Citations sur Sur les chemins noirs (912)
Je persistais à croire que vivre ainsi, à l'écart des grandes voies, ne garantissait ni le confort, ni l'équilibre psychique mais permettait d'échapper au pire : les coups de téléphone et la queue dans les magasins, c'est-à-dire la défaite du temps et de l'espace.
Le jour, nous étions en quête de petits commerces dans des villages endormis. Trouver un café équivalait à chercher l’oasis au sud de Ouarzazate. Glion, Villedieu avaient été frappés d’un sort funeste. Le destin les avait affligés d’une nationale.
On est rural parce que l’on reste fixé dans une unité de lieu d’où l’on accueille le monde. On ne bouge pas de son domaine. Le cadre de sa vie se parcourt à pied, s’embrasse de l’œil. On se nourrit de ce qui pousse dans son rayon d’action. On ne sait rien du cinéma coréen, on se contrefout des primaires américaines mais on comprend pourquoi les champignons poussent au pied de cette souche. D’une connaissance parcellaire on accède à l’universel.
On y avait gagné un silence de parking. Il n’y avait pas un vrombissement dans l’air.
Récemment, le chef de l'Etat français s'était piqué d'infléchir le climat mondial quand il n'était pas même capable de protéger sa faune d'abeilles et de papillons
Nous cherchions les chemins noirs. Nous allions sur des sentiers où affleuraient des plaques de roche blessée de lumière et buvions l'eau de pluie dans les vasques calcaires. Nous convoitions les pistes des sous-bois. Il fallait être attentifs, ne pas manquer le départ des sentiers. Parfois le soleil lustrait le rocher et nous nous allongions dans les reflets de cire, jouant les chats, offerts à la lumière, étirant les muscles.
Les chemins noirs dont je tissais la lisse avaient cette haute responsabilité de dessiner la cartographie du temps perdu. Ils avaient été abandonnés parce qu'ils étaient trop antiques. Ce n'était plus considéré comme une vertu.
C'étaient mes chemins noirs. Ils ouvraient sur l'échappée, ils étaient oubliés, le silence y régnait, on n'y croisait personne et parfois la broussaille se refermait aussitôt après le passage. Certains hommes espéraient entrer dans l'Histoire. Nous étions quelques-uns à préférer disparaître dans la géographie.
Entre moi et le monde il n'y avait que l'air tiède, quelques rafales, des herbes échevelées, l'ombre d'une bête. Et pas d'écran ! Aucune information, pas d'amertume, pas de colère. Ma stratégie de retrait distillait sa jouvence dans mes fibres.
p.41
C'en était fini des armoiries de Provence - calcaire, olivier et tuile romaine. A partir d'ici, nous changions d'héraldique. A l'est, nous laissions l'esprit de l'air traversé de soleil : la Provence. Ici, sur les pentes du massif volcanique, l'esprit d'un très vieux feu dormait sous les bogues.
p. 81