DES LUMIÈRES DANS LA NUIT
Angèle Vannier n'est plus, pour la plupart des lecteurs même férus de poésie, qu'un vague souvenir, une poétesse presque oubliée, si ce n'est au fronton de quelques écoles ou collège dans sa région de vie (une charmante petite commune du nord paysan et rustique de l'Ille et Vilaine, Bazouges-la-Pérouse), quelques rues ici ou là en Bretagne essentiellement. Les amateurs de l'immortelle Edith Piaf auront-ils peut-être négligemment lu ce nom au détour de quelque album de la môme qui remporta le Prix du Disque en 1950 avec «Le Chevalier de Paris» sur un texte de notre poétesse aveugle...
Car, aveugle, oui, ses yeux l'étaient devenus, à l'âge de vingt-deux ans. Sans aucun doute sa poésie - s'il y en avait eu une, alors - s'en fut trouvée transformée sans ce drame. Drame qu'elle su retourner à son avantage, ou plutôt à l'avantage des mots, mettant ainsi les couleurs, les souvenirs, la beauté du monde à l'intérieur de textes très souvent incarnés, montrant les choses comme une mère montre ses petits, les portant même, pour plagier maladroitement Paul Eluard dont elle fut un temps, proche, et qui admirait cette femme et sa poésie. «Le langage d'Angèle Vannier ne tourne pas autour des choses, il va directement aux choses[...]», écrivait-il dans la préface d'un de ses premiers recueils, «L'Arbre à feux».
Femme de la communication avec les choses les plus élémentaires, fondatrices et fondamentales à la fois, de notre environnement immédiat, que sa cécité lui ouvrait paradoxalement bien mieux qu'à nous, "voyants"- pour preuve, l'un de ses ultimes recueils, «Brocéliande Que veux-tu ?», Angèle Vannier su aussi dire ce qu'est être femme, ce qu'il y a de particulier, d'inouï dans la féminité, dans ce qu'elle est créatrice, de vie ou de verbe.
Il est à regretter que les oeuvres d'Angèle Vannier ne soient plus guère disponibles - sauf à pratiquer les bouquinistes de la région ou en ligne -, et même cette anthologie, préparée des soins même de leur créatrice quelques temps avant sa disparition, publiée en 1990 par les éminentes éditions Rougerie (qui publièrent certains de ses ouvrages), est aujourd'hui à peu près introuvable. Heureusement, il y a aussi l'excellent travail de Nicole Laurent-Catrice qui, avec son Demeure d'Angèle Vannier, suivi de 12 poèmes d'Angèle Vannier, tâche de maintenir la flamme du souvenir et des mots aussi bien allumée que possible. de même est parue, l'an dernier une remarquable biographie de cette femme intitulée Angèle Vannier (1917-1980), La traversée ardente de la nuit par Françoise Coty et Dominique Bodin. Pour que ne disparaisse pas complètement le souvenir et l'oeuvre complexe, inimitable de cette femme qui annonça dès l'un de ses premiers textes : «Mes yeux fondirent dans ma bouche, Je pris la nuit comme un bateau la mer ».
Une oeuvre à rapprocher de celle d'un Gérard de Nerval pour les rivages communs d'étrangeté romantique, de Mallarmé et de Maeterlinck quant au travail infatigable sur la langue, de Pierre-Jean Jouve pour l'univers nocturne, de Paul Eluard, l'ami, ainsi que des surréalistes dont elle fut proche, et pour une certaine révision du monde, d'Yves Bonnefoy, enfin, dont la poésie fut comme un choc qu'elle mit un temps à dépasser, mais qui finit par enrichir son registre poétique. Angèle Vannier rassemble un peu tous ces grands-là, dans son impossible simplicité et sa perception d'un monde qui n'en fini jamais de nous rassasier.
La présente anthologie, modestement intitulée "Poèmes Choisis (1947 - 1978)", présente ainsi un choix de textes réalisé par leur créatrice juste quelques temps avant qu'elle ne lève l'ancre. Voici les titres des recueils originaux dont ils sont issu :
- Les songes de la lumière et de la brume
- L'arbre à feu
- Avec la permission de Dieu
- A hauteur d'ange
- L'amoureuse alchimie
- le sang des nuits
- Théâtre blanc
- le rouge cloître
- Ordination de la mémoire
- L'écharpe rouge et les chiens bleus
- Brocéliande que veux-tu ?
Peut-être un éditeur courageux et un peu fou aura-t-il un jour l'idée, excellente, de rééditer quelques un de ces merveilleux textes...? Les miracles ne sont pas tous d'un autre temps, sait-on jamais !
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UN SERPENT COULE DANS SA BAGUE
Tous les miroirs sont veufs et les fuseaux brisés
dans le château où vit l'ombre de cette reine.
Un loup s'endort au coeur d'un triangle écarlate
Le rouet du plaisir tourne à faux tourne à blanc
car le pacte est rompu de l'ange avec la bête.
La reine est morte
un serpent coule dans sa bague
Les cloches de l'étang dévorent des poissons
Le pêcheur triche au jeu des âmes sur le pont
Dans un crime oublié au fond d'un corridor
Aveugle au temps
une araignée couve un trésor
La reine est morte
Et l'ombre de la reine est en péril de mort
UN ARBRE DEMEURAIT
Un arbre demeurait parmi les armes rouges
Il se leva paisiblement humide et clos.
Je ne connus de lui que ce chant sans visage
Qui suivait les ruisseaux pourchassés vers la mer
Haute tour refusant la colombe de vair
Qui guettait la blancheur pour sauver son image.
C'était mal d'oublier l'astre noir des stigmates
Gravés sur mon regard par le couteau de Dieu ?
