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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Rentrée littéraire 2023.

Avec le plus court chemin, véritable ode à l'écriture, Antoine Wauters, ne plonge pas dans la vie d'un vieil homme pour relater l'histoire de la Syrie dans les soixante dernières années, comme il l'avait fait dans le magnifique Mahmoud ou la montée des eaux mais dans sa propre vie intérieure, en nous relatant des fragments de son enfance.
Une démarche en fait, quasiment similaire comme il le dit lui-même.
Il nous raconte son enfance, du début à la fin des années quatre-vingts, dans un petit village des Ardennes belges, jusqu'à la chute du Mur qui fut pour lui une onde de choc, une fracture.
Comme des bulles qui remonteraient dans son esprit, Antoine Wauters en se promenant dans le passé, nous livre de courtes séquences où il note ce qui lui revient, un mélange de mémoire et d'oubli.
Il évoque cette enfance auprès de ceux qui l'ont tendrement aimé, dans ce coin de campagne wallonne presque coupé de tout.
Pour faire revivre ce quotidien, il parle des arbres, de la nature immense, il nomme les lieux, raconte son père banquier, sa mère enseignante, son frère Charles et plus tard sa soeur Lorraine, Nénène et Papou ses grands-parents, Parrain Jacques et ses oncles flamands, autant de personnes qui, chacune à leur manière ont eu une importance dans sa vie, une influence dans ce qu'il est, l'ont nourri physiquement et intellectuellement.
Le début des années quatre-vingt-dix sera pour lui l'endroit de la cassure et jouer ne sera désormais plus pareil.
Il confie qu'il n'a pas toujours aimé ces lieux et qu'il en est même parti, mais s'aperçoit que les voix des gens du coin ne l'ont jamais quitté, qu'elles sont toujours là et qu'il les écrit...
L'écriture est pour Antoine Wautersle plus court chemin pour rapporter ces fragments d'enfance qui ne sont plus visibles mais tellement importants.
Ce roman qui s'apparente à une autobiographie est un récit très personnel qui engendre d'immenses émotions. Pourtant, il peut être considéré comme universel, tant le fait que pour chacun d'entre nous, nos vies sont nourries par la voix de nos ancêtres, notre passé.
En contant cette époque, l'auteur nous fait revisiter une époque sur le point de disparaître, le virtuel devenant plus réel que tout : « Un espace de douceur et de cruauté, avant les ordinateurs, avant le règne du porno et des jeux vidéo immersifs, avant que tout se mette à trembler et à aller très vite. Avant que les gens tombent amoureux d'eux-mêmes, abîmés dans leurs téléphones. »
Le plus court chemin m'a fait rêver, rappelé de nombreux souvenirs d'enfance oubliés, m'a évidemment rendue nostalgique de ces temps où comme le dit si bien l'auteur, la vie était placée sous le signe de ce bienheureux ennui...
Tendresse, mélancolie, sensibilité, délicatesse et poésie traversent ce récit intime et universel.

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Le vertige des glycines
Antoine Wauters nous livre des fragments de vie, ceux de l'enfance vus par l'adulte devenu, mais aussi de ce lien à l'écriture.
Ce sont des éclats poétiques ou tempétueux, car tout n'est pas que douceur.
La certitude qui l'habite c'est le terreau dont il est issu à la fois force et faille.
« On vivait la vie que les gens vivaient alors, une vie où s'il y avait bien une chose qui n'existait pas, c'était l'envie de se mettre en avant. »
En effet ce sont les années avant les réseaux sociaux et leur grand déballage.
L'intime au plus près de ce qu'est l'auteur, adossé aux traditions, à la rusticité, l'authenticité, la campagne wallonne donnant le « la » du vrai.
Ce sont des éclats lumineux comme le soleil se reflétant sur l'eau et les tempêtes d'un hypersensible, écartelé par les années qui passent et qui doivent plier vers l'âge adulte.
C'est aussi une vie de famille, toutes générations confondues.
L'auteur est loin du cliché du conquérant se présentant devant ses lecteurs avec des certitudes.
C'est au contraire l'enfant multiple qui est toujours là, il a accepté les errances, la fragilité, il fait l'éloge de la simplicité.
Puis au fil de ces parcelles qui nous sont offertes, le lien avec l'écriture se fait, comme une évidence.
Il dit aussi la chance d'avoir des parents présents, attentifs, la lettre du papa page 236, pour ses vingt ans est le point d'orgue. La beauté dans la simplicité, des mots qui sont l'essence d'un père à son fils.
Ces mots disent l'importance des racines et combien il est important de les poser pour lutter contre l'oubli.
J'aime le style Antoine Wauters, la forme qui nous emmène loin et nous fait revenir à nous, car il y a de l'universel dans ce terreau.
Lyrique sans ostentation, c'est un mélange de réserve et de sauvagerie, celle qui fait oser.
C'est une langue singulière que j'apprécie davantage à chaque opus.
Son secret, en plus du terreau, celui des origines, il y a les livres, avec cette phrase qui résonne très fort en moi :
« Lire, c'est une armure de sens. »
Alors vous dire combien je continuerai à lire cet écrivain…
©Chantal Lafon


