...Les sociologues modernes se persuadent que l'homme est perfectible, que le progrès le bonifie, que la science l'améliore. Fadaises ! Le poème homérique est immarcescible, car l'homme , s'il a changé d'habit, est toujours le même personnage mêmement misérable ou grandiose, mêmement médiocre ou sublime, casqué sur la plaine de Troie ou en train d'attendre l'autobus sur les lignes du siècle XXI.
Notre époque s'hypnotise d'images. Nous préférons une GoPro à un propos, nous croyons qu'un drone élève la pensée et nous voulons de la haute définition avant d'avoir quelque chose à définir. Dans les temps homériques, la poésie régnait, le verbe était sacré. Les mots s'envolaient, « ailés » selon Homère. Pour un héros, inscrire son propre nom dans l'épopée constituait une gloire ! On s'enracinait dans la mémoire des hommes, le verbe octroyait sa part d'immortalité. En bref, la parole consacrait l'existence. Les muses n'étaient-elles pas les filles de la mémoire de Zeus ?
Tout le sens de la vie consiste à rétablir dans son cadre ce qui en a été exilé.
La nature féconde le regard, le regard nourrit l'inspiration, l'inspiration engendre l'oeuvre.
L'Odyssée n'aura été qu'une série d'aventures vécues par des hommes mais fomentées par des femmes. La tapisserie de Pénélope ne symbolise-t-elle pas la haute lisse de nos destinées qui se tissent et se détissent ? Athéna secondait Ulysse, Calypso le retenait, Pénélope tenait à distance les putschistes. Hélène était la cause de la guerre de Troie, les magiciennes ourdissaient leurs pièges, les monstrueuses filles de Poséidon et Gaïa, comme Charybde et Scylla, fauchaient les marins. L'homme croit vivre ses aventures. En vérité, ce sont les femmes qui le manipulent. Les premières seraient bien mal inspirées de vouloir être les égales des mâles alors qu'elles lui sont supérieures.
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Il est plus aisé de régner sur des humains si ceux-ci se déchirent.
Selon son inclination, chacun pouvait se reconnaître dans tel ou tel. Les partisans de la force brute penchaient vers Ajax. Ceux de la noble tendresse vers Hector, les tacticiens choisissaient Ulysse, les thuriféraires de l'amour paternel friam, les esprits ambigus et virils, Patrocle. Quant à moi, qui ai consacré une partie de ma vie à boire de l'alcool et l'autre à grimper sur les immeubles, je me retrouvais dans Élpénor qui mourut en tombant dans l'escalier de Circé après avoir abusé de vin.
Si nous aimons à nous identifier aux héros grecs, c'est qu'aucun d'entre eux n'est parfait. Le temps du Dieu monothéiste lointain et abstrait n'était pas advenu. Nous vivions l'âge des divinités faillibles, attachantes, car elles dansaient sur les bords de leurs propres abîmes.
"Fugit irreparabile tempus" : mot de Virgile en forme de nom de baptême d'un vaisseau qui s'appelle la Terre sur un océan qui s'appelle le vide.
Bref, Zeus joue aux dominos. […] Aujourd’hui, les joutes compliquées de Zeus ont leur équivalent au Moyen-Orient où les puissances mondiales placent leurs pions sur un damier comme on planterait des torchères sur le couvercle d’un baril de poudre. Zeus veut la guerre des hommes pour avoir la paix de l’Olympe.
A convoquer la perfection de l'organisation naturelle, la grâce des bêtes, la gloire des phénomènes et la vigueur des plantes, Homère cerne l'une des facettes du divin. Est divin ce qui se tient dans la présence pure, dans l'explosion du réel. Le divin miroite dans la complexité immanente de la nature. Il y est incorporé.