AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Mélanie Fazi (Éditeur scientifique)
EAN : 9782953595130
216 pages
Dystopia (01/05/2011)
4.05/5   111 notes
Résumé :
Une petite fille séquestrée par un pervers parvient à lui échapper, mais personne ne la croit. Pour enfin parvenir à écrire, une femme s'aménage un bureau dans une pièce qui n'existe pas. Une génération entière d'enfants est dans l'incapacité d'apprendre à parler. Un homme féru d'alchimie fait un bébé d'un genre particulier à sa maîtresse. Une gravure mystérieuse semble surgie de nulle part. Sans trop savoir pourquoi, une étrange jeune femme, obnubilée par les drago... >Voir plus
Que lire après Ainsi naissent les fantômesVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (42) Voir plus Ajouter une critique
4,05

sur 111 notes
5
16 avis
4
16 avis
3
8 avis
2
1 avis
1
0 avis
Fixer des vertiges

Dès ses débuts dans les années soixante-dix, Lisa Tuttle s'est imposée comme l'une des voix marquantes du fantastique, une voix qui exprime des obsessions et des thèmes bien particuliers.
Ce recueil comporte sept nouvelles choisies et traduites par Mélanie Fazi, qui est elle-même une auteure reconnue dans le domaine du fantastique, et on y trouve de nombreux récits remarquables.

1) « Rêves captifs »: une jeune fille enlevée et séquestrée dans un placard pendant plusieurs mois par son ravisseur, s'en évade de manière invraisemblable ; quelques années après, elle rencontre son ravisseur… (5/5 : la chute du récit est à la fois totalement inattendue et absolument glaçante)

2) « « L'heure en plus »: une auteure découvre une porte qui n'existait pas dans sa maison ; elle ouvre sur un bureau d'écrivain idéal où elle peut écrire des textes inspirés ; mai un jour, elle aperçoit un homme à travers la fenêtre de cette pièce imaginaire … (4/5)

3) « Le remède » : un remède efficace contre toutes les maladies fait perdre l'usage de la parole à certains personnages du récit... (3/5 : ce texte « expérimental » selon l'auteur, où le langage est considéré comme un virus, ne m'a pas totalement convaincu)

4) « Ma pathologie » : l'amie d'un alchimiste tombe enceinte ; à quoi doit-elle s'attendre ? (4/5 : un texte perturbant sur l'aliénation que peut entraîner l'amour)

5) « Mezzo-tinto » : Mélanie découvre une inquiétante gravure dans le bureau de son compagnon, gravure qui lui rappelle celle évoquée dans une nouvelle fantastique de Montague Rhode James ; cette gravure suscite en elle des interrogations et son compagnon lui fait des révélations en contradiction avec ce qu'il lui avait dit auparavant..(4/5)

6) « La fiancée du dragon » : une jeune femme, qui n'a aucun souvenir de deux années de son enfance et qui a fui l'Angleterre pour des raisons obscures, y revient après le suicide de sa tante ; son compagnon éprouve une inquiétude croissante quand elle se met en quête de son passé… (4/5 : un récit habité par une tension constante, mais j'aurais aimé une fin un peu plus originale)

7) « Le vieux M. Boudreaux » : alors qu'elle est sur le point de mourir, la mère de la narratrice lui demande de s'occuper de son compagnon, monsieur Boudreaux ; mais qui est vraiment monsieur Boudreaux ? (3/5 : oui, ce monsieur est un très curieux personnage)

Dans la plupart des récits, cette réalité stable et rassurante à laquelle les personnages croyaient pouvoir se fier s'avère être un leurre, et cette traversée des apparences débouche souvent sur des abîmes...
Un recueil de nouvelles tout à fait réussi.