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Si l'enfance devait être un lieu, ce serait la cuisine. L'odeur des pommes qui dorent au four pour le goûter et la fraîcheur du carrelage. La mousse au chocolat picorée du bout des doigts. C'est le lieu du partage et des souvenirs où il faisait bon vivre l'insouciance.

Par fragments, Antoine Wauters nous emmène dans « le plus court chemin » au coeur de la campagne belge, sur les routes qui l'ont vu grandir, loin de la frénésie urbaine, dans la quiétude d'un village familial. En grandissant, l'amour de la terre et l'écriture deviennent un refuge pour affronter le monde et tenter de figer le temps qui passe, souvent trop vite.

C'est un très bel hommage à la simplicité, à l'amour des siens, au courage de sortir de soi pour surmonter la rencontre avec un monde qui ne ressemble en rien avec ce que l'on a toujours connu. Un véritable retour aux sources, en toute sincérité, qui fait du bien! J'ai littéralement griffonné chaque page tant ces mots me rappelaient ma propre expérience de ce décalage entre la vie urbaine et ce besoin irrépressible de revenir vers la nature.

Une petite pépite !
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❝Écrire, c'est courir derrière soi sans s'atteindre vraiment.❞
Thomas Vinau, Tenir tête à l'orage

❝J'écris ce livre sans réfléchir, comme quelqu'un qui ferait un puzzle sans savoir combien de pièces il compte, ni ce qu'il doit former. Je n'ai pas de modèle. Pas d'image pré-imprimée où poser mes pièces. Je me promène dans le passé comme un marcheur solitaire. Je note ce qui revient, et que ce qui revient, c'est un mélange de mémoire et d'oubli, de sorte que s'il finit un jour par former quelque chose, mon puzzle ne représentera peut-être presque rien, ou seulement la figure de l'absence. Mémé, venant m'embrasser la nuit. Papou, en haut de l'arbre où nous avons cueilli des cerises ensemble pour la toute dernière fois.❞

Le plus court chemin d'Antoine Wauters vient de paraître aux éditions Verdier et bien que la quatrième de couverture promette un roman, l'auteur belge puise dans la matière autobiographique pour livrer dans un délicieux désordre les fragments épars de sa mémoire. Les textes brefs — une page, un paragraphe, une unique phrase parfois — égrènent les souvenirs comme lieux d'une existence possible.

❝Où sont passés les souvenirs de la Petite Maison, l'enfant qui y jouait, le nez dans le souffle des voitures remontant la grand-route depuis Comblain-au-Pont ? Il m'arrive de penser qu'il n'y a pas de sens à vivre si tout s'oublie si vite.❞

Le plus court chemin est celui qui enjambe non seulement les années, mais aussi le fossé entre fiction et autobiographie pour ouvrir les tiroirs de la mémoire et libérer le monde de l'enfance qui s'y tenait serré, soudain à l'étroit. Jaillissent alors des souvenirs, des arrêts sur images sépia, des sensations attachées à quelques lieux de la campagne wallonne autour de Fraiture, entre l'Ourthe et l'Amblève, région de paysages aussi immenses que les ciels qui repoussent sans cesse l'horizon, à l'écart de tout, même de la vie dit-on qui bat dans les lointaines Bruxelles ou Liège. Antoine Wauters est revenu habiter non loin des terres de sa famille, preuve s'il en est qu'il ne s'inscrit ni dans la fuite ni en rupture.

