C'est devenu une habitude, j'attends le prochain
Valerio Varesi comme un bon cru, patiemment. Une fois en sa possession, l'ouvrir est une cérémonie, puis je le déguste, me régale de ses parfums variés et subtils . Une fois terminé, j'attends le suivant avec autant de confiance que de patience. Mon fournisseur attitré et exclusif est le même que pour tous les adorateurs de
Valerio Varesi, les éditions Agullo (lesquelles, il faut le souligner, mettent à l'honneur leur traductrice en lui consacrant une page en fin d'ouvrage à l'identique d'un auteur : court CV et bibliographie. Bravo!)
Pour ceux qui ne le connaissent pas,
Valerio Varesi est cet auteur italien qui a donné naissance au commissaire Soneri, son héros récurrent. Un commissaire normal, donc atypique : pas un jeunot, pas un play-boy, pas un alcoolique, pas un cow-boy, non, un type ordinaire emplit d'autant de certitudes que de doutes et qui fait marcher ses neurones sans attendre son eureka du fond de sa baignoire.
«
Or, encens et poussière » est le cinquième opus traduit en français par
Florence Rigollet.
Le roman commence ainsi : près d'une ville de Parme noyée dans un épais brouillard (toutes les aventures de Soneri se déroulent à Parme ou dans sa région), un carambolage paralyse l'autoroute dans la « bassa ». Une bétaillère s'est renversée, des taureaux errent dans la plaine fantomatique où Soneri flanqué de son adjoint Juvara se guide à l'instinct, aux lueurs de la civilisation, à l'odeur de pneus brûlés…
Une scène dantesque.
Une découverte macabre lancera l'enquête dans laquelle Soneri fera comme à son habitude usage de son intelligence et de sa classe. Comme à son habitude Soneri – ou Varesi, on ne sait pas très bien – promènera sur le théâtre de Parme et ses acteurs un regard amoureux, mélancolique, et désabusé. Parfois teinté de désespoir.
Tout est bon chez Varesi : décor, personnages, intrigues. Sans oublier son amour pour Parme ni la qualité des embrouilles – il ne sacrifie rien, c'est pour ses personnages que j'ai un faible. Je pense que lui aussi. Là où d'autres ont recours aux caricatures, aux archétypes,
Valerio Varesi peint tout en délicatesse et profondeur, il cisèle, il polit, et donne vie à des personnages aux nuances complexes et vraies, aux antipodes des brutes épaisses ou de ces sacs à vin qui tendent à encombrer l'univers du polar.
L'un d'entre eux, le personnage de Sbarazza (qui n'est pas sans rappeler celui de Gondo dans «
Les mains vides « , autre roman de Varesi) tient une place centrale, un sorte de point d'ancrage pour Soneri qui contrebalance celui défaillant d'Angela, sa compagne qu'il se voit perdre. Personnage digne d'intérêt, sorte d'aristocrate déchu qui promène sur le monde et ses pairs un regard aiguisé et sensible, les joutes verbales entre les deux hommes sont un pur régal. Comme le sont les dialogues avec Angela, d'une grande finesse.
Quand Angela le plonge dans des affres – elle a un amant et ne lui apporte aucune certitude dans ses décisions futures – Soneri trouve auprès de Sbarazza non pas du réconfort mais un apaisement à travers les propos subtils, plein de bon sens et d'humanité. Et l'on se dit qu'une fois encore, comme avec le Gondo des « mains vides »,
Valerio Varesi laisse le soin aux pauvres de redonner un peu d'humanité à cette société – car tout part à vau-l'eau dans ce bas-monde parmesan : drogue, prostitution, trafics en tous genre – un peu comme si les nantis en étaient devenus définitivement incapables.