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sur 148 notes
Apres Satan a Goray je replonge avec ce livre dans une autre histoire de messie. Grand plongeon cette fois: un millier de pages. Ca fait beaucoup et a mon avis l'auteur (auteur ou auteure? Qu'est-ce qui est le plus juste?) aurait pu en couper une petite flopee, mais elles restent pour la plupart interessantes et meme agreables a lire.

Un millier de pages pour raconter en long en large et en travers un messie, Jakob Frank, un mouvement messianique, le frankisme; ses antecedents et son devenir; comment il est accueilli, embrasse par les uns et combattu par les autres; les idees qui l'enfantent et les divagations qui le tuent, ou le contraire; un messianisme juif qui se rapproche du christianisme, jusqu'a pousser ses suiveurs a la conversion: vrai acte de foi ou supercherie? Et beaucoup de pages pour la reaction, et les actions, de la curie locale, c.a.d. la polonaise, et des juifs qui chassent le mouvement. Tous manipulent, tous sont manipules. Mais ce n'est pas tout.

Un millier de pages pour raconter en details les periples du messie et ceux de ses suiveurs, qui s'entrecoupent, s'eloignent et se rapprochent, divergent et confluent. Des routes et des paysages de Turquie, De Grece, de Pologne, d'Ukraine, de Roumanie, d'Allemagne. Des arrets en de grandes villes, Smyrne, Lwow, Varsovie, Vienne, en de moyennes comme Brunn ( la Brno d'aujourd'hui), Czestochowa, et en beaucoup de toutes petites bourgades, aux noms et aux marches exotiques, Rohatyn, Busk, Lanckorun, Podhajce, Glinna, et j'en passe et pas des moindres (ah! Miedzyboz! Miedzyboz!).

Un millier de pages pour expliquer le chemin qui mene d'idees, de croyances plus ou moins esoteriques a des pratiques scandaleuses. L'auteur essayera de nous faire comprendre le raisonnement de penseurs comme Issakhar (Isohar dans ce livre) de Smyrne ou Rabbi Nahman Ben Samuel Levi de Busk. Et les decisions doctrinales du messie, de Frank, qui transgressent toute morale traditionnelle. La transgression est le pain de tous les jours dans ce messianisme, puisqu'avec l'arrivee du messie on passe d'une ancienne ere a une nouvelle, ou il n'y a plus de frontieres entre le bien et le mal, ou la notion de peche est obsolete.

Beaucoup de pages pour cerner le charisme de ce rustre mal degrossi qu'etait Frank. Parce qu'il a ete suivi par de nombreux lettres, qui avaient frequente les meilleures ecoles, les plus grandes yeshivot polonaises, pas seulement par une foule simple et pauvre.

Et surprise (pour moi en tous cas), beaucoup de pages pour nous raconter l'ecriture d'un recueil, encyclopedique bien que naif, rassemblant des savoirs grappilles un peu partout sans aucune verification ni discussion, et nous presenter son auteur, le pere Chmielowski, qui anticipe et annonce les Lumieres en Pologne. Un homme admirable, perdu parmi des hommes d'eglise qui ne recherchent que pouvoir et honneurs.

Et j'allais oublier de dire que l'auteur (auteure? Je vais utiliser son nom, ce sera plus simple: Olga Tokarczuk) a fait un travail de recherche assez pousse. Les noms sont des noms de personnages reels; l'histoire qu'elle raconte suit la vraie histoire, mais elle ecrit un roman, alors elle y mele des elements fantastiques, comme une aieule qui n'arrive pas a mourir, qui ne peut pas mourir, meme quand on l'ensevelit dans une grotte cachee, inexploree, et qui suit, en survolant les temps et les lieux, les peripeties de tous ses descendants. Cela donne un roman historique aureole de mystere, de merveilleux, et cela sied tres bien au sujet.

Tocarczuk a ecrit un livre etonnant, developpant des themes fascinants. Quel est le terreau (historique, sociologique) propice a l'apparition d'un messie, d'un sauveur aux dons divins, magiques, qui est cense apporter paix et bonheur a tous, et qui finit, quand il reussit, ou quand ses suiveurs reussissent, a n'apporter que des reformes, une nouvelle religion ou une nouvelle secte? Comment expliquer l'acharnement contre l'ancienne religion ou societe que le mouvement messianique voudrait changer, ou plutot remplacer, heriter? Comment expliquer par exemple que les franquistes renouvellent - au 18e. siecle! - les accusations contre les juifs de meurtre rituel, alors que les hierarchies chretiennes n' y croient plus depuis longtemps et les recusent? Est-ce que le frankisme est en fait un essai d'emanciper les juifs? J'ai eu l'impression que Tokarczuk pousse un peu dans cette direction, et que c'est pour appuyer ce qui peut etre vu comme un premier vecteur vers une modernite juive qu'elle y mele cet autre essai de modernisation, l'ecriture d'une premiere, hesitante, encyclopedie polonaise. Qu'elle mele au parcours de Frank celui, beaucoup moins controversial, de Chmielowski. Quant a moi je crois que Frank et son mouvement n'etaient qu'une version du passe, des querelles et des solutions d'antan, pas la revelation d'un possible futur. Pour moi, Frank symbolise l'esprit ancien du shtetl, et en ce qu'il s'y revele de moins bon, meme quand il en sort. le futur est porte a la meme epoque par un philosophe, Moses Mendelssohn, qui lui, annonce l'Aufklarung, les Lumieres, et s'y trempe corps et ame tout en restant juif.