❝Je suis celui qui reconnaît le périmètre qu'il habite ; je sais d'où je viens et où je reviens, parfois.❞

Cette écriture à partir de soi pour aller à soi est traversée de deux thèmes intimement liés : la lutte mélancolique et inquiète contre l'oubli et l'effacement de ce qui est devenu invisible mais subsiste encore, et une réflexion singulière, toute personnelle et profonde sur l'acte d'écrire.

❝En écrivant ces lignes, je ne fais que poursuivre cette création-là, comme un funambule sur le fil de ces voix emmêlées remontant du passé, à moitié effacées et pourtant toujours là. L'écriture est ce fil posé sur l'oubli. Et le risque, je crois, est peut-être moins de chuter dans l'oubli que dans la mémoire. de ne plus en revenir. Ce serait alors une autre forme d'oubli. Échouer dans le souvenir par refus d'oublier. Descendre dans l'écriture sans pouvoir en remonter. Être piégé.❞

Le regard, rétrospectif et nostalgique, se porte principalement sur les années 1980-2000 — ❝avant les ordinateurs, avant le règne du porno et des jeux vidéo immersifs, avant que tout se mette à trembler et à aller très vite. Avant que les gens tombent amoureux d'eux-mêmes, abimés dans leurs téléphones❞ — plus sporadiquement des années 2000 à nos jours, sur ceux qui les peuplaient alors — le père banquier et souvent absent, la mère enseignante, Charles le frère jumeau et plus tard Lorraine la petite soeur, Pépé et Mémé, Papou et Nénène, Oncle Priit et Tante Annaatje, Jacques Martin le fermier et l'institutrice si peu amène que les enfants l'avaient surnommée Cheval —, tous confrontés à

❝Une masse colossale d'ennui. de temps qui ne passe pas. de vie réduite à sa plus basse intensité […] Je ne sais pas s'ils ont été heureux.❞

Le regard se meut lentement et s'attarde aussi sur les petits riens, réminiscences du temps jadis qui se risquent hors des tiroirs de la mémoire pour

❝Fixer l'éternité contenue dans le regard d'une vache, son innocence blessée. Entendre le tracteur John Deere qui s'enfonce dans le bois du Fays. Parler avec la voix d'un enfant qui ne reviendra plus, la parole perdue. Fixer les cornes en croissant de lune des bêtes que Karine, l'épouse de Jacques, rentre aux étables, leurs mamelles déformées par les centaines de milliers d'heures de traite, leur rumination triste, lente, cette façon de mâcher constamment le même morceau de temps, exactement comme moi qui écris ces lignes.❞

Fixer pour contrarier la folle course du monde qui estompe un mode de vie où la lenteur avait sa place, avant que ❝tout ce que nous avons aimé nous [soit] enlevé à jamais❞ selon les mots de Pier Paolo Pasolini cité par l'auteur.

Un souvenir en appelle un autre, un autre encore, et peu à peu les tesselles de la fragile mosaïque de la mémoire s'ajointent tant bien que mal, dessinant une manière de cartographie qui n'élucide rien parce que tel n'est pas son but. Morceaux du temps jadis ; madeleines de Proust fleurant bon l'authenticité, la cerise, la fraise, le foin... et le purin ; jours enfuis racontés avec une sincérité inquiète.

❝La nostalgie, c'est un applaudissement du passé. Dans une main, il y a des larmes. Dans l'autre, beaucoup de joie.❞

L'écriture pour Antoine Wauters est née dans ce terreau-là, est fille de ces lieux-là, de ce temps-là, de ces larmes, de cette joie, de ces contradictions-là.

❝J'ai vécu jusqu'à mes dix-huit ans dans un petit village d'Ardenne où mon imagination se trouve encore. Que je le veuille ou non, tout ce que j'écris vient de là : des quelques mètres carrés du hangar à poules de Papou, de l'odeur des fraises qu'il cultivait derrière l'église, face aux collines de Hoyemont, au-dessus de l'Ourthe et de l'Amblève, des silos à foin de la ferme de Jacques Martin, des bêtes sachant d'instinct trouver le bonheur, des machines agricoles défoncées par l'usage, dans le purin.❞

Intimement liée aux silences des hommes de la famille ❝Poursuit-on par nos propres silences des silences entamés plus tôt ?❞, l'écriture a germé sur les manques pour les combler ❝Il y avait de la joie en moi et je me sentais peuplé. C'est encore le cas aujourd'hui. J'écris pour rester nombreux.❞

