« Imaginez le monde en quelques heures — et pour plusieurs années — privé d'électricité. »
Je viens juste de finir «
le Maître de la Lumière ». Cela faisait longtemps que je n'avais pas lu un livre aussi vite, malgré ses 630 pages (dévoré en deux jours !)
C'est vraiment un livre que l'on ne peut lâcher que tard dans la nuit, quand les yeux se ferment tout seuls. Outre la qualité d'écriture assez étonnante pour un thriller, l'histoire est captivante. Et lorsqu'on pense qu'elle est tout à fait plausible, elle en devient effrayante !
Les personnages sont vraiment attachants :
Aryan, le pilote perdu :
« Il était entré, il était trempé, il dégoulinait ; les lumières vacillaient au rythme des roulements de tonnerre, ça sentait la friture, la musique était pourrie — c'était de la Country —, les clients aussi rares que silencieux. »
Thana, l'infirmière détruite à petit feu par son mari,
« Il avait patiemment attendu que ses amis arrivent (…) Jusqu'à ce qu'elle aille dans la cuisine y chercher le repas (…) Il l'avait rejointe et lui avait demandé, avec une voix blanche de colère, si elle voulait « lui faire honte dans cet accoutrement », sans plus d'explication (…) Il avait conclu avec un regard lourd de menaces : « Tu m'as parfaitement compris ! » (…) Thana avait eu besoin d'une dizaine de minutes pour reprendre une respiration normale, et effacer ses larmes. Et, avant de rejoindre ses invités… se changer.
Tim, son fils de huit ans (inséparable de son nounours) qui deviendra au fil des pages, un personnage à part entière :
« Il la prend par la main, comme pour la présenter, et se retourne vers tous les taciturnes :
– Ma Maman, elle fait vachement bien les crêpes ! »
Tobias, son amour de jeunesse — le père de Tim — sur lequel désormais reposent tous ses espoirs.
Paola, astrophysicienne, qui suit sur les pentes du volcan de Tenerife — et explique au lecteur —, l'évolution maléfique du soleil :
« Pour l'heure, elle s'inquiète des « zones actives complexes », en croissance continue, où le "blanc et le noir s'enchevêtrent de façon floue, sans jamais se mélanger. Comme deux peintures à base d'eau et d'huile. Elle pressent quelque chose d'inhabituel ; dans les entrailles du géant de plasma, elle comprend que se préparent de nouvelles irrégularités. »
Maxime, l'étudiant canadien, thésard et lui aussi astrophysicien :
« Son principal sujet de thèse devient jour après jour, les variations du champ magnétique que Paola émet dans sa contiguïté. Il ne pense qu'à elle, ou à être avec elle ; « il la voit dans sa soupe ».
Cham, et son loup ; l'immense Indien, qui à coups de sentences définitives — et accessoirement, à coups de Winchester — flingue la civilisation « des Blancs » :
« D'un pas calme et tranquille, évitant ainsi de rameuter sa meute, il continue l'approche et rejoint le dentiste — il le domine aisément de trente centimètres.
– Enlève tes lunettes. Je veux voir tes yeux, grand chef, ordonne Cham d'une voix neutre.
Le sergent, à cette courte distance, va laisser l'animal qui sommeille en lui gérer son stress et la situation — et l'animal a peur ! – Il remonte sa main lentement, pour que le grizzli, immense devant lui, ne prenne pas son geste pour une attaque idiote et vouée à l'échec. (…) comme s'il avait honte, il enlève ses lunettes tout en baissant la tête. « Ça doit le reposer, pense Cham, d'examiner le sol ».
Et puis, il y a un impressionnant voyage dans le passé, au Laos, grâce à la découverte de Jorge, le capitaine de l'Aleutian Lady, un ancien « Lurp », toujours très redoutable — et sa bande.
(…) Comme tout le trafic semble avoir disparu avec l'obscurité, ce soir, il se méfie, tous ses sens à l'affût.
Il tire une bouffée, apprécie l'âcreté doucereuse de l'herbe qu'un ami lui fournit.
Et pose sa main droite sur un 11.43 qui a beau avoir quelques années derrière lui, semble en parfait état de marche. »
Thana lui demandera un soir :
« Ça veut dire quoi Lurp ? »
Long Range Reconnaissance Patrol
Et Raul ; qui regarde le monde avec « les yeux du Diable », Raul, personnage mystère du prologue (au vu du personnage, on ne l'avait pas oublié) . le policier hésitera longtemps entre le Bien et le Mal.
Les « méchants » sont bien distribués — quel beau casting d'ordures ! – et souvent ridicules, comme dans un film des frères Coen ; ils sont très dangereux, ils n'ont plus rien à perdre, les lois n'existent plus, et s'imaginent tous en prédateurs patentés.