C'était mal de mêler l'aubépine de neige
A l'autre neige vraie cuirassant l'arbre à feu ?
Comment font les oiseaux sous les forêts lointaines
Pour découper le gel avec leurs ciseaux blancs
Un coeur continental s'est givré dans son sang
Avec les pierres bleues qui bâtiront la ville
L'enfance réveillée blanc Christ à tête d'ange
Me cherche cette nuit comme une soeur passée
Car je suis grave et lente avec les giroflées
Mourant de soif contre les ruines du soleil.
AVEC TES GRANDS YEUX VERTS
Que veux-tu Brocéliande avec tes grands yeux verts
battus
cernés par les caresses des amants
noués et dénoués au bord de la fontaine
ton cœur ricoche dans la nuit
sur les serments défaits
Je t'ai vécue deux fois dans l'arbre de ma vie
C'est le ventre de ma mère que je t'ai lue
fœtus
baignant dans les eaux
Et j'ai précipité ma naissance
pour m'engager les yeux ouverts
plus vite en ton nom
Mais c'est aveugle que j'ai vu ton sens
et même pris ton texte à la lettre
Au premier tour de fièvre
enroulée dans l'instinct
des feuillages des sexes
et des lièvres enfouis dans leur terrier de sang
tu m'as donné tu m'as repris
le goût de ces paniers tressés pour le cavalier
des chansons
Au second tour de cœur
tu m'as gardé douze ans alliances
alexandrines
cercle
on m'a lâché pour que j'écrive ou que je vole
Et j'atterris à tes genoux
ce soir
cachant mon corps dans un buisson orange et noir
puisque je veille
et porte les couleurs du sens
de tes fruits
arborés
tard
La quatrième chambre est un ventre de pluie
La voyeuse affutée jusqu'au faîte
du regard
Dort dans la dormition de cette prose humide et ronde
investie par son double au comble de sa chair
Un nénuphar aveugle a surgi de ses paumes
De voyeuse à voyante il existe un loup blanc
qui écarte en rêvant les cuisses de la femme
pour peu qu'elle consente à ce ventre de pluie
le soir où les chasseur visent des roses mâles
« Une anthologie de femmes-poètes ! - Eh oui, pourquoi pas ?
[…]
On a dit du XIXe siècle que ce fut le siècle de la vapeur. le XXe siècle sera le siècle de la femme. - Dans les sciences, dans les arts, dans les affaires et jusque dans la politique, la femme jouera un rôle de plus en plus important. Mais c'est dans les lettres surtout, - et particulièrement dans la poésie, - qu'elle est appelée à tenir une place considérable. En nos temps d'émancipation féminine, alors que, pour conquérir sa liberté, la femme accepte résolument de travailler, - quel travail saurait mieux lui convenir que le travail littéraire ?! […] Poète par essence, elle s'exprimera aussi facilement en vers qu'en prose. Plus facilement même, car elle n'aura point à se préoccuper d'inventer des intrigues, de se créer un genre, de se faire le champion d'une idée quelconque ; - non, il lui suffira d'aimer, de souffrir, de vivre. Sa sensibilité, voilà le meilleur de son imagination. Elle chantera ses joies et ses peines, elle écoutera battre son coeur, et tout ce qu'elle sentira, elle saura le dire avec facilité qui est bien une des caractéristiques du talent féminin.
[…]
Et puis, au moment où la femme va devenir, dans les lettres comme dans la vie sociale, la rivale de l'homme, ne convient-il pas de dresser le bilan, d'inventorier - si l'on peut dire, - son trésor poétique. Les temps sont arrivés où chacun va réclamer le bénéfice de son apport personnel. […] » (Alphonse Séché [1876-1964])
« Il n'y a pas de poésie féminine. Il y a la poésie. Certains et certaines y excellent, d'autres non. On ne peut donc parler d'un avenir spécial de telle poésie, masculine ou féminine. La poésie a toujours tout l'avenir. Il naîtra toujours de grands poètes, hommes ou femmes […]. Où ? Quand ? Cela gît sur les genoux des dieux, et nul ne peut prophétiser là-dessus.
[…]. » (Fernand Gregh [1873-1960])
0:00 - Angèle Vannier
1:22 - Andrée Chedid
2:07 - Juliette Darle
2:51 - Anne Perrier
3:26 - Claire Malroux
4:01 - Anise Koltz
4:26 - Liliane Wouters
5:20 - Générique
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Références bibliographiques :
Couleurs femmes, poèmes de 57 femmes, Paris, co-édition le Castor Astral/Le Nouvel Athanor, 2010.
La poésie à plusieurs voix, rencontres avec trente poètes d'aujourd'hui, sous la direction de Serge Martin, Paris, Armand Colin, 2010.
Françoise Chandernagor, Quand les femmes parlent d'amour, Paris, Cherche midi, 2016
Images d'illustration :
Angèle Vannier : https://traversees.files.wordpress.com/2020/11/angele-vannier-biographie-cristel-couverture.jpg
Andrée Chedid : https://www.bulledemanou.com/2015/03/andree-chedid.html
Juliette Darle : http://academiereneevivien.unblog.fr/salon-litteraire/salon-litteraire-6-juillet-2019/
Anne Perrier : https://www.recoursaupoeme.fr/auteurs/anne-perrier/#iLightbox[aac8e1aa6f5de8aeaab]/0
Claire Malroux : https://twitter.com/ColeHenri/status/717368378826956801/photo/1
Anise Koltz : https://www.luxtimes.lu/en/culture/anise-koltz-wins-top-poetry-prize-602d5ef2de135b92369270dd
Liliane Wouters : https://www.lezardes-et-murmures.com/2016/10/testament-liliane-wouters.html
Bande sonore originale : Arthur Vyn
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