Il fait partie des livres que j'ai reçus à Noël 2012, et j'avais très envie de le lire. Seule sa longueur me retenait, et en effet il faut se préparer à y passer longtemps, mais ça vaut complètement le coup. Et un coup de coeur, un ! J'avais déjà lu du
Tolstoï au lycée, avec
La mort d'Ivan Ilitch, et je n'en garde quasiment aucun souvenir. Par contre, je ne risque pas d'oublier mes impressions sur Anna.
Cette histoire, bien que très connue de nom, demeure assez floue pour de nombreuses personnes, alors je fais un petit résumé du début. Stépan Arkadiévitch Oblonskï, dit Stiva, est dans les ennuis jusqu'au cou. Il a trompé sa femme, Dolly, avec la gouvernante, sa femme l'a appris et a bien envie de le mettre dehors et de demander le divorce. Stiva appelle alors sa soeur à l'aide, Anna Arkadiévna, femme de Karénine, et la fait venir à Moscou pour calmer sa femme. Dans le même temps, Constantin Dmitrich Lévine, dit Kostia, ami de Stiva et de la famille de Dolly, les Stcherbatzkï, est de retour à Moscou avec l'intention de demander à la petite soeur de Dolly, Kitty, de l'épouser. Mais Kitty est amoureuse du comte Vronskï et refuse Lévine. C'est à ce moment qu'Anna fait la connaissance de Vronskï, et que leur vie en est radicalement bouleversée.
Déjà dans ce résumé, vous avez pu tiquer un peu sur les noms. Avoir conservé dans la traduction la typologie des noms russes m'a beaucoup plu, ça permet de vraiment s'immerger dans cette ambiance qui m'était peu familière. Je n'ai éprouvé aucune difficulté à suivre qui était qui. le mieux est de savoir à l'avance comment sont construits les noms russes (je suis allée voir sur Wikipédia au tout début de ma lecture) : il y a le prénom, le nom du père suivi du suffixe masculin ou féminin selon le sexe de la personne et enfin le nom de famille. Plusieurs personnages ont également des surnoms.
Nous avons donc Stépan (prénom) Arkadiévitch (prénom du père) Oblonskï (nom de famille), dit Stiva (surnom). Comme Anna est la soeur de Stépan, son deuxième nom est Arkadiévna, le nom de leur père avec le suffixe féminin. Vous verrez, une fois qu'on s'y est fait, c'est facile et même pratique pour situer les différents persos !
Ce roman est tout autant une fiction romanesque qu'une étude de moeurs et de la vie sociale de la Russie dans la deuxième partie du XIXème siècle. Certains passages peuvent de ce fait paraître un peu longs, mais j'en ai remarqué vraiment très peu, la plupart du temps c'est pa-ssio-nnant.
Tolstoï a très bien équilibré entre la vie mondaine représentée par Anna, Vronskï, Stiva, le travail des hautes sphères de l'Etat avec Karénine, les questions électorales avec Sviajskï, le travail des paysans et ouvriers agricoles, le travail en tant que propriétaire terrien de Kostia, l'industrialisation avec les chemins de fer, etc… Même au niveau des lieux, on alterne entre la campagne avec la maison de Lévine ou celle de Vronskï, la ville avec Moscou et Pétersbourg, on fait aussi un petit tour par l'Italie… C'est très diversifié. On trouve également quelques passages philosophiques, très intéressants, mais qui peuvent s'avérer ennuyeux lorsqu'on n'est pas d'humeur. Généralement ceux-là sont bien passés, par contre j'ai eu plus de mal avec les questions agricoles que se pose surtout Kostia. de même, ses interrogations existentielles, très présentes à la fin du livre, on finit par m'énerver un peu.