Olga Tokarczuk a ecrit un livre ardu, mais accessible quand meme. Et quand on s'accroche, le melange de realisme et de prodigieux devient fascinant. Fascinante aussi sa facon de ventiler des dilemmes, de susciter moult sujets de reflexion. Un long livre, un gros pave, qui commence par se meriter et finit par devenir impossible a lacher.

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Poursuite de la découverte de l'oeuvre nourrissante, foisonnante et atypique d'Olga Tokarczuk, cette fois en mode longue durée et courts chapitres savourés chaque soir à l'heure du conte comme des gorgées d'une savoureuse tisane, et mon enthousiasme ne se dément pas, loin de là.

Pour peu qu'on s'y laisse couler, Les livres de Jakob sont un voyage, que dis-je, une épopée à travers les âges et les croyances, une symphonie car les livres de cette auteure à la profondeur bienveillante si singulière dégagent leur propre musique, une immersion d'un réalisme envoûtant au coeur d'une Europe orientale que les Lumières commencent à peine à caresser.

C'est de cette lumière en devenir que nait Jakob Frank, le visionnaire mystique qui pense par -delà les dogmes et les religions établies, Juif de basse extraction et de grande ambition, Messie auto-proclamé qui emmènera ses adeptes vers la foi ottomane puis vers la catholique, faisant fi des frontières d'une Pologne qui vit ses dernières années d'indépendance. Prophète génial, clown grotesque, meneur d'hommes incomparable, charlatan sublime, gourou acariâtre qui prêche le libre amour et se réserve toutes les femmes, prône la mise en commun des biens qu'il privatise largement à son profit.
Aussi haut qu'il s'élève et aussi bas qu'il tombe, ses adeptes ne cessent de le suivre et de l'adorer, et nous lecteurs de l'admirer autant que de le honnir selon que l'on l'observe dans ses travers (sur)humains ou à travers le regard hostile, intéressé ou hypocrite des autorités catholiques, juives ou des puissances séculières de l'époque.

En attendant et au-delà de tout cela, jamais je n'avais ressenti avec une telle sensation de réalité le gras de la bougie à l'huile au fond de la chaumière, l'épaisseur de la nuit froide sur les murs d'un couvent au fond des bois, la fatigue du tendon sur la jambe du pèlerin, la crasse délétère de l'adepte de la secte honnie ou la chaleur veloutée du kilim sous le pied du maître.
Et tous ces mots, ces images et pensées si propres à l'auteure qui parsèment le récit et s'en échappent pour venir vous frapper le coeur et l'esprit...
Ce livre aura été pour moi un long et enrichissant périple dont je ressors orpheline.
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J'avais entendu parler de l'homme que les Juifs d'Europe centrale avaient reconnu au XVIIIème siècle comme étant le Messie tant attendu.
Ce roman est son histoire, celle de Jakob Frank ou devrais-je dire Lejbowicz, ou Jakob le Sage, Jakob le rustre, le baron Dobruski ou plus simplement le Maître ? Son histoire et celle de ses adeptes.
Vivant tour à tour dans des cabanes, des châteaux, une prison, dans le sable, la poussière, la boue, la neige, ce Messie auto-proclamé parle plusieurs langues. Cet homme d'un incroyable charisme va créer un mouvement unique qu'on appelle aujourd'hui le Frankisme mais que ses adeptes appelait la Havurah, la fraternité.
Juif d'origine, il refusera les préceptes du Talmud, adoptera des pratiques musulmanes, chrétiennes s'affranchissant de toutes règles, s'accordant toutes les libertés y compris sexuelles provoquant le rejet, la colère ou l'admiration, la fascination.
Ce récit est foisonnant. Les personnages sont nombreux : amis, ennemis, fidèles, traitres... Ils parcourent l'Europe centrale en tous sens jusque dans l'Empire ottoman, la Russie, pour faire de nouveaux adeptes, transmettre les nouvelles, récolter des dons, se trouver des alliés si possible puissants ou fuir leurs détracteurs.
Ce n'est pas toujours simple de suivre les pérégrinations de personnages à travers les frontières de Podolie, Moldavie, Galicie et qui en plus voit leur nom changer : nom juif, diminutif, nom polonais après les baptêmes, voire germanisé.. même si Olga Tokarczuk s'efforce le plus souvent d'associer les anciens-nouveaux noms pour aider le lecteur à s'y retrouver.
Il reste que si cette lecture m'a demandé des efforts, car c'est une région du monde que je connais peu à cette époque hormis les généralités d'usage, je me suis tout de même laissée porter par cette histoire incroyable.
La vie quotidienne est particulièrement bien restituée : les habitations, le linge, la nourriture, le froid, la maladie.
J'ai été épatée par la mise en réseau des différentes communautés qui parviennent avec les moyens si sommaires de l'époque à communiquer efficacement (presque).
J'ai été sensible aux personnages si riches. Celui de Jakob évidemment aussi fascinant qu'exaspérant, à la fois séducteur, charmant, roublard, grossier, égoïste… Mais aussi le charmant encyclopédiste polonais Benedykt Chmielowski, le fidèle Nahman, sans oublier les personnages féminins dont certains sont d'une très grande force telle Yaha, Gitla, Katarzyna Kossakowska et l'être de cristal Ienta, la non morte.
Car oui, tout cela est vrai y compris les charmes, les prédictions, les miracles..
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Un gros volume d'un millier de pages, un très grand voyage. Dans le temps, dans l'espace, dans les cultures, avec de nombreux personnages. Cela commence au milieu du XVIIe siècle, dans les communautés juives, sur les confins de l'Europe, entre la Pologne, l'Ukraine, l'empire ottoman. le personnage principal, qui donne son titre au livre, Jakób Frank, né en Podolie, mais très vite parti à Smyrne, ville dans laquelle vit le successeur d'un messie auto-proclamé, Sabbataï Tsevi dont Frank va reprendre le flambeau, groupant autour de lui une secte de « vrais croyants ». Secouer surtout la chape de plomb de la tradition juive, et trouver peut-être enfin une place digne pour leur communauté. le monde est en pleine mutation, le royaume de Pologne vit ses dernières années, les puissances européennes se recomposent, la révolution française et les bouleversements qu'elle va provoquer sur tout le continent couve.