Challenge multi-auteures SFFF 2020
Commenter  J’apprécie          555
S'il y a bien une auteur française qui s'est imposée ces dernières années dans le domaine du fantastique, c'est bien Mélanie Fazi. Alors quand celle-ci accepte de se charger de l'élaboration d'un recueil regroupant les meilleurs textes de celle qu'elle considère comme son inspiratrice, difficile de résister à la tentation. Et on comprend en effet très vite l'influence qu'a pu avoir Lisa Tuttle sur le genre en général et sur cet auteur en particulier. Toutefois, si chez Mélanie Fazi le fantastique peut à certaines occasions se révéler plus réconfortant qu'effrayant (voire l'excellente nouvelle « Trois renards »), on bascule presque systématiquement dans l'horreur dans le cas de Lisa Tuttle. Les sept nouvelles au sommaire de ce recueil sont donc pour la plupart très anxiogènes mais d'une qualité littéraire indéniable. L'auteur met essentiellement en scène des personnages féminins qui, par amour, par devoir, par curiosité ou tout simplement par hasard vont se retrouver confrontées à des événements surnaturels qui vont évidemment complètement chambouler leur quotidien et leur comportement « Rien n'est ici plus dangereux qu'une femme amoureuse ou une victime devenue bourreau », nous prévient Mélanie Fazi dans sa préface. L'auteur accorde un soin tout particulier aux émotions de ses personnages mais le décor revêt lui aussi une grande importance, qu'il s'agisse d'une nature sauvage comme celle de la campagne anglaise ou du bayou américain, ou tout simplement d'une maison reflétant la personnalité (ou du moins l'étrangeté) de ses occupants.

Attardons nous à présent sur chacune de ces sept nouvelles. La première chargée d'ouvrir le recueil, « Rêves captifs », nous décrit le clavaire d'une petite fille peinant à faire croire aux circonstances de son évasion de la maison dans laquelle un pervers l'avait séquestré. Un texte très oppressant car très immersif et doté d'une chute tout bonnement glaçante. La nouvelle suivante, « L'heure en plus », est sans doute la nouvelle la moins anxiogène du recueil et aussi celle qui m'a le plus touchée. Elle met en scène une mère de famille se désolant de ne pas avoir assez d'heures dans une journée pour concilier sa vie de famille et son désir d'écrire et qui se voit offrir l'accès à une pièce coupée du monde et du temps dans laquelle elle peut laisser libre court à sa créativité. le texte prend la forme du journal intime de cette écrivaine en herbe à laquelle on s'identifie sans mal tant ses préoccupations parleront à n'importe quel lecteur : qui n'a jamais rêvé de n'avoir ne serait-ce qu'une petite heure de plus dans la journée ? Difficile également de ne pas s'identifier aux deux jeunes femmes de la nouvelle « Le remède » basée sur une idée géniale mais terrifiante : et si le langage était un virus que notre système pourrait un jour décider d'éliminer ? Avec « Ma pathologie » Lisa Tuttle s'attaque ensuite à un thème récurrent dans ses écrits : la grossesse. le texte met en scène une jeune femme s'éprenant d'un certain Daniel, un féru d'alchimiste, avec qui elle entame une relation passionnée qui ne va toutefois pas tarder à tourner au drame.

Les trois dernières nouvelles sont sans doute celles qui m'ont le moins marqué, bien que j'ai également pris beaucoup de plaisir à les découvrir. Dans « Mezzo-tinto » une jeune femme venue s'installer dans la maison d'enfance de son amant y découvre un jour l'existence d'une étrange gravure qu'elle n'avait jamais remarqué. Un bel hommage à l'auteur M. R. James et une angoisse qui ne fait que monter au fil des pages tant on sent bien que quelque chose cloche avec cette maison, et ce malgré l'aspect à priori tout à fait banal du couple. On retrouve cette même tension et ce même sentiment d'oppression dans « La fiancée du dragon ». La nouvelle met en scène une jeune femme qui, après un voyage en Angleterre datant de son enfance mais dont elle ne se rappelle pas, refuse de remettre les pieds en Albion. Sa rencontre avec un jeune homme et la mort de l'un de ses proches vont toutefois la forcer à revoir ses positions. Un texte plus long que les autres et qui n'est pas sans quelques défauts mais que j'ai personnellement trouvé intéressant et qui laisse cette fois la parole à un personnage masculin. le recueil se clôt avec une nouvelle un peu plus douce, « Le vieux Monsieur Boudreaux », dans laquelle une femme se rend au chevet de sa mère mourante qui lui fait promettre de veiller sur le compagnon de sa grand-mère censé être mort il y a des décennies. Un beau texte, plein de mélancolie mais dont la fin est peut-être un peu trop abrupte. L'ouvrage comprend également en bonus un entretien entre Mélanie Fazi et Lisa Tuttle qui nous en apprend un peu plus sur son travail d'écriture.

