Je pense aux révolutions. À celle des français. À celle des esclaves. À celle de Gandhi et des intouchables. Dans le sang ou dans la non-violence, il n'y a pas d'autres façons de se libérer que de désobéir.
On a toutes des petits surnoms au village. Moi, je suis la Belle. J'aurais préféré être l'Intelligente, mais je suis la Belle. Il paraît que ma beauté vaut de l'or, c'est toujours ce que dit Grandmama quand elle me voit.
J’ai quatorze ans et ce n’est pas une bonne nouvelle.
On va me marier et ce n’est pas une bonne nouvelle.
Je suis une fille et ce n’est pas une bonne nouvelle.
Etait-ce ça sortir de l'enfance? Découvrir la laideur de la société avant d'y être sauvagement projetée?
Mon père m’a déjà offerte. Il a parlé en mon nom. Je suis une fille. Je ne suis rien. Je n’ai pas de prénom ni de destin. Je suis la fille. Sa fille et bientôt la femme d’un mari. Je ne suis qu’une simple marchandise que les hommes se passent de main en main.
P 48
Je m'écroule. Sous le soleil de midi, je chancelle. Je n'ai rien mangé depuis des jours, la lumière me brûle les poumons, je m'évanouis. Ma mère se précipite à mon secours. Mon frère l'aide à me ramener dans notre chambre partagée. On me donne à boire. Tout est diffus, au ralenti. Je découvre un monde que j'ignorais. Je ne savais rien. Je n'étais qu'une gamine comme ma sœur Rana. Une petite fille heureuse qui sautillait. Une collégienne légère qui ne pensait qu'à la littérature, à l'histoire, la géographie, aux romans d'aventures et aux baignades entre amies. Ma vie est soudain devenue un théâtre tragique et le rideau vient de se lever sur l'acte II. Je suis nubile, on m'a offerte à un inconnu et, en attendant le mariage, je suis retenue prisonnière par ma propre famille.
J'ai quatorze ans et ce n'est pas une bonne nouvelle. On va me marier et ce n'est pas une bonne nouvelle.
Je suis une fille et ce n'est pas une bonne nouvelle. (p.57)
J'avais quatorze ans et je n'étais pas stupide. J'ai reconnu la voix de mon père. Celle des jours de foire quand il a vendu toutes les bêtes, tous les fruits, tous les meubles et les objets que pendant l'année il fabrique. Une voix de commerçant content. Mon père venait de conclure une belle affaire. Contre quoi m'avait-il échangée ?
J'avais compris : on allait me marier.
J’ai quatorze ans et ce n’est pas une bonne nouvelle.
On va me marier et ce n’est pas une bonne nouvelle.
Je suis une fille et ce n’est pas une bonne nouvelle.
( page 57 )
"Une tête de zombie", mes amies ont raison, j'ai changé. Je suis plus grave, plus sérieuse parce que je viens de découvrir ce que signifiait le mot nubile. Un joli mot pour un mauvais présage.
[p34]
Je me débats avec mes idées, mes pensées, ma culture et mon cœur innocent. Mais très vite, je découvre que c'est chose vaine. Je n'ai pas à répondre. Il n'y a pas de questions. Mon père m'a déjà offerte. Il a parlé en mon nom. D'ailleurs je n'ai pas de nom. Je suis une fille. Je ne suis rien. Je n'ai pas de prénom ni de destin. Je suis la fille. Sa fille et bientôt la femme d'un mari. Je ne suis qu'une simple marchandise que les hommes se passent de main en main.