J’ai reçu votre lettre si affectueuse ! Merci ! Je profite de l’absence du grand-mandarin pour écrire avec quelque loisir… Le grand-mandarin donnait six sous pour ma nourriture ; mais il ne les donne plus, de sorte qu’aujourd’hui je me serais allé coucher sans souper, si le chef de canton Maï, qui est emprisonné avec moi, ne m’avait envoyé une écuelle de riz… Hier le nouveau mandarin de la justice est venu me voir et m’interroger pour la forme. Comme il me disait que le bonheur de l’autre vie était incertain, tandis que le bonheur de ce monde est certain et positif, je lui ai répondu : Pour moi, grand-mandarin, je ne trouve rien sur la terre qui me rende heureux ; les richesses font des envieux et donnent des soucis, les plaisirs des sens enfantent une foule de maladies. Mon cœur est trop grand, rien de ce qu’on appelle bonheur en ce monde ne peut le satisfaire.
Cher Eusèbe, j’ai aimé et aime encore le peuple Annamite d’un amour ardent. Si Dieu m’eût donné de longues années, il me semble que je me serais consacré tout entier, corps et âme à l’édification de l’Église Tong-Kinoise. Si ma santé, faible comme un roseau, ne me permettait pas de grandes œuvres, j’avais du moins le cœur à la besogne. Disons : L’homme propose et Dieu dispose. La vie et la mort sont dans sa main ; pour nous, s’il nous donne la vie, vivons pour lui ; s’il nous donne la mort, mourons pour lui.