« Ainsi naissent les fantômes » est donc un excellent recueil qui ne manquera pas de ravir les amateurs de fantastique qui apprécieront certainement le délicieux frisson d'angoisse que leur procureront ces sept histoires horrifiques signées par l'une des auteurs les plus marquantes du genre. A découvrir !
Commenter  J’apprécie          220
« Ainsi rêvent les fantômes » est un recueil de sept nouvelles de l'auteure américaine Lisa Tuttle, choisies et traduites par Mélanie Fazi, qui nous offre en outre une intéressante interview de cet écrivain.

Avant de vous dire ce que j'en ai pensé, voici un bref aperçu de ces textes :

1 / Rêves captifs
Une adolescente, séquestrée pendant plusieurs années, peine à expliquer comment elle a réussi à échapper aux griffes de son geôlier, celui qu'elle appelle « le monstre », et continue à rêver de son emprisonnement dans le placard…

2 / L'heure en plus
Une écrivaine peine à concilier vie professionnelle, vie de famille (un mari David, deux petites filles, des tâches ménagères) et l'écriture de son roman à achever. Elle a seulement droit à un créneau quotidien d'une heure pour écrire, mais il ne lui suffit pas. Jusqu'au jour où, au détour de l'escalier, une porte apparaît dans le mur : elle s'ouvre sur un bureau rien que pour elle, où le temps semble suspendu et où elle peut écrire aussi longtemps qu'elle le veut …

3 / le Remède
Une jeune femme, écrivaine, observe sa compagne par la fenêtre, dans le jardin, avec son fils. Tous deux sont mutiques : c'est le Remède qui les a privés du langage …

4 / Ma Pathologie
Une jeune femme tombe amoureuse d'un homme en instance de séparation et fasciné par l'alchimie. Enceinte, elle vient vivre dans sa maison, dont elle est la seule à percevoir qu'une espèce de grosse bulle blanchâtre est greffée sur sa façade arrière …

5 / « Mezzo-Tinto »
Alors qu'elle vit avec lui depuis déjà quelque temps, dans sa toute petite maison de banlieue, elle découvre un cadre accroché sur le mur qu'elle n'avait jamais remarqué. Il lui rappelle une nouvelle intitulée « Mezzo-Tinto », dans laquelle un tableau s'animait. En même temps, elle se rend compte de troublantes incohérences dans les allusions que son ami fait au sujet de son passé et de ses anciennes compagnes …

6 / La fiancée du dragon
Dans une librairie, elle fait la connaissance d'un jeune homme alors qu'elle est en train de chercher des renseignements sur les dragons. Elle doit retourner en Angleterre pour y retrouver sa tante mais ne parvient pas à se souvenir du séjour de deux mois qu'elle fit là-bas, alors qu'elle avait douze ans et cette absence de mémoire l'inquiète terriblement. de cette période, elle conserve seulement une étrange bague-dragon restée fichée à son doigt ...

7 / le vieux M. Boudreaux
A cinquante-huit ans, elle rentre d'Europe, où elle vit depuis longtemps, pour venir au chevet de sa mère mourante. La défunte lui lègue la maison de sa grand-mère et lui demande de s'occuper d'un certain M. Boudreaux, qui fut le compagnon de celle-ci …

Voilà un recueil de nouvelles dont j'avais entendu dire beaucoup de bien et j'ai profité du sympathique geste de son éditeur, qui en a offert la version numérique pendant le confinement, pour le découvrir. Entre lui (le recueil, pas l'éditeur) et moi, il n'y a pas eu de coup de foudre immédiat, mais au fil des pages j'ai succombé à son charme délétère.

Ce qui m'a fait tiquer, au départ, c'est le côté féminin-centré du recueil : j'ai craint (à tort, je m'en suis rendu compte ensuite) que l'ouvrage manque d'envergure et me lasse rapidement en se focalisant sur des problématiques familiales et domestiques (en réalité, c'est ce qui fait sa force, cette confrontation avec le quotidien au sens large).
S'est ajouté à cela le constat que la thématique du rêve était très présente dans les nouvelles 1 (Rêves captifs) et 2 (L'heure en plus), or je trouve toujours un peu trop facile d'y avoir recours, dès lors qu'on est dans le registre fantastique. Mais elle s'avère très habilement exploitée (avec une chute terrible pour la 1 et un dénouement qui m'a beaucoup plu pour la 2). Pour revenir à la 2, ça avait pourtant mal démarré avec elle : le début m'avait un peu agacée parce que j'y voyais un message personnel appuyé de l'auteure (je-manque-du-temps-nécessaire-pour-écrire-pas-drôle-d'être-une-femme-multitâches) et je me disais que la narratrice n'avait qu'à demander à son David de le faire, le repassage (mentionné à plusieurs reprises). Heureusement pour moi, il y a une inflexion significative dans la suite de la nouvelle, qui m'a davantage accrochée.

