Delphine de Vigan, Christine Angot, Annie Ernaux, Justine Levy ...Qu'est-ce qui pousse ces femmes de grand talent à écrire toutes quasiment le même livre sur leur mère ? À coller au plus près de la réalité pour en faire jaillir la vérité, abandonnant la fiction ? Leur point commun, c'est d'être des femmes, et je pense que dans l'espace de liberté d'expression qui existe aujourd'hui, unique dans l'histoire, pour les femmes, elles cherchent à construire sur du solide, sur du vrai, sur de la matière brute, l'âme des femmes, leur vérité et leur réalité tangible. Pas les femmes rêvées des grands romanciers sur des siècles passés, pas les madame de Rénal, les madame de Mortsauf, madame de Truc, sans corps et tout amour, pas Nana pute et soumise et ses collègues à la cuisse légère. Non, les vraies femmes, avec des corps, ni putains ni mères, des êtres humains comme les autres, folles ( Vigan, Levy), mères imparfaite voire indignes ( Levy, Vigan), faibles, incultes aveugles ( Angot), forte ( Ernaux), meprisée ( Ernaux, Angot), soumises à la puissance d'un système social puissamment dominateur et patriarcal ( Angot, Ernaux, Vigan), à des violences sexuelles insupportables ( Vigan, Angot). Il ne s'agit donc pas de voyeurisme, il s'agit de dénoncer un système qui broie les êtres depuis la nuit des temps, et qu'aujourd'hui on peut sortir de l'ombre. En qualifiant ces textes de voyeurs, on participe au déni de ces violences, car on souhaite qu'elles restent dans l'ombre.
Delphine de Vigan maîtrise la mise en abime de ce principe ( comme elle le montre aussi dans Une histoire vraie). le déni qui détruit sa famille est le même qui pourrit une société qui veut rester dans l'aveuglement. Il faut du courage pour écrire de tels faits, et elle ne pousse pas à fond, comme Christine Angot, elle reste bien douce, insistant sur les moments " lumineux" de l'enfance de sa mère, des grandes réunions de famille...Elle ne veut pas heurter ses oncles et tantes, elle dilue, elle adoucit les contours. Pourtant, si on lit bien entre les lignes, c'est l'enfer qui nous est décrit. Un père incestueux, destructeur, toxique, une mère qui n'aime que les bébés et laisse tomber les enfants dès qu'ils ont plus de trois ans, des parents globalement peu concernés, qui adoptent un "enfant martyr" lorsqu'ils perdent l'un des leurs, des enfants interchangeables, donc, remplaçables, des suicides qui se succèdent...Une fille totalement déséquilibrée, régulièrement internée...Oh là là ! et où sont les grands parents quand Lucile, leur fille folle, pète les plombs complètement ? Que vont-ils pour l'aider ? Quel argent donnent-ils ? Rien, Nada. C'est désespérant.
Un texte courageux, qui s'inscrit dans un mouvement littéraire de libération de la parole, de la pensée, des opprimés, un hommage à celles qu'on a rendu folles, faibles, mélancolique et suicidaires en leur appuyant la tête sous l'eau par la seule force de la pression sociale. Pour que cette pression disparaisse, il faut d'abord qu'elle apparaisse, et qu'elle soit dite.
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Malgré son orientation plutôt intimiste et le risque de tomber dans des confessions impudiques - ce qui est devenu très à la mode avec la téléréalité et internet - le livre de Delphine de Vigan atteint une portée universelle et c'est ce qui le rend passionnant. Passionnante l'histoire de cette famille et de ses non-dits que l'on peut lire comme un roman.
Le point de départ : un suicide, le suicide de sa mère. Et comme tout suicide, la mauvaise conscience, la colère, le besoin de comprendre, la révolte de ceux qui restent. Un pari : en comprendre la genèse à travers une histoire - celle d'une famille nombreuse à la fois hors-norme et ordinaire - et d'une enfant, Lucile, très belle mais silencieuse, toujours un peu à part et de ses relations ambiguës avec son père...Puis une jeune femme très tôt mère, la vie de hippie des années 60, la drogue, un divorce, des compagnons instables, la vie communautaire, et bientôt la folie qui s'installe, l'incapacité de travailler, de s'occuper de ses filles (Delphine et sa soeur) et tout bascule...Et c'est l'internement, la camisole chimique qui pendant dix ans fera d'elle un robot. Puis quelques années plus calmes, une éclaircie dans la nuit où elle reprendra des études et deviendra infirmière...jusqu'à l'épisode final, le cancer contre lequel elle n'aura plus la force de lutter.
Un très beau texte, touchant par sa profonde humanité, et qui pose le problème de la maladie psychique, aussi bien ses causes - psychologiques, physiques, héréditaires ? - que ses soins - peut-on s'en sortir ? difficilement car la rechute guette en permanence et que la prise en charge médicale reste aléatoire.
L'auteure est directement touchée et habitée par cette histoire douloureuse dont elle sait nous faire partager la difficulté à l'écrire. Un livre courageux et émouvant.
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La narratrice, après le suicide de sa mère à 66 ans, tente de reconstituer l' enfance saccagée et la vie chaotique de cette dernière.
Enfant-modèle, sans doute violée par son père, trop belle et trop fragile pour résister à toutes les tensions-conjugales, familiales, amoureuses et professionnelles, et ne voyant pas d'issue à la psychose maniaco-dépressive dont elle est atteinte, ni à la pauvreté où l'a réduite un parcours professionnel erratique, elle décide de ne pas peser un peu plus sur ses filles et met fin à ses jours.
En toile de fond, on découvre sa famille , haute en couleurs et délétère à la fois, marquée par le suicide ou la mort accidentelle des 3 frères de l'héroïne, son père excentrique et prédateur, sa mère lumineuse mais sans doute aussi aveugle, irresponsable, complice..
La narratrice rend compte avec lucidité des obstacles et des manques de son propre récit, sent souvent la vérité lui échapper, le personnage de sa mère la fuir..
Le récit est d'une force et d'une honnêteté poignantes. Un très beau livre.
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