Les jours passés, j'ai fait la connaissance d'
Anthony Trollope, rencontré au gré d'un article quant à la littérature victorienne qui, ces dernières années, semble susciter un regain d'intérêt auprès du lectorat et des maisons d'éditions, par voie de conséquence. L'article a piqué ma curiosité, j'en ai cherché d'autres...
Anthony Trollope, donc, fut l'un des romanciers les plus connus, les plus lus, les plus distingués de l'époque victorienne, à l'instar d'un
Charles Dickens, d'un
Wilkie Collins ou d'un
William Makepeace Thackeray, d'une George Elliot, d'une
Elizabeth Gaskell ou d'une
Charlotte Brontë...
Pour autant, il n'a plus aujourd'hui le rayonnement qu'il acquit à l'époque et fait partie de ces écrivains qu'on pare d'une aura un peu poussiéreuse, désuète... et je dois avouer que toute férue de littérature occidentale du XIX°siècle que je puisse être, je ne savais rien de lui...
Une lacune qu'il m'a fallu combler. J'aurai voulu lire "L'Héritage Belton" mais il m'a été impossible de le trouver à moins de passer commande et, je l'avoue, la patience n'étant pas ma principale vertu, je n'avais pas envie d'attendre. J'ai donc jeter mon dévolu sur le seul roman de Trollope que proposait ma librairie: "
Miss Mackenzie" dont voici mon retour.
Margaret Mackenzie a trente-cinq ans et pour l'Angleterre victorienne, elle n'est rien de moins qu'une "vieille fille" (à trente-cinq ans! Heureusement, les temps ont changé! On est jeune encore à trente-cinq ans! On est toujours belles, toujours intéressantes et sans doute bien plus qu'à l'orée de nos vingt ans!) dont la vie fut aussi grise, morne, terne qu'une conférence sur les procédés de fabrication des confettis (j'imagine...). Pensez donc! Notre demoiselle dû passer son adolescence puis sa jeunesse à s'occuper de son père souffreteux et grabataire puis de son frère aîné fauché, par la maladie. Ni l'un ni l'autre ne crut bon de s'intéresser vraiment au sort de sa douce et sans doute docile garde-malade, se contentant de profiter des soins par elle prodigués. Il en résulta pour notre
Miss Mackenzie des études sommaires et bien trop de solitude. Sans amis, sans prétendants, sans occasion de rire, de danser ou de s'amuser, les jeunes filles se fanent comme les fleurs qu'on prive d'eau et de soleil...
A la mort de son frère, Margaret se retrouve encore plus seule, quoiqu'elle soit nantie d'un autre frère, d'une ribambelle de neveux et de nièce et de lointains cousins dont aucun ne s'intéresse vraiment à elle. Pas encore en tout cas. Seule, donc, mais riche puisque elle hérite de la coquette fortune de feu son aîné. Il y a de quoi tourner la tête et pour la jeune femme, c'est une nouvelle étourdissante. Elle va enfin pouvoir décider de sa vie, quitter Londres, faire des rencontres... Se marier? Elle n'y songe pas encore, pas vraiment. Et pourtant, autour d'elle, les prétendants vont se bousculer, se presser. Mais comment savoir ce qu'ils briguent le plus de son coeur ou de sa fortune? de sa main ou de son pécule? Et
Miss Mackenzie, aussi sage qu'elle puisse être, aura bien du mal à ne pas trébucher et à distinguer ce qui ressemble le plus à de l'amour véritable...
J'ai pris beaucoup de plaisir à lire ce roman dont j'ai apprécié l'humour et le caractère satirique. Sa tonalité m'a parfois rappelé celle de "
La Foire aux Vanités" que j'avais adoré. En outre, je l'ai trouvé mordant et très moderne quant à certains personnages (je pense par exemple à Miss Todd, autre "vieille fille" du roman qui explique combien ce statut lui confère une liberté et une indépendance précieuses) malgré quelques passages qui ont pu me faire grincer les dents. Ainsi
Anthony Trollope se permet par exemple d'énoncer fort plaisamment qu'une femme est toujours moins sensible qu'un homme à la malhonnêteté... Hum hum. C'est un homme de son temps dira t-on...
Humour, satire, causticité sont en tout cas des points forts de "
Miss Mackenzie" que je ne m'attendais pas à dévorer si vite. le texte est relativement fluide et facile, il coule et c'est on ne peut plus agréable.
Par ailleurs, j'ai beaucoup aimé l'étude de moeurs que constitue le roman, radiographie de la société victorienne et particulièrement du monde des clergyman et de la petite bourgeoisie. Comme dans de nombreux romans de Honoré de
Balzac, l'argent tient une place prépondérante dans ce roman de Trollope et si ce n'est pas (loin s'en faut!) mon sujet de prédilection, il faut reconnaître qu'il est bien amené, bien traité et qu'il est un moteur des enjeux de l'intrigue.
Les personnages enfin! Bien croqués, riches, un poil manichéen peut-être parfois, ils sont sans doute ce que je 'ai préféré dans l'ouvrage. Margaret est extrêmement attachante et même si parfois j'aurais voulu la secouer, la jugeant trop naïve ou généreuse, je n'ai pu m'empêcher de compatir à son sort, de l'aimer. J'aurais pu être son amie si elle n'était d'encre et de papier. Dans la famille de ceux que j'ai aimé, je compte aussi Sir John, même s'il m'a fallu du temps et Miss Todd. Mais il y a mieux, il y a les personnages que j'ai adoré détesté pour tout un tas de raison allant de leur médiocrité à leur malveillance, de ce qu'ils représentent à leur tempérament: la belle-soeur de Margaret, Mrs Stumfold, Lady Ball et surtout mon favori entre tous: Jeremiah Maguire! L'écriture de Trollope, son humour les rendent infiniment cocasses et c'est d'autant plus réjouissant que cela contrebalance la portée un peu cynique du roman où le coeur fait un choix de raison avant tout, où l'on comprend que malgré tout, malgré la tendresse et l'affection, un mariage n'est et ne sera qu'un marché, une tractation. On n'a plus le droit aux papillons quand on a trente-cinq ans...