C'est le tableau de ce monde en mouvement que dresse Olga Tokarczuk par le biais de son personnage messianique. Frank va rassembler des milliers de disciples dont certains lui seront fidèle jusqu'à la mort, et au-delà, leurs enfants et petits enfants prenant le relais. Sa doctrine, étrange veut détruire la loi de Moïse, traverser le mal pour précipiter le monde vers sa destruction. Sabbataï Tsevi a été contraint de se convertir à l'islam, Frank s'y converti aussi, mais décide d'amener ses disciples à passer au catholicisme. Traverser les trois religions prend un sens mystique. Il va susciter de l'intérêt, voire de l'enthousiasme, mais vite de la méfiance. Il va côtoyer des grands seigneurs, des souverains, mais connaîtra la prison, ses disciples subiront des persécutions, traverserons des épidémies, des violences. Il restera d'une certaine façon toujours fidèle à lui-même, dans ses costumes orientaux, chamarrés et somptueux, dans son charisme qui lui donne une grande emprise sur ses fidèles, dans son mysticisme.

Olga Tokarczuk reste en quelque sorte en retrait, elle dresse le tableau de tous ses personnages, Frank en premier, mais aussi des autres, de ses proches, des grands seigneurs qu'il approche ou qui jouent un rôle dans son destin, d'un prêtre auteur d'une sorte d'ouvrage encyclopédique et de plein d'autres, sans porter de jugement de valeur, sans pénétrer d'une façon trop poussée dans leur intimité psychique, en les regardant vivre de l'extérieur en quelque sorte. Un personnage étrange donne d'ailleurs une forme d'unité au livre, une femme qui aurait dû mourir et qu'un charme a empêché de le faire au temps indiqué, et qui flotte dans une sorte de coma, dont l'esprit se déplace et voit les événements, sans pouvoir y prendre place, ni même au final ressentir grand-chose à leur vue, même si une forme de curiosité semble subsister en elle. Cette distance peut être frustrante au départ, mais donne sans doute au final sa puissance au livre, lorsque la vaste fresque se dissout petit à petit en même temps que le destin des personnages s'achève.

Nous aurons entre-temps voyagé dans sept pays, suivi de nombreux personnages, quitté des moeurs très anciennes pour envisager des temps nouveaux à venir.
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L'ambition affichée dans sa construction, ses dimensions imposantes (près de mille deux-cents pages dans son édition de poche !), mais aussi, et surtout, l'immense travail de recherche nécessaire à son élaboration, l'ampleur et l'originalité de son propos, et enfin la qualité des réflexions qu'il suscite chez le lecteur, font à mon sens de ce roman un des monuments littéraires les plus impressionnants et aboutis de ce siècle.
Publié en 2014, après de longues années de préparation, époustouflant d'érudition et d'imagination, cette oeuvre prodigieuse inspire tout d'abord un profond sentiment d'admiration, et d'humilité aussi. Il serait en effet vain de la part du lecteur lambda, lors d'une première lecture courante, à défaut de pouvoir s'appuyer sur divers autres supports bibliographiques et d'avoir effectué de très nombreuses consultations parallèles à sa lecture, de vouloir embrasser et maitriser la totalité des notions convoquées et l'ensemble des domaines traversés par ce colosse littéraire!

