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"Les Campagnes hallucinées" et "Les Villes tentaculaires" d'Emile Verhaeren
Verhaeren est un poète flamand qui, comme son ami Georges Rodenbach, écrivait en français. Publiés respectivement en 1893 et 1895, ces deux recueils de poèmes évoquent les terribles bouleversements de la fin de siècle. Dans "les Campagnes hallucinée", Verhaeren s'inspire des paysages mornes de sa Flandre natale, observe les miséreux qui travaillent la terre et peu à peu l'abandonnent pour les villes. Parfois, il parvient à évoquer leur funeste destin à partir d'un simple outil "la bêche". le recueil est ponctué de sept "chansons des fous", des intermèdes macabres et grotesques. Quant aux vers des "Villes tentaculaires", dans un même mouvement, ils brossent les atmosphères nocturnes et inquiétantes des ports, des étals, des usines et des quartiers ouvriers. Il s'agit peut-être du témoignage à la fois le plus effroyable et le plus beau sur la révolution industrielle. La poésie de Verhaeren accessible, frissonnante et si riche, si musicale, aux images saisissantes.
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Incursion poétique ce mois-ci chez un poète fin de siècle, au ton résolument réaliste quant au choix d'évoquer, comme Baudelaire, ou encore Rimbaud, avant lui - pour ne citer que quelques exemples -, la ville ou la campagne dans son quotidien le plus prosaïque.

C'est là que réside, comme chez les poètes précités, à mon sens, le talent d'Emile Verhaeren : il parvient, en effet, par une grande musicalité, souvent audacieuse - les schémas strophiques, rimiques et syllabiques respectent davantage la sémantique et la syntaxe que des structures canoniques, modernité poétique oblige -, et par un grand lyrisme qui frôle parfois l'épique - que de personnifications, d'allégories ou métaphores magistrales, même si pas toujours originales - à transcender ces deux lieux emblématiques du progrès économique, technique, industriel... du XIXème siècle qui fait se vider les campagnes au profit des villes, engraissant à vue d'oeil, s'étalant sans crier gare.

Et ces deux lieux emblématiques, tout autant fascinants qu'inquiétants, quant à ce qu'ils racontent, justement, de ce progrès en marche forcée depuis les années 1850, sont perçus avec acuité par un regard poétique, lui aussi fascinant et inquiétant, que j'ai plus qu'apprécié.
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Quel souffle ! Quelle fraîcheur. de la poésie au service du réel, comme c'est agréable. Émile Verhaeren est un virtuose de la langue. Ses poèmes sont des sonates qui sifflent à nos esgourdes comme autant de vers et d'images que de bois et de vents. Rappelons que les recueils dont il est question furent publiés à la toute fin du XIXème siècle. Aussi, les campagnes dont nous parlons sont d'ores et déjà éventées par l'exode rural et les villes, quant à elles, sont devenues industrielles. le livre porte donc un propos politique maquillé sous une esthétique singulière et envoûtante. Amis gourmands de poésie, n'hésitez pas à lire ce poète et à le faire connaître.
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J'avais lu le nom d'Emile Verhaeren dans la biographie de Verlaine par S. Zweig, et je l'ai retrouvé dans l'ouvrage la Commune des écrivains. J'ai donc décidé d'en savoir plus sur l'oeuvre de ce poète.
Et j'ai compris assez vite l'admiration que Zweig lui porte, et surtout pourquoi il le rapproche de Verlaine. Il y a en effet une musicalité dans ce recueil, avec les "chansons d'un fou" dans les Campagnes hallucinées, avec les poèmes "Statue" dans les Villes tentaculaires qui reviennent comme des intermèdes entre deux autres poèmes. Les poèmes contiennent aussi un rythme musical interne, avec de nombreux vers qui reviennent de façon lancinantes comme des refrains : " c'est l'étal flasque et monstrueux de la luxure", "toute la mer va vers la ville"...
Verhaeren se rapproche aussi du Verlaine moderne, celui qui fait entrer en poésie les trains à vapeur, les cheminées d'usine. J'ai d'ailleurs pensé à Joseph Pontus et à ses Feuillets d'usine dans la description de l'ouvrier déshumanisé devenu un simple rouage de la machine : "la parole humaine abolie".
C'est aussi une proximité avec le Verlaine sensuel, voire érotique. Seulement, dans ce double recueil, la chair est triste, flasque, morne. Que ce soit dans les villes ou dans les campagnes, sur le port ou dans les champs, tout le monde n'est animé que par le désir, ou plutôt par le "rut", un terme qui revient à de très nombreuses reprises. On est donc loin des Fêtes galantes ou des Romances sans parole, les prostituées sont trop fardées, les femmes grasses, les marins brutaux... Dans les Campagnes hallucinées, il y aurait peut-être des allusions à Baudelaire et à sa charogne, car même les mortes peuvent être saillies...
Et, pour sortir de la comparaison avec Verlaine, j'ai été frappée par une vision géographique très moderne : la ville s'étend sur la campagne avec ses pollutions, ses miasmes, ses fumées, mais aussi ses idées. J'ai particulièrement apprécié l'omniprésence du rouge et du noir dans ce double recueil, le rouge des fumées, des incendies, de la révolution aussi - dans ce qui est sans doute une allusion à la Commune et à la Semaine sanglante, et le noir de la mort, des cendres, des cadavres et du pourrissement. On sent un anticléricalisme, un esprit révolutionnaire dans les poèmes. Et ce sont ces idées qui contaminent aussi les campagnes ; sauf que la ville elle-même est contaminée par ce que l'auteur ne nomme pas encore la mondialisation - et on retrouve une perspective géographique : les marchandises, les hommes et les idées circulent : la mer - et donc le monde - pénètre la ville.
Un double recueil très riche, qui permet de multitudes interprétations et niveaux de lecture, qui me donne envie d'approfondir l'oeuvre de ce poète.


