L'ouvrage
Mauvaise Graine, plutôt destiné au grand public, est issu d'une recherche passionnante et minutieuse, menée par deux historiens chercheurs, sur deux siècles d'histoire de la justice des mineurs.
L'iconographie très bien mise en valeur, les références foisonnantes , puisent leur richesse dans une documentation provenant en grande partie des archives de l'administration française, notamment de la Protection judiciaire de la jeunesse actuelle, anciennement appelée Education surveillée.
Le lecteur est entraîné dans le dédale d'une justice si singulière, si politisée, qui évolue sans cesse dans ses orientations à l'égard de cette enfance "irrégulière" au gré des pressions sociales, politiques, alimentées elles-mêmes par des faits-divers qui agitent l'opinion publique.
Cette analyse sur le long court nous permet de percevoir en filigrane des réflexions des acteurs de terrain qui incarnent cette justice et la construisent chaque jour; qui tentent d' appréhender cette question si sensible de comment oeuvrer en faveur du relèvement durable de mineurs en profondes difficultés.
Faut-il continuer à prendre en compte la spécificité du public auquel s'adresse cette justice, même lorsque celui-ci commet des actes qui choquent, qui font peur, qui provoquent le dégoût et l'incompréhension de la société? Au contraire, faut-il se déprendre des actes posés, aussi graves soient-ils, pour chercher en chacun de ces enfants des solutions individualisées, qui lui permettent de relever la tête, de comprendre, de s'amender, et de se reconstruire au milieu du chaos adolescent, et en définitive faire la paix avec la société qui le juge?
L'ordonnance du 2 février 1945, maintes fois retoquée demeure le texte de référence relatif à la délinquance des mineurs. Elle consacre la spécificité de cette justice des mineurs, elle accorde la primauté de l'éducatif sur le répressif. La question se pose toutefois de ce qu'on retient de l'Histoire, de la cruauté des traitements infligés autrefois, qui ne sont pas si différents de ce qui existe actuellement, notamment dans des structures qui enferment pour mettre à distance, pour cacher, pour détourner les regards, pour éviter qu'on ne se penche réellement sur des problèmes structurels qui impactent notre société, et par ricochet, notre jeunesse, et nos adultes de demain...
Comme le soulignent les auteurs de cet ouvrage, les frontières entre enfance en danger et enfance délinquante sont extrêmement poreuses, se juxtaposant ou se superposant la plupart du temps. le rôle du juge des enfants, en tant que chef d'orchestre de cette justice si particulière, est d'être le garant de la protection de l'enfance sans distinction dans l' absolu, puisque le jeune délinquant est aussi un mineur à protéger. Un travail qu'il ne pourrait réaliser sans ses chevilles ouvrières : ses hommes ou femmes éducateurs, psychologues de service, assistants sociaux, professeurs techniques qui exécutent dans l'ombre les décisions judiciaires et contribuent par leur pratiques professionnelles et leur travail de proximité à donner sens à cette justice.
J'ajouterai juste comme bémol à cet ouvrage, que leurs recherches s'arrêtent aux années 80. Je me doute qu'il s'agit d'un choix, dicté peut-être par une commande institutionnelle, mais il est bien dommage qu'il ne relate pas notre justice aujourd'hui. Faudra-t-il attendre deux siècles supplémentaires pour voir surgir une vraie recherche "dépassionnée" sur ce qui traverse notre époque?
Enfin, je regrette que la préface soit rédigée par l'actuelle directrice de la Protection judiciaire de la jeunesse, qui a pris son poste en février 2017 seulement... Dans ce genre d' ouvrage historique, il ne manque assurément pas d'historiens de qualité - comme monsieur Yvorel qui réalise la postface- pour contribuer à ce genre d'ouvrage de qualité.