Toutes les nouvelles ont donc pour héroïne une femme, souvent (mais pas toujours) jeune. C'est elle qui raconte et son histoire (avec ses problèmes) aborde la question de la relation à l'autre (amant(e), compagne ou compagnon, mais aussi enfant (né ou à naître) sous un jour qui peut se révéler très dérangeant.
Parfois, la réflexion déborde largement le cadre intime, c'est le cas avec la nouvelle 3 (Le Remède) : elle offre une réflexion intéressante sur le langage, s'interroge sur ses liens avec l'intelligence et, plus globalement, sur notre capacité à communiquer, et aussi ce qui fait de nous ce que nous sommes, les choix qui nous y mènent (notamment lorsque nous sommes parents).

La maison est un personnage-clé du recueil. Dans la nouvelle 7 (Le vieux M.Boudreaux), donnée « en supplément » et dont la tonalité, contrairement à ce qui est le cas dans le reste du recueil, est plutôt lumineuse, elle peut être un endroit magique, symbole de retour à soi et porteur de nos rêves d'évasion de jeunesse. Mais, dans la plupart des cas, c'est un lieu ouvrant sur de possibles transformations, dont certaines particulièrement éprouvantes (pour ne pas dire horribles).

Lisa Tuttle s'y entend pour braquer sa lampe torche sur les zones d'ombre de notre quotidien. Elle aime faire voler en éclats notre environnement rassurant et voir déraper nos vies ordinaires vers d'insondables et inquiétants gouffres d'incertitude, au fond desquels les pires terreurs peuvent se cacher.

Challenge multi-auteures SFFF
Commenter  J’apprécie          120
L'une de mes plus belles lectures de 2014…

Lisa Tuttle nous conte six merveilleuses histoires de femmes, intimes, violentes, furieuses, ou encore empreintes de folie. 6 histoires avec comme thème central le corps et l'esprit féminin.

Le recueil est bien construit, l'ordre des nouvelles est bien organisé la suivante ayant au moins un thème en commun avec la précédente, de sorte que chacune des nouvelles appelle à la lecture de la suivante. Un beau travail de Mélanie Fazi, traductrice et présentatrice de ce recueil. Sans conteste un bel hommage du vivant de l'auteur.

1. Rêves captifs : l'histoire d'une jeune fille captive, en proie à un monstrueux cauchemar, dans lequel le temps et l'espace joue un place prépondérante
2. L'heure en plus : Une écrivaine, jeune maman à l'emploi du temps bien rempli, découvre, dans sa maison, au détour d'un escalier, une porte dérobée qui va lui permettre d'obtenir du temps en plus pour des projets plus personnels.
3. le Remède : dans une société futuriste, le Remède a été trouvé pour soigner toutes les pathologies. Toutes et même plus…
4. Ma pathologie : l'auteur nous conte une histoire d'amour empreinte d'alchimie, du rapport amoureux et de la relation de la femme avec son corps et la grossesse
5. Mezzo-tinto : quoi de plus réconfortant que le foyer familial, lieu aménagé et pensé pour soi, refuge aux turpitudes de l'extérieur ? Mais si ce sweet home devenait soudain étrange, vecteur d'une peur diffuse et inexplicable.
6. La fiancée du dragon : seul récit porté par une voix d'homme, une étrange histoire de transformation.

Le style est très lyrique. L'écriture de Lisa Tuttle est une mélodie, une symphonie de mots qui nomment le malaise et la folie. Dans ce recueil, le fantastique se veut discret. A l'exception de la dernière histoire, ce recueil ouvre une fenêtre sur la confusion mentale (celle des autres mais aussi la nôtre). Une phrase à elle seule résumerait bien ce recueil ; Ainsi naissent les fantômes : du malaise engendré par la crainte soudaine des choses ordinaires.
L'auteur avoue elle-même : « Ca m'intéresse moins d'écrire sur des monstres « venus d'ailleurs » que sur les fantômes et les monstres intérieurs. » « L'une des choses les plus effrayantes à mes yeux, dans la réalité, c'est le « bon père de famille » qui rentre chez lui et tue sa femme et ses enfants avant de se suicider. […] Est-ce que cette folie et ces tendances violentes ont toujours été présentes chez lui, ou est-ce qu'il a subi un changement de personnalité total pour des raisons inconnues ? »