Les personnages sont réels, c'est peut-être le plus grand atout de
Tolstoï. Aucun n'est parfait, on peut tous les comprendre même si on ne va pas tous les aimer, ça dépendra vraiment de la façon dont on ressent les personnages, de ceux dont on se sent proche et ceux qui ont des défauts que nous ne serions pas capables de pardonner. Peut-on pardonner à Karénine d'être si froid, carré, cynique, prétentieux et plus tard ultra-religieux ? Peut-on pardonner à Vronskï d'être si égoïste, frivole, lâche et incapable d'assumer ses sentiments ? Anna de se perdre sans réfléchir, d'abandonner son fils, de se montrer si peu discrète, d'être si capricieuse ? Kostia de changer si fréquemment d'avis, d'être un peu naïf voire complètement guimauve avec Kitty, de se prendre la tête parfois pour rien du tout, et Kitty d'être souvent vaine et superficielle et souvent aveugle ? Mes persos préférés sont d'abord Anna, car j'ai toujours compris ses femmes qui fautent et chutent, même si je ne les apprécie pas toutes, par exemple je n'aime pas Emma Bovary, mais j'ai pu suivre tout du long l'évolution des pensées d'Anna et la plaindre. Je n'approuve pas toutes ses actions, loin de là, mais nous sommes tellement immergés dans son esprit qu'il est difficile de lui jeter la pierre. Stiva, son frère, parce qu'il me fait trop rire ! Et le prince Stcherbatzkï aussi. On le voit très peu dans le livre mais il m'a fait penser à Mr Bennet dans sa façon d'être protecteur avec sa fille chérie, et il est railleur, perspicace, observateur. Il y a tout une flopée de persos très secondaires qu'il faut occulter au risque de se perdre au milieu d'eux. En se concentrant sur les Karénine, les Vronskï, les Oblonskï, les Lévine et les Stcherbatzkï, c'est déjà très bien.
Cette histoire m'a passionnée, alors même que je la connaissais déjà grâce au film. J'étais heureuse de constater à quels points certains passages sont fidèles et de découvrir ceux qui ont dû être mis de côté dans le film. Je reverrai bientôt l'adaptation la plus récente et rajouterai un paragraphe sur le côté adaptation dans l'article que j'avais fait lors de la sortie du film. Généralement j'ai préféré les passages consacrés à Anna/Vronskï que ceux consacrés à Lévine/Kitty, même si j'avoue que certains moments dans la construction de leur histoire sont sublimes (la déclaration à la craie, la naissance de Mitia…)
J'ai été étonnée de constater à quel point l'écriture de
Tolstoï est agréable. J'avais ramé à mort sur un petit roman de
Nabokov, mais là ça coulait tout seul. Certes, c'est une belle plume, dans la plus pure tradition XIXème, mais contrairement à
Balzac par exemple, qui se complaît dans les descriptions de lieux,
Tolstoï préfère décrire une ambiance et décortiquer les caractères et les pensées, ce qui est bien plus passionnant pour moi. Mais ce n'est pas du
Proust non plus, il n'y a pas de phrases interminables, mais la pensée est là, telle quelle, et c'est parfois effrayant tant
Tolstoï semblait savoir lire dans les âmes. Son écriture est très agréable, avec des détails de la vie courante qui rendent les choses très vraies (le rêve de Stiva tout au début, dans le premier chapitre, m'a beaucoup impressionnée par exemple, ou le raisonnement d'Anna tout à la fin). En plus, il y a de l'humour (surtout grâce à Stiva et ce n'est pas très fréquent, mais c'était tout de même remarquable !) et des passages très forts émotionnellement.
"En outre, Stépan Arkadiévitch, qui aimait plaisanter, s'amusait parfois à étonner quelque interlocuteur pacifique en émettant l'avis que, si l'on s'enorgueillit d'avoir des ancêtres, il ne faut pas s'arrêter au prince Rurik, il faut remonter jusqu'au singe."
Anna Karénine est pour moi une lecture unique en son genre. Je n'avais jamais rien lu de tel (ou alors j'en ai lu, mais j'étais trop jeune pour m'en rendre compte, allez savoir). J'espère vraiment avoir l'occasion de le relire dans ma vie, en espérant comprendre certains passages qui m'ont échappés. Je ne regrette pas du tout les trois semaines de lecture et les pages cornées par le transport quasi-quotidien du roman, c'était une expérience magnifique et maintenant je sais que la littérature russe peut être abordée, et même qu'elle est belle. Prochaine étape : lire Guerre et Paix (un jour) et découvrir
Dostoïevski (bientôt j'espère, j'ai
Crime et châtiment dans ma PAL depuis le lycée).
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