Chronique vidéo, lien : https://www.youtube.com/watch?v=dB-uqRkBMEg
? C'est l'histoire d'Ignatius Reilly, je dirais qu'il est d'origine irlandaise, à son patronyme, qui vit avec sa mère Irène. Il y a une certaine pression tout au long du livre pour qu'il trouve et conserve un travail et elle, pendant ce temps, commence à retrouver une vie sociale qui lui était déniée pendant les 30 années de cohabitation avec son fils. A côté de ça, on suit aussi le couple Levy, qui a une entreprise de pantalons, le bar des Folles nuits, avec Jones, Darlene et son perroquet, Myrna, la petite amie d'Ignatius. Si je devais résumer en une phrase ce roman, ce serait comment Ignatius coupe le cordon qui le relie à sa mère.
Il faut aussi parler des conditions de publication de la conjuration. Toole a toujours pensé que son livre était un chef d'oeuvre, et désespérant de ne pas le faire éditer, il a fini par se suicider. C'est sa mère qui a force de ténacité, a réussi à le faire lire à un auteur,
Walker Percy, qui l'a aidé par la suite pour la publication. le roman a été récompensé dans les années 80, donc dix ans à peu près après sa rédaction par le Pulitzer. Et tout ça rend la lecture assez troublante, puisqu'on sent la relation forte du fils et de la mère, on a du mal à ne pas faire des jeux de correspondance, et surtout on se demande comment une oeuvre folle, d'une légèreté et d'une gaieté certaines, gaieté un peu hystérique certes mais gaieté quand même peut être nimbée d' une aura macabre comme ça. En fait, ça me donne le même sentiment que
Chatterton de
Vigny, même si c'est totalement différent — comment les contraintes matérielles de la vie pousse des artistes à mourir, puisqu'ils ne peuvent pas vivre de leur plume.
Ce que j'en ai pensé ?
Ça m'énerve de ne pas avoir aimé ce livre. Ça m'énerve d'autant plus que quand je lis les mauvaises critiques de Babélio, je ne suis pas d'accord. J'ai rien contre les anti-héros, j'ai rien contre les romans qui parlent de rien. Et ça m'énerve car je me sens beaucoup plus proche de Toole que d'eux quand je les lis. J'ai l'impression que leur réaction, c'est celle des « ignorants » dont parle le bouquin, qui décrètent, qui sont dans l'assertion, comme seuls les « imbéciles » peuvent l'être.
Donc on va essayer de déplier tout ça, de mettre au clair ce qui leur a déplu pour que j'arrive peut-être à mieux comprendre ma propre désaffection, on va y aller par étape, et peut-être commencer par les objections faites pour voir si elles sont justifiées. On va travailler par expérience, démonstration, analyse des résultats, bref, scientifiquement.
Un livre homophobe ?
Là, on touche le fond de l'ennui, de la bêtise et du vide. le passage dans la soirée politique parmi la communauté homosexuelle de la ville est pathétique, caricaturale, grotesque et ridicule. Je dirais même honteuse.
Est-ce que le livre est homophobe ? Je ne crois pas, je crois que ce serait anachronique d'avoir une lecture trop actuelle sur la représentation des personnages homosexuels.
Qu'est-ce qu'une bonne représentation ? La bonne représentation serait selon moi la présence de personnages gays, mais qui ne soient pas uniquement définis par ça, qui seraient présents en tant que personnages avant d'être des personnages gays. Ce qui n'est malheureusement pas toujours le cas, on a encore parfois quand on regarde des séries ou des films, une impression de bonne conscience, avec des personnages secondaires présents que pour cocher des cases, l'exemple parfait étant le couple de mère d'un des personnages dans la série Mercredi. Elles n'existent qu'en tant que couple lesbien, elles sont indéfinissables, indéterminées l'une de l'autre, et donc me donne l'impression de caution de la série, qui par ailleurs ne présente aucun autre personnage LGBT suffisamment important.
En ce qui concerne le roman, il faut rappeler qu'il se passe en 1963 en Louisiane, il fait souvent mention des droits civiques, qui concernent les personnes noires mais aussi les gays. En fait, il faut savoir qu'à cette époque, et c'est ce que montre bien le roman, les Etats-Unis étaient divisés, une fissure sociétale qui a commencé dans les années 50. En gros, dans certains états, dans certaines franges de la société, le fait d'être homosexuel pouvait se concevoir, être toléré, mais dans d'autres, c'était encore envisagé comme une « déviance ». Et il faudra d'ailleurs attendre l'année 1973 pour que l'homosexualité soit rayée des maladies mentales. Ce que mentionne aussi souvent le bouquin, c'est le maccarthysme, et ce qui est intéressant pour nous, c'est que déjà à l'époque, les théories du complot existaient, et le fait d'associer l'homosexualité au communisme en était une parmi d'autres.
Pendant l'ère McCarthy commence aux États-Unis une chasse aux dénommés « subversifs », qui selon la conviction du sénateur Joseph McCarthy et de nombreux autres droitistes, ont infiltré le gouvernement américain à tous les niveaux pour livrer le pays aux communistes.
En fait, quand le roman parle de sodomites, il ne critique pas les gays, mais plutôt les gens qui emploient ce genre de terme. C'est une manière de montrer leur bigoterie, leur fermeture, leur lieux-communs, et autres fantasmes, fantasmes qui d'ailleurs peuvent être signifiant puisque dans le cas d'Ignatius, la tentation de l'homosexualité apparait, à une ou deux reprises. Bien sûr que le livre peut paraitre maladroit, c'est normal que les représentations vieillissent mais nier le fait que pour l'époque, il était plutôt ouvert sur la question gay, que c'est ce genre d'oeuvre qui ont aidé à faire bouger les lignes, en introduisant dans la psyché commune l'idée que l'homosexualité existe, déjà, et surtout que les homophobes sont ridicules, c'est un contresens. Donc non, je persiste, La conjuration n'est pas un roman homophobe.
