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Citations sur Sur les chemins noirs (903)

Une batterie d'experts, c'est-à-dire de spécialistes de l'invérifiable, y jugeait qu'une trentaine de départements français appartenait à " l'hyper-ruralité". Pour eux, la ruralité n'était pas une grâce mais une malédiction : le rapport déplorait l'arriération de ces territoires qui échappaient au numérique, qui n'étaient pas assez desservis par le réseau routier, pas assez urbanisés ou qui se trouvaient privés de grands commerces et d’accès aux administrations. Ce que nous autres, pauvres cloches romantiques, tenions pour une clef du paradis sur Terre - l'ensauvagement, la préservation, l'isolement - était considéré dans ces pages comme des catégories du sous-développement...
Au lieu d'écrire "Par les champs et par les gréves", le futur Flaubert qui traverserait ces étendues pourrait se fendre d'un "Par les ZUP et pat les ZAC". Les bénéficiaires de ces aménagements feraient de bons soldats, des hommes remplaçables, prémunis contre ce que le rapport appelait les "votes radicaux". Car c'était l'arrière-pensée : assurer une conformité psychique de ce peuple impossible.
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Je quittai Oraison par un pont sur la Durance et montai, dans les oliviers, vers le village de Lurs où je sifflai un sirop, sur une terrasse de terre tachée par l'ombre des mûriers. L'alcool m'était interdit par l'Académie de médecine. J'avais bu pour la vie au cours de ces dernières années, noyé des caravanes de souvenirs dans des gués de vodka. A présent : fini ! Le robinet magique était fermé. Je payais cher la dette contractée au bureau des excès. Ne pouvant me permettre de réveiller les démons, il me fallait oublier la grâce de l'ivrogne : celle d'accueillir des carnavals dans son crâne. Et ce soir, sous un ciel pourtant idéalement bariolé pour vider une carafe de vin de Provence, je me contentais d'un verre flasque. Le paysage se borna à ressembler à ce qu'il était.
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Le paysage n'est jamais drôle, cela je l'avais remarqué autour du monde, mais parfois il semble ivre.
Torturé par les soubresauts des plissements, il devient fou.

La tectonique est l'opium du paysage.
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Je savais comment me déplacer puisque je tenais la marche à pied pour une médecine générale qui serait la clef de ma reconquête.
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Un rêve m'obsédait. J'imaginais la naissance d'un mouvement baptisé confrérie des chemins noirs. Non contents de tracer un réseau de traverse, les chemins noirs pouvaient aussi définir les cheminements mentaux que nous empruntions pour nous soustraire à l'époque. Dessinés sur la carte et serpentant au sol ils se prolongeraient ainsi en nous-même, composeraient une cartographie mentale de l'esquive. Il ne s'agirait pas de mépriser le monde, ni de manifester l'outrecuidance de le changer. Non ! Il suffirait de rien avoir de commun avec lui. L'évitement me paraissait le mariage de la force avec l'élégance.
Orchestrer le repli me semblait une urgence. Les règles de cette dissimulation existentielle se réduisaient à de menus impératifs : ne pas tressaillir aux soubresauts de l'actualité, réserver ses colères, choisir ses levées d'armes, ses goûts, ses écœurements, demeurer entre les murs de livres, les haies forestières, les tables d'amis, se souvenir des morts chéris, s'entourer des siens, prêter secours aux êtres dont on avait connu le visage et pas uniquement étudié l'existence statistique. En somme, se détourner. Mieux encore ! disparaître. “Dissimule ta vie”, disait Épicure dans l'une de ses maximes (en l’occurrence c'était peu réussi car on se souvenait de lui deux millénaires après sa mort). Il avait donné là une devise pour les chemins noirs.
Nous serions de grandes troupes sur ces contre-allées car nous étions nombreux à développer une allergie aux illusions virtuelles. Les sommations de l'époque nous fatiguaient : Enjoy ! Take care ! Be safe ! Be connected ! Nous étions dégoûtés du clignotement des villes. Tout cela ne faisait pas un programme politique. C'était un carton d'invitation à ficher le camp.
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Je voulais m'en aller par les chemins cachés, bordés de haies, par les sous-bois de ronces et les pistes à ornières reliant les villages abandonnés.
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Le matin, j'aperçus une bergerie dans un creux. Une femme lisse, rose, avec de grosses joues de Flamande et des biceps nus s'affairait sur le seuil. Elle sortait d'un Bruegel et rentrait de la traite.
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Ils n'avaient pas écouté Jean Cocteau lançant cette grenade à fragmentation dans son adresse à la jeunesse de l'an 2000 : "Il est possible que le progrès soit le développement d'une erreur."
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Les phrases sont des prescriptions pour les temps difficiles.
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Il fallait que les hommes fussent drôles pour s'imaginer qu'un paysage eût besoin qu'on l'amenageât. D'autres parlaient d'augmenter la réalité. Un jour peut-être s'occuperaient-ils d'éclairer le soleil ?
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    Dans quelles circonstances Sylvain Tesson est-il tombé du toit ?

    Il y était monté pour faire des réparations.
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