Verhaeren est un peintre, un coloriste, devrais-je dire. Avec ses mots il brosse le tableau de cette Flandre qu'il aime, de ces petites gens pauvres, humbles mais qui se fondent tellement harmonieusement dans cette nature qui les entoure.
Nous voyons s'animer, mais à peine, une foule de quasi immémoriale, cette même population qui remplissait les paysages de Brueghel ou de Bosch. Ils ont entretemps acquis cette paix que connaissent les pauvres, les oubliés, les petits qui savent, eux, à quoi ressemble leur destin.
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Le moulin tourne au fond du soir, très lentement.
Sur un ciel de tristesse et de mélancolie;
Il tourne et tourne, et sa voile, couleur de lie,
Est triste et faible et lourde et lasse, infiniment.
Depuis l'aube, ses bras, comme des bras de plainte
Se sont tendus et sont tombés; et les voici
Qui retombent encor, là-bas, dans l'air noirci
Et le silence entier de la nature éteinte.
Un jour souffrant d'hiver sur les hameaux s'endort.
Les nuages sont las de leurs voyages sombres,
Et le long des taillis qui ramassent leurs ombres,
Les ornières s'en vont vers un horizon mort.
Autour d'un vieil étang, quelques huttes de hêtre
Très misérablement sont assises en rond;
Une lampe de cuivre éclaire leur plafond
Et glisse une lueur aux coins de leur fenêtre.
Et dans la plaine immense, au bord du flot dormeur,
Ces torpides maisons, sous le ciel bas, regardent,
Avec les yeux fendus de leurs vitres hagardes,
Le vieux moulin qui tourne et, las, qui tourne et meut.
En automne, saison des belles pourritures,
Quand au soir descendant le couchant est en feu
On voit au bas du ciel d'immenses balayures
De jaune, de carmin, de vert pomme et de bleu.
Les flots traînent ce grand horizon dans leurs moires
Se vêtent de ses tons électriques et faux,
Et sur fond de soleil, des barques toutes noires
Vont comme des cercueils d'ébène au fil des eaux
Les voix du jour mourant, funèbres et lointaine:
Roulent encor dans l'air avec le vent des plaines
Et les sons d'angélus tintant de tour en tour:
Mais tous cris vont mourir, et mourir toutes flammes
L'appel des passeurs d'eau va se taire à son tour...
Voici qu'on n'entend plus qu'un bruit tombant de rames.
Avec leur chat, avec leur chien,
Avec, pour vivre, quel moyen?
S'en vont, le soir, par la grand'route,
Les gens d'ici, buveurs de pluie,
Lécheurs de vent, fumeurs de brume.
Les gens d'ici n'ont rien de rien,
Rien devers eux
Que l'infini, ce soir, de la grand'route.
Zeer langzaam draait in d'avondstond de molen
Tegen een hemel van droefheid en weemoed;
Hij draait en draait en zijn zeil, donkerrood,
Is triest en zwak en zwaar en uitermate moe.
Traduction en néerlandais du poème Les Moulins cité plus haut
Poésie - Le péché - Emile VERHAEREN