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Ces poèmes marquent le début de l'essor des villes industrielles et ouvrières au détriment des campagnes.
Aujourd'hui, avec l'avènement du télétravail dû au confinements, on serait plutôt sur un retour vers les campagnes où l'espace est plus accessible.
Ces poèmes du début du siècle passé sont assez sombres et marqués par la mort et j'ai préféré la 1ère partie sur les campagnes rythmée par les chansons de fous.

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Fin dix-neuvième, campagnes hallucinées, des tableaux forts de misère, mort et bestialité puis vient la ville tentaculaire, ses hauts fourneaux rugissant, et le port avec ses marins et sa luxure.

A la fois versifié et violent, c'est du rap avant l'heure, c'est géant!
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"Les Campagnes hallucinées" et "Les Villes tentaculaires" sont deux oeuvres épiques versifiées. Emilie Verhaeren fait le récit de deux mondes complémentaires mais aussi étrangères l'une à l'autre. La campagne est idéalisée mais c'est aussi un monde qui disparaît.
La fin du XIXème siècle est dominé par la seconde révolution industrielle (chimie, mécanisation, électricité).
L'auteur confronte l'existence exigeante, rude, solidaire des hommes et des femmes vivant de la terre. Les superstitions, la foi habitent la campagne. La tâche est âpre, les silences profonds. le temps s'étire ; le cycle de la nature suit son cours.
Les villes tentaculaires ressemblent à Ostende.
La ville absorbe peu à peu la campagne et ses habitants qui s'enferment dans des usines. le ciel disparaît dans les fumées asphyxiantes. La croissance économique permet à une nouvelle classe sociale d'émerger. La vie est-elle meilleure ? Quelle modernité pour une société en mutation ?
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“Je suis celui qui vaticine comme les tours tocsinnent”. le poète est l'interprète des symboles, dans un monde ouaté, il est le prophète de la décadence du modernisme.

Conscient qu'il ne fait que moudre le vent, il espère embraser l'âtre des âmes. La modernité et ses fumées apportent irrémissiblement leur lot d'avanies. C'est la mort qui, tel “un fleuve de naphte”, passe dans les campagnes hallucinées, les absides deviennent le dernier refuge des paysans alors que la ville tentaculaire, dans un “vent moisi appose aux champs sa flétrissure” et pousse un “lamentable cri” tumultuaire.

Face à leur fatale et chaotique destinée, les veules campagnards, “de village en village”, implorent la mort de les épargner. Cette mort n'est-elle pas la ville tentaculaire dont le fanal igné et lugubre irradie les plaines environnantes ? Celle qui éloigne toujours davantage les frondaisons, les printemps, les ramilles, l'odeur humide des foins. Elle est la faucheuse qui moissonne les âmes des campagnes hallucinées.