La facilité serait de ne voir ici qu'un inventaire/éventaire de souvenirs ramenés à la surface, souvenirs qui peut-être ne parleront pas du tout à certains d'entre nous — ou mal, tant il est vrai que chaque enfance est unique, et multiple à la fois. Tout cela ne serait-il pas finalement d'une banalité sans nom ? Penser cela est, je crois, manquer le coche et passer à côté du véritable objet de ces vignettes douces-amères où s'écrivent en creux une vie sauvée par l'écriture, une légitimité toujours mise en doute mais en voie d'être acquise par l'écriture. L'écriture, encore et toujours elle, comme résistance à l'effritement qu'il s'appelle solitude, ennui, cassure, manque d'assurance ; l'écriture comme lieu à partir duquel comprendre celui que l'on était qui façonne celui que l'on devient.

❝Parfois je me demande si mes qualités d'enfant n'ont pas fait de moi un adulte pitoyable, si mon refus d'aller vers les autres ne m'a pas transformé en type étroit, terrorisé par tout. […] Et si les qualités qu'on prête aux écrivains, pour finir, ne relèvent pas davantage du pli autistique que du talent. Mes livres sont-ils autre chose que mes maladies déguisées ?❞

Et nous faire à notre tour nous interroger, non sur notre enfance ou de façon oiseuse sur sa quelconque conformité avec celle de l'auteur, mais sur ce qu'elle nous a légué et que nous trimballons avec nous, et ce que nous en retiendrons avant que l'oubli n'anéantisse tout.

Le plus court chemin est un récit certes fragmentaire et nimbé de tendre nostalgie, mais dire cela ne le résume pas, heureusement. On n'y trouvera aucun lamento sur la disparition d'un âge qui ne reviendra pas — le paradis est perdu, Antoine Wauters le sait, c'est entendu, mais quelques arpents subsistent dans les souvenirs, qu'il est bon d'entretenir. Ce faisant, Antoine Wauters offre de réfléchir à ce que creuse en nous le hiatus entre enfance et âge adulte. Les années 1980 ne sont guère éloignées de notre époque actuelle, et pourtant que de bouleversements, à commencer par ceux induits par la chute du Mur de Berlin. Les souvenirs sont-ils aptes à combler la distance entre la lenteur d'une époque quand il y avait encore un temps pour chaque chose et la brutalité de la nôtre qui court à tout va et au diable, et qui a, semble-t-il, définitivement oublié la simplicité ordinaire des jours engourdis ? La combler donc ? Assurément pas, mais jeter un pont, grâce au fil ténu de l'écriture.
Je me suis sentie privilégiée d'être invitée à écouter ce dialogue intérieur qui, convoquant les souvenirs personnels et subjectifs, révèle la source d'où sont nés les livres précédents et naîtront ceux à venir de cet auteur dont j'affectionne l'écriture poétique et pudique, et qu'il me semble mieux comprendre à présent.

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C'est un livre très personnel que nous propose Antoine Wauters qui revient sur son enfance mais il est tout autant universel en nous ramenant à la nôtre, à ce qui est perdu, ce qui a été, ce qui nous constitue mais n'existe plus qu'en souvenir.

Antoine se souvient de son enfance dans un petit village des Ardennes belges, il nous parle de ses terrains de jeux avec son frère Charles, de la ferme, de la connexion très forte à la nature qui le nourrit.

C'était rigueur et sobriété, amour mais aussi silences, silence du grand-père, silence du père , silence qui lui ressemble.

Il nous parle d'amour, de manque, de ses doutes, de sa nostalgie , de la recherche du bonheur par l'écriture qui le lie à la vie.

Il décrit sa peur viscérale de la mort de sa maman mais aussi son mal être qui l'en approchait, de ce qui l'a tenu en vie, ce fil ténu qui est l'écriture. L'écriture est le plus court chemin qui mène aux autres, celui qui permet depuis tout petit, d'être "plusieurs dans sa tête", de le relier à son enfance, à ce qui n'est pas mort de l'enfance. le pouvoir de l'écriture qui lui permet de dépasser ce mal-être, à ne pas être soi et l'être à la fois avec certains personnages.

Ces souvenirs, comme des polaroïds de l'époque nous ramènent avec nostalgie à ce qui n'est plus, à une ère révolue, aux années 80.

