« L'histoire est la science qui a les morts pour objet d'étude, elle offre très peu de place aux vivants. » Dans le dernier livre de Volodazkine,l'objet d'étude du jeune historien doctorant Soloviov en est effectivement l'un d'eux, un général de l'Armée Blanche , Larionov, qui à l'arrivée des Rouges étonnamment non seulement échappa à la mort mais ne fut pas non plus expulsé de sa maison et même qu'on lui attribua un travail.
J'avais lu de lui «
Brisbane », où la vie n'est pas un moment présent mais tous les moments que tu as vécu , l'avenir, en vérité n'existe pas, c'est un monceau de rêveries ou encore pire d'utopies: pour les réaliser on sacrifie le présent. Quand à la mort, il est omniprésent. Dans ce tout premier livre qu'il a écrit mais dernier à être traduit le thème de la mort y est déjà , ressenti par Soloviov comme inévitable dès la première enfance, alors que Larionov le côtoiera quotidiennement vu qu'il était déjà prescrit dans sa profession comme la première et dernière exigence.
Au premier abord il semble que Soloviov est accaparé à résoudre le mystère de la survivance de Larionov après la défaite de l'Armée blanche. En faites en avançant dans le livre l'élucidation du mystère ne devient qu'un fond de décor pour déployer la vie du jeune Soloviov dans la Russie contemporaine, qui à travers la recherche sur Larionov se cherche lui-même et arrivera à découvrir d'incroyables coïncidences entre lui et le général. le temps d'un été à Yalta on le suit , lui et son sujet de thèse en parallèle, le passé éclairant le présent.
L'auteur s'amuse à une satire caustique du monde académique post-soviétique qu'il sature de notes de fonds dont certaines inventées 😁 mais toujours avec un fond de vérité , questionnant l'essence et la relativité de la vérité historique , ( 76 S.M. Boudienny , « Le bon comportement envers les chevaux », Boudienny en faites est une race de chevaux créée par le maréchal Semion Boudienny mais le dit livre de référence n'a jamais existé ). Mais la vraie verve du roman vient de l'humour de Volodazkine qui n'y va pas de main morte, jonglant entre la Russie tsariste, soviétique et post-soviétique, où des passages fabuleux soulignent d'une ironie mordante des situations tragi-comiques à la limite de l'absurde créés par ces changements, où le beau devient laid, le vrai faux, où tout est permis à ceux qui ont pris le pouvoir. Comme l'exemple du matelot révolutionnaire rouge qui casse au burin les moulures Art nouveau du plafond de sa nouvelle chambre qu'il considère comme un luxe bourgeois l'induisant d'une peinture verte épaisse et sa suite… ou pour un appartement qui plait à un membre de la Police d'Etat de l'Union soviétique , le dit membre fait fusiller son locataire dans les plus brefs délais , n'importe sa couleur blanche ou rouge, et plus tard, pour ce même membre qui aimerait un logement plus grand , tout un étage sera fusillé par son chef pour améliorer les conditions de vie de son subordonné ( dommage que des patrons aussi bienveillants n'existent plus 😆).
Les trains , les chemins de fer et l'obsession de la mort, particulièrement chez Larionov qui se passionne sur ce qui définit la mort biologique, sont à la base de ce roman magnétique savoureux! Un livre qui se veut une gambade exubérante, enrichie de satire académique, d'ébats historiques , de méditation philosophique, le tout saupoudré d'un zeste de policier , bref un délice ! Et j'oubliais, c'est aussi une histoire d'amour, amour au sens large, très large du terme 😊!
« La vie d'un être humain est inexplicable. On ne peut expliquer que la mort. »
« Soloviov se demanda à quel degré précisément l'histoire était une fiction. »
« La vérité est plus merveilleuse que la fiction. »