Emile Verhaeren pour la poésie, Joris-Karl Huysmans au roman, Gustave Moreau et Fernand Knopff à la peinture, le grand orchestre symboliste est à l'oeuvre, sur une musique de Debussy, et veut étouffer, par sa symphonie mystique, pléthorique et décadente, les gloires des esthètes du parnasse et l'aube rougeoyante des naturalistes.

Ces vers libres du poète belge, aux rimes évidentes et éparses, me laissent l'esprit fuligineux, à peu près incapable de me faire une opinion.
Le symbolisme est une forme d'allégorie fantastique, notamment en peinture, si certains ont pu admirer « les âmes sauvages » consacrée au symbolisme balte au Musée d'Orsay, on est proche de ce que l'on trouve aujourd'hui dans le cinéma fantastique et le graphisme des jeux vidéo “d'heroic fantasy”, peut-être que le symbolisme pourrait renaître avec la B-D (si ce n'est pas déjà le cas ?).

Ce courant littéraire de l'extrême fin du XIXe siècle est apocalyptique. Ce n'est pas une lecture folichonne, tout n'est “que pourriture et bouffissure” mais la beauté et l'extrême raffinement de la langue rachètent ces excès de pessimisme dystopiques et cette atmosphère monochrome et pléonastique.

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Un mot résume ce recueil de poèmes de l'immense Emile Verhaeren : carrefour. Mot dont le poète fait d'ailleurs assez régulièrement usage.

Carrefour entre deux époques, celle de l'ère agricole – qui dura des millénaires- et celle de l'ère industrielle – qui dura deux cent ans. le poète oppose ces deux époques, en partant des campagnes hallucinées où la vie est souvent une question de survie aux intempéries, aux maladies, aux famines pour arriver aux villes tentaculaires qui envahissent peu à peu les campagnes dépeuplées. Les paysans, « les gens qui n'ont rien devant eux que l'infini de la grand-route », migrent vers les villes, vers le mirage d'une vie facile. Cette ville qui va jusqu'à attirer la mer elle-même «toute la mer va en ville ! »

Carrefour entre des sentiments contradictoires : nostalgie des temps anciens, néanmoins teintée de réalisme, et fascination pour les temps modernes, tout en restant là aussi très lucide … car toujours les hommes modestes – la plupart des hommes- restent aliénés. Les hommes ont changé de croyance, abandonnant Dieu et la superstition pour épouser le nouveau culte, celui de l'argent.

Carrefour entre deux périodes de la vie de Verhaeren : entre la période très noire du début de sa vie d'adulte et des moments plus apaisés ici. D'aucuns diront qu'entretemps le poète a rencontré l'amour et s'est marié … Mais toujours l'homme éprouve des difficultés à trouver sa place.

C'est une série de tableaux de la Belgique de la fin du XIXème siècle, entrecoupés de « chansons du fou », qui apporte un peu de légèreté et de fantaisie dans ces paysages souvent mornes. Fou de douleur à cause de la vie dure, ou fou parce que personne ne viendra les sauver de leur pauvres conditions de mortels, même pas les morts, même pas la religion. Ou fou parce que tout va trop vite. Ou réaction légitime face à un monde où la Raison est placée sur un piédestal et devient mode de pensée dominant ? En opposition ou en complétement de ces chansons, dans la partie des villes hallucinées, on lit les portraits de statues, figées dans la ville, dans la mort et dans l'histoire…

C'est une poésie très picturale. Emile Verhaeren disait lui-même en 1881 : « Il faut fonder dans la Poésie une école flamande, digne de sa soeur aînée, la fille des peintres». Et certains poèmes font penser à Monet (le port, la ville …), ou au sombre Ensor et aux tableaux fantasques de Khnopff.