Avec beaucoup de sensibilité, une écriture poétique, magnifique, on retrouve avec bonheur ces temps oubliés, ce qu'il a été, ce qui l'a construit et fait ce qu'il est aujourd'hui.

A découvrir !

Ma note : 9.5/10
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« Fixer l'éternité contenue dans le regard d'une vache, son innocence blessée. Entendre le tracteur John Deere qui s'enfonce dans le bois du Fays. Parler avec la voix d'un enfant qui ne reviendra plus, la parole perdue. Fixer les cornes en croissant de lune des bêtes que Karine, l'épouse de Jacques, rentre aux étables, leurs mamelles déformées par les centaines de milliers d'heures de traite, leur rumination triste, lente, cette façon de mâcher constamment le même morceau de temps, exactement comme moi qui écris ces lignes. »
(p.14)
Après Mahmoud ou la montée des eaux, au succès couronné par deux prix littéraires, le prix Wepler en 2021 et le Livre Inter en 2022, Antoine Wauters revient dans l'actualité avec ce livre, qui n'est pas un roman (en dépit de cette revendication de genre sur la page de titre), mais un riche recueil de souvenirs et de réflexions poétiques sur l'enfance et les sources de l'écriture, un texte comparable à ceux qu'un Pierre Bergounioux ou une Marie-Hélène Lafon, pour ne citer qu'eux en raison des similitudes de leurs origines rurales, ont pu eux-mêmes récemment rédiger. Pour qui, dans ses premiers romans, Nos mères (2014) et Pense aux pierres sous tes pas (2018), l'enfance irrigue sans cesse l'imagination, ce kaléidoscope de courts fragments propose le plus beau des hommages aux siens, à sa mère enseignante et à son père banquier, à son frère Charles et sa soeur Lorraine, ses compagnons de jeux, à ses grands-parents et leurs voisins agriculteurs. le monde d'alors se réduisait, pour le petit enfant ardennais qu'il était, déjà avide de mots et de contes (« Mon passe-temps préféré, qui n'était d'ailleurs pas un passe-temps mais une lubie voire une folie, c'était de raconter des histoires. Ma poupée Mary, posée sur mes genoux, je lui parlais des paysages que je voyais mentalement, du pays d'où je croyais provenir… ») à la communauté du village, et à ce qui se disait autour de lui. Dans cette famille des années quatre-vingt, où l'on réduisait l'usage de la télévision au minimum, les principales distractions étaient les jeux à l'air libre et la course, les enfants étaient comme en mouvement perpétuel. Et s'il fallait bien subir l'école et la tyrannique Madame K., surnommée Cheval, maîtresse du cours préparatoire, le meilleur moyen de résister à leur contrainte, c'était de s'en échapper par les vagabondages de la pensée : « je compris que si je voulais échapper à une mise à mort par l'ennui, il ne me suffisait pas de regarder par la fenêtre, non, je devais travailler activement à ce flux de paroles qui me projetaient ailleurs, dans ces steppes que je retrouverai plus tard avec l'écriture… ». Vint pourtant la Chute du Mur de Berlin, et pour Antoine Wauters, le basculement que l'événement représenta, dont il fait symboliquement « l'endroit de la cassure », avant la consécration de la réussite par l'argent et la vitesse, et le bruit des bottes revenus avec la guerre du Golfe. Pour un écrivain qui, encore aujourd'hui, a toujours peur que l'on voie la boue de sa campagne d'origine sous ses semelles et qui, invité à dîner par un éditeur, ne peut s'empêcher d'évaluer le nombre d'exemplaires de ses livres qu'il faut vendre pour payer le prix du repas, cette enfance perdue reste l'inestimable source de son oeuvre. « L'écriture vient toujours après. Après la facture. Après la faille. Quand vient le manque », dit-il, mais, parlant encore de ce territoire de l'avant, il l'enchante toujours : « Il y avait de la joie en moi et je me sentais peuplé. C'est encore le cas aujourd'hui. J'écris pour rester nombreux ». Gageons que, nous-mêmes, le lisant, nous éprouvons cette joie et ce sentiment d'être multipliés !
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Avec une infinie tendresse, Antoine Wauters raconte son enfance, ses proches (le portrait de ses oncles flamands et la scène du Papou au volant de sa voiture d'un "bleu céruléen" sont absolument géniales !) les lieux qui l'ont marqué et cette époque d'avant "l'accélération générale" (comprenez "avant la chute du mur de Berlin"). J'ai ri, j'ai été émue, et j'ai pensé qu'à travers ce récit hautement personnel, c'est de nous dont il est question, c'est notre propre enfance et les années 80 que Wauters sauve de l'oubli et qu'il nous livre, comme un cadeau. Je vais souvent y revenir, à ce "Plus court chemin". Une merveille.