La littérature, à contre-courant de la démarche poursuivie par la raison pure, rechercherait d'après cette belle formule trouvée par Olga Tokarczuk, «la perfection des formes imprécises».
Suivant à la lettre ce précepte, naviguant avec aisance, force érudition et une désinvolture admirables entre différents genres et registres littéraires, LES LIVRES DE JAKOB, roman historique, chronique détaillée d'une époque -le XVIIIe siècle en Pologne- mettant en scène de très nombreux faits et personnages réels, dont son personnage central, Jakób Frank, à la source de l'un des plus importants mouvements messianiques de toute l'histoire du judaïsme, est en même temps une fiction teintée de réalisme magique s'inspirant des littératures traditionnelles yiddishs, ainsi qu'un exercice remarquable d'exégèse de textes religieux et ésotériques tels le Talmud, le Zohar, l'Ancien Testament ou certains écrits issus de la gématrie et de la Kabbale.

Roman-fleuve captivant, brillante analyse de la «machine messianique» et, donc, à un autre niveau de lecture, exploration littéraire de haute volée autour de certaines des conceptions fondamentales de la mystique judaïque traditionnelle, telles par exemple, l'origine du monde, la nature divine de la création ou la genèse du bien et du mal, son auteure ne céde par ailleurs, à aucun moment, ni à la tentation d'une simplification qui consisterait à épingler l'épisode messianique frankiste plutôt comme une vaste fumisterie engendrée par un cerveau dérangé, ni à celle de faire couler son ambitieuse entreprise littéraire sous le moule d'une «stravaganza» parodique et érudite, à la Umberto Eco...

L'effervescence qui s'était emparée du judaïsme à cette époque y est décrite de manière détaillée et très éloquente, et il faut bien le préciser, «de l'intérieur», Olga Tokarczuk se soustrayant systématiquement à tout jugement ou distanciation critique par rapport aux faits dont elle s'inspire pour son roman.
Ce climat d'agitation spirituelle dans la communauté juive serait tout d'abord à mettre en lien avec le contexte historique chaotique où celle-ci s'était retrouvée à partir du XVe/XVIe siècle, suite à l'expulsion des juifs séfarades de la Péninsule ibérique qui s'étaient alors massivement dirigés vers des territoires affichant une plus grande tolérance envers d'autres pratiques religieuses (l'Empire ottoman, l'est de l'Europe, notamment le royaume de Pologne). Cette dispersion allait rebattre les cartes non seulement de la géographie humaine, mais aussi spirituelle du judaïsme.
À l'infiltration progressive d'une certaine ferveur dans les pratiques religieuses traditionnelles, ainsi que des thèmes chers à la dimension ésotérique, propres à la branche séfarade, la diffusion de l'étude de la Kabbale et de son traité fondamental, le Zohar (« Livre de la Splendeur ») au sein des cercles, des écoles et des séminaires dédiés aux études judaïques dans les nouveaux territoires d'asile, vont se joindre les sentiments de peur et d'insécurité qui s'y installeront progressivement, déclenchés notamment par la violence inouïe des persécutions et massacres perpétrés en Podolie et Volhynie par les hordes de cosaques de Chmielnicky vers le milieu du XVIIe siècle, nourris également par l'instabilité politique qui touchera ensuite le royaume de Pologne, à partir du XVIIIe siècle. Menacé par la voracité grandissante de ses puissants voisins et par une ingérence russe de plus en plus prégnante, fondamentalement antisémite, l'affaiblissement progressif et inexorable de l'Etat polonais ravivera en même temps le grand traumatisme de la diaspora sépharade.
Ces deux facteurs, conjugués, vont finir par constituer un terreau propice à la remise en cause des dogmes traditionnels du judaïsme talmudique, à l'émergence de nouveaux courants religieux déviationnistes, à la prolifération de sectes hérétiques et de phénomènes de type messianiques. C'est ainsi que de personnages tels Baal Chem Tov, rabbin dissident, fondateur historique du hassidisme en Ukraine, ou, dans l'Empire ottoman, les messies Sabbataï Tsevi, à Andrinople, et Baruchya Russo (Osman Baba) à Salonique -précurseurs et inspirateurs de la doctrine de Jakób Frank- occuperont parmi nombreux autres, moins importants, l'espace d'un siècle, entre 1650 et 1750, la scène d'un judaïsme alors en pleine déshérence.

Des notions kabbalistiques telles la «rédemption» ou la «réparation du monde» («tikkoun») sont alors présentes dans la grande majorité des débats, enflamment les esprits. La gématrie devient l'une des principales clés de lecture des textes sacrés, on prospecte ferme sur l'avènement prochain du Messie en procédant à des calculs compliqués pour établir la date de la fin du monde (le palmarès revenant à un certain moment, et pour cause, à l'année 1666!).

Selon la Kabbale médiévale espagnole, «Dieu créa les lettres de l'alphabet, pour que nous ayons la possibilité de lui raconter Sa Création».
La poétesse polonaise Elzbieta Druzbacka, l'un des nombreux personnages historiques qu'Olga Tokarczuk ressuscite dans LES LIVRES DE JAKOB, écrira à son tour, dans une lettre adressé au père Benedykt Chmielowskis, premier «encyclopédiste» historique polonais, que par ce «quelque chose de tremblé» présent dans son usage des mots et renvoyant à des significations multiples, la littérature serait seule susceptible de dépeindre "un tableau de l'univers dans toute sa complexité et immensité". En comparaison, la représentation que donne la raison et la science resteraient, selon Elzbieta, aussi plates que «des traits noirs sur une surface blanche».

