Dix jours que j'ai refermé
Sukkwan Island et dix jours que ce roman me hante.
Je ne connaissais rien de ce livre et de son auteur lorsque je l'ai choisi parmi tant d'autres livres, et je ne m'attendais pas à cette tragédie. A cette puissance narrative non plus.
La nature est bien là, omniprésente, rude et hostile, mais, si prévisible en comparaison du chaos que représente la nature humaine, qu'elle en devient le seul élément stable et rassurant du récit. Nature glaciale et pourtant nourricière, nature austère et pourtant seul lieu où les personnages trouvent un tant soit peu d'apaisement, sorte d'exutoire à la violence de leurs sentiments.
La relation père fils est bien là, elle aussi, mais si violente et déstabilisante en comparaison de ce à quoi l'on pourrait s'attendre, que « l'autre », la relation à l'autre mais aussi à cette part de nous-même qui nous est étrangère, devient le plus grand des dangers.
Dans un premier temps, j'ai été complètement décontenancée par la dureté du récit : impossible de ressentir de la sympathie, de l'empathie pour le père ou pour le fils, tant leurs tourments et leurs réactions m'ont paru inadaptés et disproportionnés, tant leurs actions et leurs pensées sont présentées de manière percutante. L'écriture concise, factuelle, extrêmement réaliste de D.Vann nous frappe de plein fouet, anéantissant, en ce qui me concerne, toute capacité à m'émouvoir, à comprendre, à m'attacher à la forme du récit.
L'auteur réussit à nous donner le sentiment d'être présent sur l'îlot, témoin terrifié et impuissant du drame qui se joue. L'oppression nous gagne au fil de la lecture. La tension est permanente.
J'ai du faire une pause dans ma lecture, m'échapper de l'île…
…pour mieux y revenir.
La longue errance du père m'a bouleversée : sorte de chemin de croix où la lutte pour la survie physique devient moins cruciale que celle pour la survie psychique, tortueux et douloureux cheminement vers la compréhension de soi et vers ce qui me semble être, au final une forme de rédemption. Rédemption qui ne justifie pas l'élément tragique du récit bien évidemment, mais lui donne, enfin, un sens.
L'acuité avec laquelle l'auteur nous décrit les tourments de Jim ; ses peurs, ses questions, sa déraison, son désespoir, ses atermoiements, ses fragments de lucidité, exacerbés par l'omniprésence de la nature, est époustouflante.
Ce long cheminement fait écho à celui de Roy ; plus concis, moins complexe et si justement approprié à l'âge et à l'état d'esprit du personnage, que le contraste en est bouleversant.
J'ai été cet enfant, démuni face au mal être de son père, faisant de son mieux pour l'aider, résistant à sa nocivité et impuissant à y parvenir. J'ai été cet homme « victime de lui-même et bourreau des autres ».
Cette lecture a été douloureuse d'une certaine manière, mais les émotions intenses, tant les qualités littéraires du roman servent le récit.
Jim et Roy m'ont littéralement « habités » pendant dix jours et je sais qu'ils seront là encore longtemps. Merci Mr Vann pour ce que vous m'avez donné à partager.