Les premières phrases de chacune des nouvelles sont des accroches qui traduisent ce malaise et tiennent le lecteur en haleine. La narration nous plonge dans la confusion propre au mélange du réel et de la fiction.
1. Rêves captifs : Il m'est arrivé quelque chose d'affreux quand j'étais petite.
2. L'heure en plus : une heure, c'est tout ce que je demande.
3. le remède : C'est dans cette pièce, jour après jour, que je transforme ma vie en langage.
4. Ma pathologie : ce n'est peut-être pas une vérité universelle, mais ce qu'on n'obtient pas facilement a bien plus de valeur à nos yeux.
5. "Mezzo-tinto" La façade du pavillon évoquait un visage grossièrement dessiné.
6. La fiancée du Dragon : Il y a deux mois de mon enfance dont j'ai tout oublié ; les deux mois les plus importants de ma vie.

Le quotidien familier, censé réconforter et apaiser se transforme en danger. Il devient la cause de la peur. Cette impression est bien traduite dans [Mezzo-tinto], nouvelle hommage à M. R. James. La maison connue, foyer du couple, source de réconfort devient soudain un lieu angoissant dans lequel l'héroïne se sent mal à l'aise, sans comprendre pourquoi.

Lisa Tuttle nous parle de la femme. de ses doutes mais aussi de ses peurs réels, parfois exagérés lorsque les moments heureux deviennent le lit de la terreur. La nouvelle [ma pathologie] est un bon exemple de ce sentiment qui m'a tenu tout le long de ma lecture. Dans cette histoire, la grossesse, source de questionnement et de crainte pour de nombreuses femmes, est évoquée comme une monstruosité :
Quelque chose de vivant grandit en vous !
Qui fait partie de vous sans faire partie de vous... et qui peut vous tuer.

Le livre en lui-même est un bel objet, merci Dystopia. L'illustration de couverture est bien vue et renvoie à la thématique générale du recueil : le corps et l'esprit féminin.

Enfin, un entretien entre Mélanie Fazi et Lisa Tuttle vient clore l'ouvrage et nous éclaire davantage sur la vision de l'auteur par rapport à ses écrits et à l'écriture en générale.
Une phrase en particulier, a retenu mon attention car elle traduit parfaitement le sentiment de l'amatrice de fantastique que je suis et contribue à désinhiber le genre :
Lisa Tuttle : « Lorsqu'ils sont bien écrits, je trouve en règle générale qu'un bon roman de science-fiction, de fantasy, de fantastique ou un bon roman policier sont bien plus agréables à lire que la plupart des romans de littérature blanche qui visent la respectabilité littéraire. »

Commenter  J’apprécie          120
Ainsi naissent les fantômes, des fantasmes angoissés d'une fillette enfermée dans un placard par son ravisseur, des rêveries d'une romancière à la recherche de « l'heure en plus » qui lui permettra d'écrire le chef-d'oeuvre de sa carrière, des terreurs paranoïaques d'une femme enceinte, des recoins les plus secrets et les plus angoissés de l'âme humaine… Ainsi naissent les fantômes, de la plume tourmentée, poétique et sinueuse de Lisa Tuttle, grande dame de la littérature fantastique américaine mais si tragiquement méconnue en France que seuls deux ou trois de ces recueils sont parvenus jusqu'à nous. C'est donc tout à l'honneur de Mélanie Fazi, grande admiratrice de la dame en question, d'avoir voulu lui rendre hommage en traduisant sept de ses plus remarquables nouvelles et en les partageant avec nous, frustrés lecteurs francophones que nous sommes.