Thaumaturgie ou imposture ? Quête mystique ou charlatanisme ? Exaltation spirituelle ou mise-en-scène savamment orchestrée? Révélation de mystères ou argutie spécieuse ?
Olga Tokarczuk, se jouant astucieusement des mêmes codes ambigus et «tremblés» qui régissent le discours messianique, lorsque ce dernier s'affranchit des dogmes d'une raison qui ne semble plus en mesure de répondre aux aspirations de son époque, réussit , brillamment, à introduire de manière subreptice une dimension mystique et téléologique à son récit des rouages temporels conduisant au messianisme frankiste, là où L Histoire ou la pensée rationnelle seraient portées à circonscrire le phénomène dans quelque chose de contextuel et de contingent, et dans laquelle l'imagination «créatrice de sens multiples» n'aurait en principe aucun rôle important à jouer...

À ces «livres de Jakob» relatant le parcours, les péripéties, souvent aussi les excès et les impostures attribués au dernier des grands Messies de l'histoire du judaïsme, qui aura réussi à rassembler autour de lui des dizaines de milliers d'adeptes dans toute l'Europe et à inciter un bon nombre de ses partisans à violer la Loi talmudique, à transgresser les valeurs morales les plus strictes de leur époque, à abolir quasiment tous les interdits en vigueur dans la société de leur temps, Olga Torkarczuk, par un tour de force remarquable, réussit à son tour à insérer un niveau de narration «merveilleux», atemporel et supra-réel, sorte de «Livre» des livres dont le fil rouge sera soutenu par le regard porté sur l'évolution des évènements par le magnifique personnage de la matriarche juive Ienta, sommeillant entre vie et mort à travers les époques, oubliée par l'agitation du monde au fond d'une grotte, ou encore par le récit caché qu'en fait Nahman de Busk, le disciple le plus fidèle et brillant de Jakób Frank, habité par une soif mystique profonde, sincère et désintéressée. Les écrits cachés de ce dernier, notamment, regroupés sous l'appellation de «Reliquats» feront eux aussi vivre «de l'intérieur» au lecteur, provisoirement suspendu entre histoire et fiction, entre littérature et spéculation, cette quête mystique élevée, le positionnant au coeur même de ces questions théologiques passionnantes dont l'ambition « tremblotante » était de réussir à approcher la complexité et l'immensité de l'univers…

Les débats qui ont essaimé en Europe aux XVII et XVIIIe siècles, de Smyrne à Salonique, et jusqu'en Ukraine, en Volhynie ou en Podolie, en viendront cependant à faire basculer en profondeur les fondements mêmes du judaïsme traditionnel, entraînant à leur suite un véritable séisme au sein de la communauté, lourd de conséquences. Et qui, sous certains de leurs aspects, se prolongeront en filigrane jusqu'aux temps modernes, ainsi qu'en témoignera, par exemple, le regard transcendant de Ienta dans les derniers chapitres du roman.

Le siècle des Lumières, en libérant peu à peu la communauté juive de la contrainte absolue au ghetto et du statut millénaire de «mi-citoyens», et par la même occasion des menaces de ruptures violentes en son sein provoquées par les dérives sectaires - seul moyen jusque lors de subvertir l'ordre établi, de remettre en cause l'exclusion répétée des juifs par leurs hôtes successifs et d'espérer rétablir cette place imaginaire de «peuple élu» promue par les textes fondateurs -, n'empêchera pas, toutefois, que certains échos de ces épisodes douloureux soient encore perceptibles de nos jours (le mouvement Loubavitch en serait une illustration exemplaire, ainsi que ce pur produit messianique «post-industriel» incarné à la fin du XXe siècle par le «Messie de Brooklyn», Menahem Mendel Schneerson...).

LES LIVRES DE JAKOB, longue et passionnante épopée au sous-titre tout aussi étendu et démesuré - «OU LE GRAND VOYAGE À TRAVERS SEPT FRONTIÈRES, CINQ LANGUES, TROIS RELIGIONS ET D'AUTRES MOINDRES, RAPPORTÉ PAR LES DÉFUNTS, LEUR RÉCIT SE VOIT COMPLÉTÉ PAR L'AUTEURE SELON LA MÉTHODE DES CONJECTURES PUISÉES EN DIVERS LIVRES, MAIS AUSSI SECOURUES PAR L'IMAGINATION QUI EST LE PLUS GRAND DON NATUREL REÇU PAR L'HOMME » (!) est un roman sinueux, méandrique, habité par plusieurs dizaines de personnages, réels et fictifs, dans lequel on peut parfois avoir le sentiment (passager) de s'y perdre, et impossible à résumer!

C'est sans doute une lecture à long cours, mais où, en revanche, l'on ne trouve pas de longueurs à déplorer; lecture très engageante, certes, mais aussi inoubliable, enrichissante, non seulement sur le plan littéraire et intellectuel, mais aussi, pourquoi pas, spirituel...En somme, un véritable exploit littéraire, totalement bluffant, un roman exceptionnel qui confirme une fois de plus l'immense talent de l'auteure polonaise!

