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Ainsi naissent les fantômes" nous propose six nouvelles et autant de portraits de femmes, six textes à la tonalité surnaturelle voire résolument fantastique, avec une constante, celle de matérialiser obsessions, peurs primitives ou fantasmes. le résultat : des histoires propres à susciter une palette d'émotions oscillant de l'angoisse à l'horreur pure.
Lisa Tuttle s'empare, pour nourrir ses intrigues, de thèmes "classiques" du registre de l'épouvante ou de l'imaginaire. On notera notamment l'importance donnée aux maisons, qu'elles soient hantées par d'étranges créatures…
"Le vieux M. Boudreaux"
La narratrice revient aux Etats-Unis à l'occasion de l'agonie de sa mère de 96 ans. Sur son lit de mort, celle-ci lui demande de prendre soin d'un certain M. Boudreaux, propos que sa fille estime nourris par le délire de la moribonde, cet ami de sa mère étant décédé depuis bien longtemps. Or, en retournant dans la demeure maternelle, elle se trouve face à un singulier personnage… Une nouvelle où le surnaturel est synonyme de merveilleux.
… qu'elles abritent en leur poussiéreuse vétusté de sinistres objets que l'on dirait vivants…
"Mezzo-tinto"
Une jeune femme s'angoisse de la présence, sur les murs du salon de la demeure familiale dont vient d'hériter son compagnon, d'une gravure au contenu mouvant.
... que leurs murs ouvrent soudain sur des mondes parallèles…
"L'heure en plus"
Une écrivaine déplore, entre son travail de professeure et sa vie de famille, de manquer de temps pour écrire et terminer enfin son roman en cours. C'est alors qu'une porte apparaît sur l'un des murs de sa maison, ouvrant sur le bureau de ses rêves, où le temps s'arrête, et où son inspiration prend un nouvel et invraisemblable élan.
… ou qu'elles se métamorphosent au gré des étranges événements qui s'y déroulent, comme dans ...
"Ma pathologie", où la façade d'une maison abritant d'occultes pratiques se couvre, aux yeux de l'héroïne, d'un renflement aussi inexplicable que disproportionné.
Autres thèmes empruntés à la nomenclature fantasmagorique ou au domaine de l'occulte : ceux de l'alchimie…
Dans "Ma pathologie" toujours, une femme revendique celle de s'éprendre d'hommes généralement en couple. Et si son dernier compagnon en date déroge à cette règle, il continue néanmoins d'entretenir avec son ex des rapports réguliers bien que compliqués. C'est par ailleurs un individu secret, dont l'obsession pour la quête de la pierre philosophale devient pour l'héroïne de plus en plus préoccupante.
… ou de la possible existence de créatures légendaires…
"La fiancée du dragon"
A la mort de sa tante, une jeune femme retourne, accompagnée de son petit ami, chez la défunte, où elle n'avait pas remis les pieds depuis un séjour remontant à son enfance, qui s'était soldé par une curieuse amnésie et un profond sentiment de malaise. Une nouvelle à la tonalité horrifique et perverse (qui est sans doute celle que j'ai le moins apprécié, j'ai trouvé le basculement de l'intrigue dans l'épouvante quelque peu caricatural).
L'interpénétration entre fantasmes, rêves, cauchemars et réalité, est récurrente, faisant parfois perdre pied aux personnages. Certains semblent littéralement s'engluer dans les obsessions que nourrissent leurs traumatismes, la nouvelle la plus significative en étant celle qui ouvre le recueil.
"Rêves captifs" une jeune femme a été séquestrée durant quatre mois, lorsqu'elle était enfant, par un inconnu. Alors enfermée dans un placard, qui depuis, alimente des cauchemars qui n'ont jamais pris fin, elle s'en est évadée dans des circonstances qu'elle-même sait impossibles.
On notera l'importance des rêves au sens strict ou figuré du terme également dans "Ma pathologie" (dont l'héroïne fait d'incessants cauchemars en lien avec sa grossesse) ou dans "Une heure en plus", où désirs éveillés et fantasmes du sommeil se matérialisent dans une réalité parallèle, à la fois prégnante et impalpable.
Tout l'art de
Lisa Tuttle réside dans sa capacité à rendre ses histoires convaincantes en dépit de leur dimension surnaturelle, ses intrigues s'inspirant par ailleurs de thématiques réalistes et universelles, et accordant souvent une place primordiale à la psychologie de ses personnages. Il y est ainsi question d'emprise au sein du couple, de l'angoisse que peuvent susciter la grossesse et l'accouchement, du sentiment de culpabilité des femmes qui peinent à trouver l'équilibre entre épanouissement personnel et vie de famille, ou de l'incommunicabilité comme vecteur de destruction des relations amoureuses …
"Le Remède" donne la parole à une femme qui s'exprime envers un "tu" que l'on devine être sa compagne, devenue volontairement muette pour rejoindre leur fils dans son mutisme. Ce dernier fait partie des "enfants du Remède", auxquels a été inoculé in utero une sorte de vaccin universel qui permet au corps de lutter contre toutes les maladies. Malheureusement, cette fantastique avancée médicale est ternie par un tragique effet secondaire, puisqu'elle provoque une mutation génétique empêchant l'acquisition du langage.
La survenance d'événements surnaturels n'est ainsi bien souvent qu'un prétexte pour révéler les pulsions dérangeantes et les monstres intérieurs qu'abritent les protagonistes.
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