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Avec ce texte autobiographique, Antoine Wauters revient sur son enfance dans un petit village wallon. Là, auprès d'un père banquier souvent absent et d'une mère enseignante et artiste, il découvre avec son frère jumeau une vie proche de la nature. Une vie d'effacement, modeste au milieu des champs et des bois. Mais une vie riche, heureuse, forte de ses traditions, de sa rusticité malgré les tiraillements entre flamands et wallons. La paix n'est-elle pas au contact de la terre ?
C'est une vie qui me parle avec les distractions simples comme dessiner au dos de feuilles imprimées faisant de l'envers un décor précieux. Avec les expressions comme « faire les commissions » ou les usages détournés d'un « fût de Dash. »
En souvenir, cette vie loin du capitalisme, semble toujours appartenir à « la moitié moelleuse du monde. » C'est du souvenir de cette vie et de la conscience d'un monde qui court à sa perte sous le cycle de la production et de la consommation que naît la sensibilité écologique de l'auteur.
Antoine Wauters se construit sur des contradictions. Être nulle part et partout à la fois, pleinement soi-même et simultanément personne. Contraint par son métier à affronter la ville, il en éprouve panique et joie.
C'est ainsi qu'il se construit. Fort de ses origines, il s'en extrait aussi par l'écriture.
Ecrire devient le plus court chemin vers les origines, vers cette terre qui l'a pétri, vers la famille qui l'a construit. Sa sensibilité, ses contradictions constructives viennent de là. L'écriture est un lieu où on se débarrasse des maux comme l'arbre à clous de sa grand-mère.
Ce livre est un puzzle, « un mélange de mémoire et d'oubli ».
A l'image de la mémoire morcelée, ce texte se compose de fragments. Chaque courte page évoque des souvenirs et tente de comprendre le lien entre l'enfance et le besoin d'écriture. Quand vient le manque, quand l'enfant asthmatique doit retrouver son souffle, la paix se retrouve par l'écriture, au contact de la nature, de l'enfance.
J'aime profondément l'écriture poétique d'Antoine Wauters. Ce récit intime est un hommage aux origines, un texte nostalgique, triste mais sincère et riche d'une profonde tendresse. Ce texte intime est le plus court chemin pour comprendre l'univers et la sensibilité de l'auteur.
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"Un éternel présent. Voilà comme il passait, notre temps."
Antoine Wauters a beaucoup écrit sur l'enfance et, dans "Le plus court chemin", il se décide à nous livrer la sienne dans les Ardennes belges sans wifi. le petit Antoine porte en lui les thèmes de l'auteur ( la nature, la mort, la famille, la recherche du mot qui fera sens...) et qui le construiront en tant qu'homme. Dans ce récit bref, toute sa sensibilité poétique est mise en oeuvre pour toucher les lecteurices en plein coeur. "Le plus court chemin" sera publié à la rentrée littéraire 2023 et je sais déjà qu'il fera partie de mes coups de coeur inconditionnels (à peine fini j'ai déjà envie de le relire).
Par contre, ne faites pas comme Antoine Wauters, se brosser les dents pendant 57 secondes, ce n'est pas assez.
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Quel immense talent faut-il pour écrire un chef-d'oeuvre qui parle de son parcours personnel, des souvenirs de son enfance, de sa découverte de l'écriture sans jamais se mettre en avant de façon égocentrique ?

Il faut un talent comme celui de Antoine Wauters, immense donc, pour écrire un livre comme celui-là, un livre d'odeurs et de sensations, un livre dont j'ai relu chaque page à peine venais-je de la finir juste pour le plaisir de goûter encore mieux les mots.
Il faut un talent comme celui de Antoine Wauters pour choisir si bien les mots qu'ils creusent et déterrent le grand rien et le grand tout que laisse le passé, ne nous faisant sentir dans leur sillage que l'odeur de la terre et les fantômes des disparus, la poésie d'une Belgique révolue et la mélancolie d'un adulte devenu écrivain pour être au plus près du silence.
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