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Je me suis rendue le 1e novembre à une conférence d'Olga Tokarczuk à la librairie Ombres Blanches de Toulouse à l'occasion d'une tournée effectuée par cette auteure en France et en Suisse (deux interventions à Paris, une à Toulouse et une à Lausanne).
J'ai été sidérée par l'intelligence, l'érudition, la gentillesse et la simplicité qui émanent d'elle. Elle était aidée dans son intervention par une traductrice hors pair qui a également fait l'admiration de tous.
Je garderai de ce moment un souvenir émerveillé.
Le livre évoque les hérésies juives nées au 18 ème siècle sous l'impulsion de Jacob Frank, dans la ligné de Sabbataïa Tsvevi au 17 ème siècle . Il est dense, fourmillant : on y voit le sort des juifs en Pologne, la formation de ces mouvements sectaires, l'extrême diversité des pratiques religieuses en Pologne, la vie des ecclésiastiques lettrés et celle des ecclésiastiques ambitieux, la diversité des modes de vie sur le territoire et l'oppression des pauvres. On y a un aperçu de la vie intellectuelle : poésie, constitution d'une encyclopédie qui rappelle celle de Diderot mais en est assez éloignée par l'inspiration car elle est le fait d'un seul homme qui relate des savoirs anciens.
Ce livre est agréable à lire et instructif, mais fort long. On peut sans inconvénient le lire en plusieurs fois, le thème en est si fort que l'essentiel n'est pas oublié d'une fois à l'autre.
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Pour un grand voyage, c'est un grand voyage!
Le sous-titre, non reproduit dans la notice de Babelio, ne ment pas et vaut d'être cité en entier: "Le grand voyage à travers sept frontières, cinq langues, trois grandes religions et d'autres moindres. Rapporté par les défunts, leur récit se voit complété par l'auteure selon la méthode des conjectures puisées en divers livres, mais aussi secourues par l'imagination qui est le plus grand don naturel reçu par l'homme."
Olga Tokarczuk forge ainsi un titre à l'imitation des ouvrages du 18e siècle qu'elle a abondamment consultés pour écrire cette magnifique saga. le jeu de la transposition contemporaine n'en est pas absent.
Si on voulait résumer ce grand livre en quelques mots, je dirais qu'il s'agit de l'histoire de Jakób Frank, un mystique juif prétendant être le 2e (ou 3e) messie, et de ses disciples. Au départ communauté juive dissidente, leur groupe opta pour la conversion au catholicisme et par conséquent le baptême en 1759-1760 à Lwow. Jakób Frank prétendait être le successeur de Sabbataï Tsevi, lui-même proclamé messie au 17e siècle, et converti à l'islam.
À travers les pérégrinations de Jakób Frank, et de sa communauté, souvent dispersée, Olga Tokarczuk ressuscite toute une époque de rencontres entre civilisations entre ce qui est aujourd'hui la Pologne, l'Ukraine, la Slovaquie, la Roumanie, la Bulgarie, la Grèce, la Turquie, la Tchéquie, l'Allemagne. Mais c'était alors la République des Deux-Nations (Pologne-Lituanie), l'empire ottoman, l'empire austro-hongrois, entre autres.
Jakób Frank et ses compagnons étaient à la fois des mystiques et des commerçants, qui circulaient dans ces territoires. Et l'auteure raconte de façon passionnante leur cheminement religieux en direction d'une révélation qui dépasserait les trois monothéismes et qui autoriserait donc le passage d'une religion à l'autre. Elle raconte aussi la vie quotidienne, souvent difficile, des communautés juives de Pologne et d'Ukraine, exterminées au 20e siècle; les conflits terribles aussi qui les ont traversées entre "vrais-croyants" et "talmudistes"; et aussi la méfiance persistante des catholiques envers ces juifs convertis qui conservaient d'étranges particularismes.
Car avant tout Olga Tokarczuk est une remarquable conteuse. J'ai été pris dans ces histoires enchevêtrées, dont on ne sait plus toujours très bien qui sont les personnages, surtout qu'ils changent de nom avec le baptême. Mais cela a peu d'importance. Ce qui est formidable dans cette lecture, qui fait aussi la part belle au merveilleux, c'est d'aller à la rencontre de ces personnes par-delà les siècles, et de partager leur quête et leurs doutes. Cela nous rappelle qu'avant les identités nationales ou religieuses, nous sommes avant tout des individus humains et des sociétés humaines. Quand en plus cela se fait dans un grand plaisir de lecture, c'est presque l'idéal, non?
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Olga Tokarczuk l'hérétique dont le livre doit être brûlé nous raconte l'histoire des juifs et des non-juifs. Elle nous parle de milliers d'hommes et de femmes qui ont rejeté leur foi, le judaïsme, pour épouser -officiellement le chrisianisme-, officieusement les croyances et les préceptes d'un homme qui s'est proclamé Messie. Il est intéressant de voir la naissance, l'émergence d'une nouvelle secte, qui attire aussi bien les miséreux que les puissants qui se rendent compte du pouvoir qu'exerce un seul homme sur des milliers sinon plus. Ainsi, on découvre par exemple l'histoire d'un évêque qui prend sous sa protection les antitalmudistes, non pas pas bonté d'âme ou par souci de sauver leurs âmes (contrairement à ce qu'il dit dans ses lettres) mais parce qu'il avait emprunté de fortes sommes et donné en gage aux usuriers juifs ses insignes épiscopaux pour régler des dettes de jeu ... Et la correspondance insérée dans le roman nous révèle ainsi moult machinations, hypocristies, trahisons ... le summum étant le procès intenté aux juifs pour le meurtre d'enfants (on les accuse de consommer le sang chrétien pour la Pessah ... Au final, nul ne sait qui tue les enfants ... Sont-ce les juifs ou au contraire ceux qui les accusent de l'avoir fait ? Olga Tokarczuk nous laisse cogiter là-dessus ce qui ne peut qu'enflammer les esprits de certains lecteurs - comme moi - qui ont du mal à accepter le fait qu'un meurtre d'enfant reste impuni ... Qu'on me donne un personnage de roman pour qu'il soit condamné ! ) En tout cas, la secte décrite par Olga Tokarczuk est tellement puissante qu'elle traverse les frontières, les hommes et les femmes traversant sans cesse les frontières avec leurs biens, pour fuir les persécutions (après avoir provoqué les persécutions des juifs) , ils traversent aussi les frontières grâce aux émissaires qui sans cesse transmettent des ordres, des doléances ... et des échanges entre certains personnages restent confidentiels (ce qui alimenterait n'importe qu'elle théorie du complot qui proclamerait cette secte responsable des grands malheurs du 18ème siècle et de ce qui s'ensuit ...) Et puis, je défie quiconque de s'enticher d'un des personnages de cette secte, de ces hommes et des femmes qui vivent du commerce d'alcool, de contrebande, d'emprunts jamais remboursés ... Qui s'enrichissent comme par magie et qui s'adonnent une fois la nuit tombée et les rideaux tirés à de drôles de rituels que je passerai sous silence.