Comme c'est le cas pour la majorité des recueils, certaines nouvelles sont un peu moins marquantes que les autres (je pense notamment à « La fiancée du dragon » que j'ai trouvé un peu longuette, malgré une chute réussie, ou à « Mezzo Tinto », prenante mais assez prévisible), mais le niveau d'ensemble reste remarquable ! Certains récits sont même de vrais petits chefs d'oeuvre, comme le terrifiant « Rêves captifs » qui ouvre le recueil de façon particulièrement traumatisante et m'a hérissé les poils de bras de bout en bout. Une ambiance vénéneuse, malsaine et cauchemardesque baigne tout l'ouvrage et parvient à insuffler un sentiment de malaise profond mêlé d'excitation chez le lecteur, sentiment qui persiste après la fin de la lecture, ce qui est la marque de toutes les bonnes histoires angoissantes. L'ombre de la démence plane également sur la plupart des récits, accentuant encore davantage ce sentiment d'oppression et jouant à merveille sur l'ambiguïté entre le surnaturel et la folie, un trait de narration qui me séduit toujours.

Recueil de grande qualité, donc, que je conseille chaudement ! (A noter que la version Folio du recueil contient une nouvelle de plus que celle de Dystopia, « le vieux M. Boudreaux » qui, si elle ne fait pas partie des meilleures de l'ouvrage, vaut tout de même le détour.)
Commenter  J’apprécie          183


critiques presse (1)
LeSoir
18 juin 2011
Lisa Tuttle n'a pas son pareil pour s'emparer du quotidien, de faits banals et de les tordre pour susciter le malaise, sinon même l'angoisse.
Lire la critique sur le site : LeSoir
Citations et extraits (15) Voir plus Ajouter une citation
Maman tourna la tête et me vit. Sans paraitre s'étonner, elle m'ouvrit les bras.
- Viens là, ma chérie.
Nerveuse, je m'avançai vers elle tout en observant le mur. Les cauchemars se dissipaient généralement à l'arrivée des adultes, mais les ombres ne se transformèrent pas comme je l'avais espéré. Celle qui se trouvait derrière maman devint un gigantesque insecte noir d'encre en trois dimensions qui émergea du mur pâle pour se diriger vers moi. Je me tortillai en hurlant pour tenter de m'enfuir, mais ma mère me maintenait fermement, l'expression immuable, implacable. Elle m'immobilisa tandis que la longue trompe noire de la créature d'ombre jaillissait pour toucher mon ventre à travers mon pyjama. Elle traversa le tissu puis ma peau et s'enfonça profondément en moi. Jamais je n'avais connu de douleur aussi atroce. Je hurlai de douleur avant de m'évanouir. (Ma pathologie)
Commenter  J’apprécie          30
J'ai arpenté mon domaine. Rien ne pressait. Je pouvais rester aussi longtemps que je le voulais. Depuis que j'étais devenu mère, je n'avais plus jamais connu le luxe du temps dont je disposais à présent: du temps à gaspiller pour me préparer paresseusement à l'écriture, me mettre dans l'ambiance ou me détendre progressivement. Personne n'allait me crier de venir voir, de venir aider; il n'y avait pas de repassage à faire ici, ni de devoirs à corriger, ni de cuisine ou de lessive. J'étais fatiguée, mais l'heure de me lever pour aller travailler n'approchait pas pour autant. Je pouvais rester aussi longtemps que je le souhaitais et bénéficier malgré tout de huit heures de sommeil.
Commenter  J’apprécie          40
Les mots sont magiques - c'est mon credo depuis toujours. Les choses prennent vie lorsqu'on les formule.

Page 62 Editions Dystopia [Le Remède]
Commenter  J’apprécie          100
Quand j'étais beaucoup plus jeune, j'avais fait cette découverte sans doute commune à la plupart des enfants : lorsqu'on parvient à hurler assez fort à l'intérieur d'un rêve - surtout quand on vient de s'apercevoir qu'il n'est pas autre chose - on se réveille.
Editions Dystopia Page 15 [Rêves Captifs]
Commenter  J’apprécie          30
Lors de toutes ces heures de la journée où j'étais enfermée dans le placard, je me trouvais donc dans le noir à l'exception de la la lumière qui s'infiltrait par les contours de la porte ; essentiellement par les deux centimètres qui séparaient le sol du bas de la porte. C'était ma fenêtre sur le monde.
[Rêves captifs]
Commenter  J’apprécie          20

autres livres classés : nouvellesVoir plus
Les plus populaires : Imaginaire Voir plus


Lecteurs (213) Voir plus



Quiz Voir plus

Les plus grands classiques de la science-fiction

Qui a écrit 1984

George Orwell
Aldous Huxley
H.G. Wells
Pierre Boulle

10 questions
4878 lecteurs ont répondu
Thèmes : science-fictionCréer un quiz sur ce livre

{* *}