Il fallait être fou pour vouloir décider du bonheur des autres, fou pour jouer avec leur destin, il fallait se croire l'égal de Dieu ou son prophète-, et bien malgré cela, il fallait se rendre à l'évidence: Jean nous avait libérées l'une et l'autre... Et malgré l'étrangeté du chemin, aucune de nous deux n'aurait voulu revenir à sa vie d'avant.
Pendant presque vingt ans, j’avais exercé ce métier avec passion. Maintenant, je le sais : j’étais bien plus heureuse avec mes élèves durant toutes ces années que chez moi, face à mon mari, et même plus tard, aussi étonnant que celui puisse paraître, face à mes propres enfants. Chaque matin je m’empressais de quitter l’appartement, toute au plaisir de retrouver mes quatre murs couverts d’immenses photos et de cartes géographiques aux couleurs délavées. Les vacances me paraissaient interminables, surtout l’été qui me laissait à bout de souffle et d’ennui. Mais peu à peu, les choses avaient changé. J’avais senti l’écoute se tarir, l’estime diminuer, les critiques s’accumuler. Ce n’était pas contre moi, bien sûr, c’était toute la corporation qui était visée. Les journaux nous traitaient de fainéants, de perpétuels mécontents, de sangsues de la société. On nous accusait de creuser la dette de l’Etat, de produire des générations incultes. Les élèves, baignés dans ce climat toxique, réfutaient le moindre signe d’autorité.
Contentez-vous d'être et vous verrez que le reste suivra.
Votre mari est un homme^politique obsédé par l'image,il aimerait que sa photo ne vieillisse pas,mais il a tort,la beauté nourrit du temps qui passe.
Cela fait si longtemps que je me tais. Ou plutôt que je mens. Je suis allée trop loin dans l'armure. J'ai construit une façade si lisse, imperméable, j'ai raconté tant de fois l'histoire exemplaire d'une femme comblée par une enfance et une adolescence heureuses, des parents bienveillants qui vous conduisent à un mariage parfait, des enfants bien élevés et un métier épanouissant. Ne jamais se plaindre, ne rien laisser filtrer, retenir l'émotion jusqu'à la fracture, voilà à quoi j'ai employé mes forces : c'est trop tard. Je ne peux plus revenir en arrière, modifier les paramètres, rectifier le tir, on dira que j'invente, que c'est la preuve de ma folie ou celle de mes talents de comédienne.
Mariette :cet épisode aura servi de révélateur, aussi bien pour vous, qui vous étiez laissé enfoncer, dominer, qui aviez oublié le sens du verbe exister, que pour les autres, qui serait désormais plus respectueux à l'égard d'autrui.
Il faut redresser la tête pour obtenir le respect. Croire en sa puissance pour obtenir la discipline.
Quand tout le monde est gagnant, la formule marche, croyez-moi
Il y a longtemps que je l'ai compris, l'ignorance est plus dangereuse qu'une grenade dégoupillée.
Tout est allé si vite. Comme on éteint une lumière en quittant une pièce, j'ai fondu dans le noir. Des voix lointaines, déformées, des sons, quelques sensations de roulement, de ballottement, de cahots. La chaleur sur le visage. Je me laissais porter, ma pensée fragmentée me parlait de dormir, poursuivre la nuit, s'enfouir, s'enrouler dans le temps, flotter...