– On fait quoi ?
À la question d'Ocho-Cinco, Gros Porc se retourne vers eux, les jauge du regard. Puis examine la porte.
– Défoncez-la !
– Qu'est-ce que tu veux qu'on défonce ?
– D'après toi, connard ! À part ta gueule, tu vois autre chose que la porte à défoncer ?
Le style est très imagé :
"À petits coups rapides, les yeux du capitaine estiment les tenants de la situation. Pour les aboutissants, il improvisera."
Sans altérer la fluidité de la lecture, les détails sont nombreux :
(…) Même s'ils sont réveillés, les aigles de mer laissent leur tête blanche à l'abri sous leurs ailes. Ils ne se disent rien ; ils prendront la parole quand le soleil gagnant de la hauteur irriguera la source des courants ascendants. "
Les descriptions sont courtes, mais éloquentes : quelques mots sur « l'éclairage » de la scène, d'autres pour « le fond sonore » ; l'auteur fait du « pointillisme » et plante le décor en quelques lignes.
« En avril, le crépuscule alaskien s'étire pendant près de deux heures avant d'accueillir un soleil toujours froid. (…) La lumière blafarde préfigure déjà les nuits de plein été ; gris pâle, sans la moindre couleur ; mais sans obscurité. »
Le lecteur est malmené ; le suspense toujours entre les lignes. Certains passages seraient des « scènes cultes », s'il s'agissait d'un film.
le « Règlement de compte à OK Corral » sur l'aérodrome, la scène de la tempête monstrueuse en Mer de Béring :
« Il va y avoir du vent, leur dit-il, en tendant son assiette.
– Beaucoup ? demande Doug qui fait le service.
– Oui. Tu me mets une bonne part, répond Jorge avec autorité, j'ai faim !
– Non, je parle du vent…
Jorge garde le silence, attaque sa portion. Puis, après quelques bouchées :
– À voir la dégringolade du baromètre… pas mal !
Thana va s'allonger ; inquiète, elle songe à son unique traversée : en ferry, un quart d'heure. Dans des eaux abritées. "
le vol retour à trois dans un avion biplace… La crevasse…
le « bombardement » du lagon sur la compil des Doors — avec « l'autoreverse » ! L'expulsion vers Tarfaya… Et beaucoup d'autres.
Le récit passe en quelques mots de l'humour — j'ai souvent ri ! – à la haine et la violence, mais distille toujours dans un monde devenu brutal des bribes de tendresse et des moments d'amour. On y trouve souvent au détour d'une page, des lignes d'une dimension poétique :
« Thana s'avance vers le cheval qui s'ébroue. Son oeil joueur la suit, son oreille frémit du côté de l'approche ; il est jeune et est curieux de tout. Elle lui caresse l'auge, descend jusqu'au menton, apprécie la douceur de sa barbe. L'animal facétieux essaie de mordiller les doigts fins qui le grattent. Dans l'air froid du matin, elle observe le corps chaud du cheval qui fait des fumerolles, flatte son encolure.
Les nuages se décident à bruiner, et Thana à rentrer. »
L'action est brève, elle peut être brutale :
"D'un bond, Raul surgit de la jeep ; d'un saut, il monte les trois marches. de la droite, il la gifle. Puis, il pose l'autre main sur l'épaule de la femme hébétée par la baffe, et lui transmet — en priant qu'en plus de sa bêtise elle ait un tant soit peu d'instinct — toute l'intensité de sa colère. Il plante ses yeux noirs dans les siens, et murmure :
– Dites-moi « tout » ce que vous savez, Madame !
Et elle lui dit tout."
En tournant la dernière page, j'ai quitté à regret cet univers original, peuplé de personnages attachants ; le récit les avait transformés en entourage familier, ils allaient me manquer.
Le long travail de documentation se ressent dans la richesse de l'histoire — sans que le récit n'en devienne jamais didactique ou ennuyeux ; malgré ses 630 pages, on arrive très vite la fin du bouquin, on le lit d'une traite, en apnée et on se surprend à réclamer au plus vite « la suite ! »
Et comme pourrait le dire Aryan : « Je crois bien que ça ferait un putain de film ! »
Bref, je me suis régalé !
PS : j'ai depuis découvert la chaîne YouTube de l'auteur avec des vidéos de teasing assez impressionnantes. Elles ne spoilent pas l'histoire, mais quand on a lu le bouquin, on retrouve totalement son univers.
https://www.youtube.com/channel/UCKRoOeBWJ7k-MVxbF8goiJg