PS : Un livre dangereux recommandé par MIVILUDES (ou pas), pour se prémunir de toutes dérives sectaires. Si un homme colérique au visage grêlé, habillé et coiffé à l'orientale, vous demande de lui prêter sa femme ou de lui envoyer vos enfants ou de lui envoyer de l'argent, méfiez-vous quand même.
(Ceci est un conseil gratuit de Lutopie. Les prochaines conseils vous seront facturés trois chèvres (car je consomme du lait de chèvre), six femmes (car je compte me constituer un cercle de femmes, c'est tendance dans les cercles féministes) et dix enfants (ne me demandez pas pourquoi).
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Après la quatrième de couverture et le long sous-titre : "OU LE GRAND VOYAGE À TRAVERS SEPT FRONTIÈRES, CINQ LANGUES, TROIS RELIGIONS ET D'AUTRES MOINDRES, RAPPORTÉ PAR LES DÉFUNTS, LEUR RÉCIT SE VOIT COMPLÉTÉ PAR L'AUTEURE SELON LA MÉTHODE DES CONJECTURES PUISÉES EN DIVERS LIVRES, MAIS AUSSI SECOURUES PAR L'IMAGINATION QUI EST LE PLUS GRAND DON NATUREL REÇU PAR L'HOMME", qu'ajouter?

Je reprends rapidement le sujet : un personnage historique que certains (dont lui-même?) ont pris pour le Messie. Il change de nom toutes les 300 pages, il connaît la gloire, la fortune et la misère, je ne sais même plus s'il est né en Pologne ou en Turquie, tant lui et ses envoyés parcourent l'Europe. Bouffon au début, adulé, craint, puni, riche, endetté, il est vraiment protéiforme.
Mais si ce n'était pas lui le sujet? Si le sujet était la Pologne éternelle -et sa place changeante en Europe- , ou la situation des juifs en Pologne dans la seconde moitié du 18ème siècle, ou une histoire complètes des religions européennes et méditerranéennes?... En mille pages, trente et un chapitres, sept livres, des dizaines de personnages bien caractérisés, au moins deux narrateurs extraordinaires Olga Tokarczuk nous raconte un grand voyage, mais aussi beaucoup d'histoires et de vies, grâce à un long travail érudit, mais aussi une imagination d'autrice (voyez le sous-titre).
Il y aurait tant à dire : voyez par exemple la critique de Creisifiction, surtout pour tous les aspects liés à la religion juive et sa mystique, et pour l'histoire du peuple juif en Europe. Je vais me contenter de quelques points, parmi ceux qui m'ont marqués dans cette épopée fascinante.

Pour commencer : j'avais gardé, lisant Isaac Bachevis Singer, l'impression de deux populations complètement séparées (juifs et non-juifs) dans les villages d'Europe de l'est jusqu'au début du 20e siècle. Olga Tokarczuk renforce d'un côté cette impression en soulignant la difficulté de communication liée à l'emploi de langues différentes, mais elle rappelle par ailleurs que les juifs, marchands et banquiers, étaient aussi indispensables au fonctionnement de l'économie en Pologne comme en Allemagne, en Autriche, etc. D'ailleurs, l'autrice laisse à penser que si la haine contre ce peuple conduit au 18e siècle à des massacres abominables, leur niveau de vie en-dehors des périodes de trouble semble bien supérieur à celui des paysans, à cause du servage. Rien que cela mériterait la lecture de ce pavé.