Mais alors, est-ce un roman raciste ?
Oui, par bien des aspects, Ignatius est un personnage qu'on peut qualifier de raciste. Il débite des généralités sur les noirs, pense qu'il est là comme le sauveur blanc qui va leur faire prendre conscience de leur exploitation, et les mener vers le salut. Mais cela n'empêche de dénoncer les injustices que subissent les noirs, surtout dans le monde du travail, ce qui est bien emblématisé par le personnage de Jones. Ou comment l'esclavage continue, avec un visage différent, fait de menaces, de délit de faciès et de salaires médiocres. le racisme d'Ignatius, il est grotesque ; il est là, tout comme l'attitude hypocrite d'un personnage comme Mme Levy, (qui crée des fondations contre les inégalités mais est en réalité profondément raciste), pour critiquer des comportements humains. Ce n'est pas parce qu'un personnage est raciste que le bouquin l'est, et je pense que parfois ça peut même être le contraire. En plus, Ignatius est le seul qui va essayer d'aider les travailleurs noirs de l'usine de pantalons LEVY à s'unir pour obtenir de meilleurs salaires, c'est lui qui va faire ce que devrait faire monsieur Levy, descendre voir comment ça se passe, voir comment travaille les gens, dans quelles conditions pour mieux les aider, pour mieux les soulager.
La vacuité caractérise globalement toute l'histoire.
Déjà, il faudrait être sûr de la vacuité. C'est quand même un livre qui malgré tout dénonce le maccarthysme, le racisme, l'exploitation des travailleurs, et des travailleurs noirs plus particulièrement, la valeur travail. A travers Myrna, il montre une certaine naïveté des idéaux des mouvances hippies qui commencent à se former à l'époque. Les relations entre parents et enfants qui sont délicates à gérer, quelle est la juste distance, comment cohabiter. Et puis même, supposons que la vacuité soit le maitre mot du roman, est-ce que cette vacuité ne sert-elle pas à parler de la vacuité de la société américaine ? En plus, ce serait admettre que ce roman manque de péripéties, qu'il ne s'y passe rien, or c'est plutôt l'inverse, et ce serait d'ailleurs pour moi son principal défaut. J'adore les livres qui parlent du rien, qui prennent le temps, le ralentissent, le malaxent entre leurs doigts. La conjuration ne fait pas ça, c'est le temps accéléré, le temps sans répit, les personnages qui sont dans un tourbillon d'actions, une tornade qui emporte tout sur son passage, notre intérêt inclus, parfois.
Le personnage principal mérite des baffes, ça a été dit dans des commentaires précédents, il passe sont temps à roter, c'est un parasite social.
J'ai détesté ce livre que je n'ai pu achever. le personnage principal ne m'a pas du tout amusée et l'ennui m'a bien vite gagnée.
Là, c'est une critique fréquente, dès qu'on n'aime pas un livre, un film, c'est parce que les personnages sont agaçants. Ben c'est faux. Les gens se trompent. Parce que ce sont ces mêmes gens qui vont adorer par exemple la figure du tueur en série ou de l'asperger, (*je ne critique pas les autistes asperger, mais plutôt les représentations dans les séries ou les films, toujours les mêmes — une personne brillante mais imbuvable : Sheldon, Docteur House,
Sherlock Holmes). le anti-héros, ça n'a jamais dérangé le public. En revanche, et je vais embrayer sur ce que je pense du livre, je crois que l'enlisement d'un personnage peut agacer. Non pas l'enlisement à proprement parler, un personnage qui n'évolue pas, qui persiste dans ses erreurs, je trouve ça super, puisque réaliste — c'est rare que sur une période de quelques mois, on change du tout au tout. Mais en revanche, au niveau de la narration, le fait de choisir des scènes répétitives, dans lequel les personnages montrent toujours la même facette de leur personnalité, avec le même type de blague, ça peut poser problème. Comment et pourquoi en plus de 500 pages, j'ai l'impression d'avoir une vision parcellaire d'Ignatius ? Pourquoi ce n'est pas lui qui m'a gonflé mais plutôt la manière dont on l'a écrit ?
Parce que les scènes choisies sont répétitives ; Ignatius va faire quelque chose de farfelu, trouver un travail étrange, qui ne convient pas du tout à ses études universitaires, cela ne va pas se passer comme prévu, ou plutôt, cela va se passer totalement comme prévu, puisqu'il va tout remettre en question, ne pas se fondre dans le moule, il rentrera donc chez lui pour écrire dans ses carnets et montrer que le monde ne se plie pas à ses exigences. Ou l'inverse. Et cela pendant tout le roman. On a affaire à une sorte d'Ubu roi de Jarry, un personnage principal totalitaire, rabelaisien, qui rote et pète, qui entre en scène avec son anneau pylorique de la même manière qu'Ubu et son « Merdre ! », et on ne l'exploite pas vraiment, comme si c'était toujours au même étage que se situe l'histoire, qu'il n'y avait pas d'enjeu, de progression. Et sans que ce soit réaliste pour autant — je pense qu'il s'en dégage quelque chose d'enfantin, une farce enfantine à laquelle je n'arrive pas à m'intéresser. Pourtant, je comprends que ce roman plaise — je comprends parce que l'humour est fin, absurde, peut-être que ce qui me plairait d'une manière visuelle, en bande dessinée ou au cinéma par exemple chez des Monthy Python's a du mal à m'atteindre en littérature.
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