J'y ai trouvé les paysages de Marcinelle, les bords de Meuse à Seraing, les usines de tissage de la vallée de la Lys, du temps où la Belgique était la deuxième puissance industrielle au monde. J'y ai aussi retrouvé les paysages de mon enfance, dans cette Flandre Occidentale, de ce Westhoek si éloignée de la région d'Anvers que Verhaeren habitait. Preuve que la Flandre n'est qu'une vaste plaine, un immense plat pays qui craque sous le vent de novembre. Mais vous savez déjà tout ça.
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Si la NRF a choisi de réunir en un seul volume ces deux recueils, publiés pourtant à deux ans d'intervalle (1893 et 1895), c'est qu'elle jugeait que les deux recueils étaient, par leurs thèmes, reliés logiquement. A la lecture de beau volume, on ne saurait donner tort aux éditeurs. Emile Verhaeren, poète belge, flamand de naissance et écrivant en français, s'y fait le témoin d'un siècle d'exode rural et d'industrialisation de son pays, lorsque les villes concentrent, de plus en plus et au détriment de campagnes laissées pour compte, les hommes et les activités économiques. Verhaeren se fait géographe, mais pas seulement ; en homme de lettres, il dépeint des hommes et des femmes dont il décrit les passions et les peurs, les folies et les désespoirs.

Paradoxalement, c'est par un oxymore que les deux recueils commencent. le poème La ville ouvre le recueil des Campagnes hallucinées ; La plaine inaugure Les villes tentaculaires. Clairement, les deux espaces géographiques sont liés : la ville est l'aboutissement logique de la campagne, son horizon indépassable, son grenier à bras. Lorsque la ville dresse ses usines, exhibe son port et ses lumières, regorge de bruits tintamarresques, la campagne, symbolisée par la plaine (on voit ici les origines flamandes de Verhaeren) se meurt lentement, ravagée par l'ennui et la misère.

La plaine est un pays de tristesse. le recueil des Campagnes hallucinées se compose de poèmes aux ambiances lourdes : tout y est étriqué, on y étouffe : le bas ciel gris écrase, les chemins boueux retiennent les membres, le diable n'est jamais très loin, surveillant les hommes et les femmes d'ici. A la campagne, le donneur de mauvais conseils a du travail : il est la personnification de la mesquinerie, de la lâcheté, de l'abandon de soi. le désespoir est omniprésent dans ces poèmes. Personne ne danse à la kermesse, fors les fous, en tout cas pas les mendiants qui errent de bourgs en bourgs et auxquels, même morts, les gens des campagnes ne tendent pas la main. Au bout du chemin, ceux des campagnes ont trois choix possibles : la mort, qui se soûle du sang des hommes et s'attaque d'abord aux pauvres, car ils n'ont que cela à lui offrir ; la peur omniprésente, qui est source de toutes prudences et de toutes lâchetés mais qui ne préserve pas de la misère (personnifiée par les rats dans l'une des Chansons de fou) ; le départ vers la ville, enfin, auquel tous consentent, laissant seulement la bêche fichée en terre, laissant derrière eux leurs pauvres chaumières trouées et les anciens, laissés au cimetière, entre les regrets et la colère.

La ville qui accueille ces bras nouveaux a quantité de lieux bruissants de vie. En ville, plus de fous qui chantaient qui la folie, qui les meurtres, qui la misère ; les statues les remplacent, symboles figés des vertus et gloires du passé : en vrac, on retrouve le conquérant, l'apôtre, le bourgeois. Il y a bien-sûr les âmes en peine, en ville : les promeneuses sont les veuves que la mort de leurs maris a autant rassemblées qu'isolées, les prostituées sont les proies obligées que des cohortes d'hommes vont voir, après le travail ou après le spectacle, bêtes fauves attirés par la viande fraîche. Il y a la mort, toujours, en ville, et les cortèges funéraires qui la célèbrent parcourent la ville, nombreux, des hôpitaux aux cimetières, des logis modestes aux églises de quartier. Mais Emile Verhaeren sait surtout, dans ce recueil, décrire les lieux de la ville : le port, l'usine, la bourse, l'université. Partout, Verhaeren exerce sa verve, oscillant, là aussi, entre la célébration du génie humain et la dénonciation des odieux défauts : le vil égoïsme des financiers, la mangeuse de bras qu'est l'usine (laquelle remplace le moulin flamand : là aussi, Verhaeren trahit ses origines en évoquant le travail du tissu), les marins et les soldats morts qui font du port cette porte ouverte sur le monde. La ville, seul horizon, désormais, de l'humanité, demande finalement Verhaeren ?
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