Ensuite, le fabuleux destin de Jakób Frank, ses voyages, ses délires mystiques, ses aventures... sont prenants du début à la fin. L'humour puissant de l'autrice l'accompagne dans ses voyages et son évolution intérieure, de la farce au mysticisme, à la volonté de richesse personnelle et de rédemption/émancipation de tout un peuple, c'est irrésistible. Personnellement, je n'ai pas de certitude : ce gourou était-il sincère? Son entourage est persuadé que quand tout est pour le pire dans le pire moment possible du monde, alors le Messie va venir. Jakób Frank sait que d'autres, peu avant lui, ont cru être ce Sauveur et ont échoué à sauver leur peuple ; il passe par des crises mystiques et élabore des discours qui convainquent ses fidèles qu'il est ce Messie final. Croit-il à ces délires? Il doit s'opposer aux lois et aux croyances dans lesquelles il a grandi, mais croit-il vraiment qu'il faut en prendre le contrepied absolu? Croit-il vraiment à une totale liberté sexuelle ou en accorde-t-il des morceaux à ses disciples pour s'en garder l'usage absolu comme bien des gourous du 20e siècle? Son instauration d'un partage complet des biens, dont il montre l'exemple en se contentant d'un ascétique minimum est-il complètement incompatible avec son goût ultérieur pour une richesse ostentatoire et la fréquentation des dirigeants des nations? En lisant avec grand plaisir ces aventures invraisemblables, et pourtant réelles, je songeais fréquemment aux mouvements sectaires de notre époque, aux frasques de quelques gourous de naguère, et parfois au fait que les mormons, par exemple, aient autorisé la polygamie, au moins au début, dans le but inavoué d'attirer des fidèles.

Finalement, en soutien aux nombreuses histoires qui se déroulent presque en parallèle (se rencontrant donc avant un temps infini), Olga Tokarczuk emploie plusieurs narrateurs passionnants. L'une d'eux, Ienta, est dans une situation exceptionnelle, que je me garde bien de révéler, qui fait d'elle l'incarnation du rêve d'un auteur de roman : le narrateur omniscient. Elle permet aussi d'introduire des situations et des titres de chapitres poétiques, comme "Ienta dort sous l'aile de la cigogne". Les titres des chapitres sont d'ailleurs souvent des petits bijoux d'humour ou de poésie.

...je viens de relire la table des matières, et je renonce. Même en une dizaine de pages, je n'arriverais pas à dire tout ce que j'ai aimé dans ce maelstrom littéraire. Ne vous inquiétez pas de la longueur de l'ouvrage, il se lit assez vite et n'est jamais lassant : vous allez découvrir tant de mondes, de femmes et d'hommes, du miséreux à l'empereur, en passant par les mystiques et les hommes d'église ambitieux et hypocrites, que vous ne vous ennuierez jamais, souriant ou réfléchissant avec plaisir.
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90 % des Polonais juifs ont été assassinés au 20ème siècle dans les camps nazis. Pas des "Juifs de Pologne", non, pas des semi-étrangers, mais des Polonais, dont les dynasties familiales remontaient à des siècles, dont les racines plongeaient au sein même du terroir polonais.
Ce sont ces histoires familiales, 300 ans en arrière, auxquelles l'écriture somptueuse d'Olga Tokarczuk redonne vie dans ce roman monumental.
Elle le fait au travers de l'épopée d'un personnage au charisme exceptionnel : Jakób Frank, mi-gourou, mi-bonimenteur.
L'objectif officiel des prêches de Jakób est d'unifier les trois grands monothéismes en une seule religion messianique. Son projet personnel, par contre, semble se borner à bien manger, bien boire, bien s'habiller et séduire un maximum de femmes.
Sa vie est racontée par plusieurs narrateurs, dont sa propre grand-mère, plongée dans un coma miraculeux d'où elle suit en pensée les pérégrinations de son petit-fils.
Ces différents points de vue permettent de décrire dans un grand luxe de détails la vie des communautés juives dans la Pologne rurale du 18ème, ainsi que dans les grands ports marchands du Sud de l'Europe entre autres.
Parallèlement on suit le point de vue des catholiques, notamment par le biais d'une correspondance entre une poétesse et un curé précurseur des Lumières, auteur modeste d'une ambitieuse Encyclopédie.
On a ainsi le portrait saisissant et érudit, à l'aube de la période révolutionnaire, d'une Europe multiculturelle, d'une assez grande liberté religieuse malgré les discriminations, d'une Europe où les frontières sont plus des lieux d'échanges que des murs infranchissables.
De multiples illustrations tirées d'archives rares ponctuent le roman de façon émouvante.
Traduction parfaitement fluide de Maryla Laurent.

LC thématique de décembre 2021 : ''Le retour de l'hiver”
Challenge Nobel
Challenge Globe-trotter (Pologne)
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