dans cette personnalité graphique.
Ben Templesmith. Pris un par un ses dessins peuvent ressembler des gribouillages vite fait recouverts de plusieurs couches d'effets spéciaux pour masquer leur vacuité. Pourtant la lecture de cette histoire (comme de ses autres oeuvres) plonge le lecteur dans un environnement dense et immersif, parfois claustrophobe et étouffant.
Effectivement quand le lecteur s'attarde sur les formes encrées des images, il est saisi par leur aspect esquissé, comme fait à la va-vite. Dans la première page, le toit d'une chaumière est matérialisé par des coups de crayon (peut-être infographique) repassé rapidement pour une forme oblongue et gribouillée. Ces chaumières qui n'apparaissent qu'en ombre chinoise sont déposées à la va-vite dans la case, sans réel sens de profondeur, encore moins d'urbanisme rudimentaire. La chevelure de la jeune fille en bas de la page est elle aussi gribouillée comme le ferait un enfant de 5 ans.
La morphologie des individus laissent parfois à désirer, des cous trop longs, ou des pieds démesurés (celui de Squidder page 22). Quand Squidder serre les dents, elles sont représentées sous forme d'une ligne brisée (des petits triangles), sans aucun rapport avec la réalité. Enfin le lecteur qui fait l'effort de regarder les pages se rend compte que le pourcentage de cases comprenant un arrière-plan est très faible (même pour un comics).
Pourtant pour prendre conscience de cette absence majoritaire de décors, il faut faire un effort. En effet, dès la première page, le lecteur est emporté par la narration, à commencer par sa composante visuelle.
Templesmith se sert de la couleur pour donner une forte identité visuelle à chaque séquence. Il utilise les camaïeux pour communiquer la sensation que chaque surface est irrégulière, et que chaque atmosphère vibre au gré des états d'esprit des personnages, et des émotions qui les habitent. Loin de pouvoir être réduites à un simple remplissage pour masquer l'amateurisme des dessins, les compositions chromatiques établissent l'interdépendance des personnages dans chaque scène, et attestent de leur vie psychologique.
De manière toute aussi étonnante, les dessins en apparence bâclés de
Templesmith suffisent pour raconter l'histoire, sans constituer un obstacle à l'immersion. Au fur et à mesure, le lecteur prend conscience que le degré de précision apporté par l'artiste varie en fonction du degré d'attention de l'observateur. Page 31, il esquisse grossièrement une bouteille d'alcool parce que la narration n'a pas besoin de s'embarrasser de la forme exacte de la bouteille ou même de la marque de l'alcool. Page 85, il s'attarde plus sur les particularités du corps de Squidder pour faire apparaître les signes extérieurs des implants cybernétiques.
À plusieurs reprises, le lecteur prend également conscience que ce faible degré de précision dans les éléments figuratifs permet à
Templesmith de faire passer des événements un peu gros (telle que la naissance peu commune page 84). À d'autres moments, il se rend compte que
Templesmith maîtrise à la perfection l'art de se contenter du minimum de traits. Ainsi page 99, le lecteur peut voir les ajouts technologiques dans le corps du squidder à l'occasion d'une radio. L'effet visuel est entièrement convaincant, pourtant à y regarder de près l'artiste n'a pas dessiné grand-chose. Épatant.
Au départ, l'intrigue produit un peu le même effet que les dessins, induisant un sentiment de superficiel.
Templesmith empile les stéréotypes, avec un soldat baroudeur revenu de tout et qui a perdu sa femme Fiona, une invasion de calmars géants plein de tentacule, et l'obligation de prendre en charge Perséphone Greyspark encombrante et cassante (formant avec Squidder un couple mal assorti). Petit à petit, le lecteur découvre que Jack Smith est désabusé à juste titre, que les calmars géants se sont bien installés, c'est-à-dire que l'auteur a imaginé un personnage et une situation dotés d'une grande cohérence interne. Puis, il se rend compte que
Templesmith a une vision personnelle et solide de ces monstres, avec quelques éléments originaux, et un objectif qui tient la route. Perséphone Greyspark se révèle un personnage plus étoffé que prévu, et la motivation de Jack Smith est également plausible.
Complètement immergé par les dessins, le lecteur découvre avec plaisir que le scénario ne se limite pas à une accumulation de clichés pour enfiler les affrontements successifs entre le héros invincible et les méchantes bébêtes pleines de tentacules. Cette histoire propose donc un voyage graphique peu commun, où l'amateurisme apparent des images recouvre en fait une approche conceptuelle aussi élaborée qu'efficace. Elle comprend également une intrigue classique, avec plusieurs surprises au fil des pages, et des personnages qui deviennent vite attachants.