J'avais lu le nom d'
Emile Verhaeren dans la biographie de
Verlaine par
S. Zweig, et je l'ai retrouvé dans l'ouvrage la Commune des écrivains. J'ai donc décidé d'en savoir plus sur l'oeuvre de ce poète.
Et j'ai compris assez vite l'admiration que Zweig lui porte, et surtout pourquoi il le rapproche de
Verlaine. Il y a en effet une musicalité dans ce recueil, avec les "chansons d'un fou" dans
les Campagnes hallucinées, avec les poèmes "Statue" dans
les Villes tentaculaires qui reviennent comme des intermèdes entre deux autres poèmes. Les poèmes contiennent aussi un rythme musical interne, avec de nombreux vers qui reviennent de façon lancinantes comme des refrains : " c'est l'étal flasque et monstrueux de la luxure", "toute la mer va vers la ville"...
Verhaeren se rapproche aussi du
Verlaine moderne, celui qui fait entrer en poésie les trains à vapeur, les cheminées d'usine. J'ai d'ailleurs pensé à Joseph Pontus et à ses Feuillets d'usine dans la description de l'ouvrier déshumanisé devenu un simple rouage de la machine : "la parole humaine abolie".
C'est aussi une proximité avec le
Verlaine sensuel, voire érotique. Seulement, dans ce double recueil, la chair est triste, flasque, morne. Que ce soit dans les villes ou dans les campagnes, sur le port ou dans les champs, tout le monde n'est animé que par le désir, ou plutôt par le "rut", un terme qui revient à de très nombreuses reprises. On est donc loin des Fêtes galantes ou des Romances sans parole, les prostituées sont trop fardées, les femmes grasses, les marins brutaux... Dans
les Campagnes hallucinées, il y aurait peut-être des allusions à
Baudelaire et à sa charogne, car même les mortes peuvent être saillies...
Et, pour sortir de la comparaison avec
Verlaine, j'ai été frappée par une vision géographique très moderne : la ville s'étend sur la campagne avec ses pollutions, ses miasmes, ses fumées, mais aussi ses idées. J'ai particulièrement apprécié l'omniprésence du rouge et du noir dans ce double recueil, le rouge des fumées, des incendies, de la révolution aussi - dans ce qui est sans doute une allusion à la Commune et à la Semaine sanglante, et le noir de la mort, des cendres, des cadavres et du pourrissement. On sent un anticléricalisme, un esprit révolutionnaire dans les poèmes. Et ce sont ces idées qui contaminent aussi les campagnes ; sauf que la ville elle-même est contaminée par ce que l'auteur ne nomme pas encore la mondialisation - et on retrouve une perspective géographique : les marchandises, les hommes et les idées circulent : la mer - et donc le monde - pénètre la ville.
Un double recueil très riche, qui permet de multitudes interprétations et niveaux de lecture, qui me donne envie d'approfondir l'oeuvre de ce poète.