Acheté à la sortie de l'exposition "l'Arc et le Sabre" au musée Guimet, voici un roman qui a parfaitement prolongé mes impressions et alimenté mon imaginaire sur les samouraïs. Son titre original est Musashi, du nom du célèbre samouraï, personnage historique qui vécut de 1584 à 1645 et devint de son vivant une figure de légende chez les japonais. Sa popularité n'a jamais décru et fut entretenue dans les années 30 par
Eiji Yoshikawa qui romança sa vie dans ce long récit publié en feuilleton de 1935 à 1939.
Le roman débute en 1600 sur le champ de bataille de Sekigahara, quand Takezō et son ami Matahachi reprennent conscience, allongés au milieu des innombrables cadavres : ils ont échappé par miracle au massacre et ne sont que blessés. Matahachi et Takezō sont désormais des rōnins, samouraïs sans maître. Tandis que Matahachi décide de ne ne pas retourner dans son village et d'abandonner ainsi sa mère et sa fiancée la vertueuse Otsü pour se livrer à une vie dissolue, Takezō choisit d'y retourner. Mais il est rejeté par les villageois qui se souviennent de ses nombreuses frasques : les choses tournent mal et Takezō doit s'enfuir...
Après avoir changé de nom, Takezō-Musashi chemine seul, en quête de la Voie du Samouraï, pour élever son âme et approfondir son art : entre deux duels ou combats sanglants avec les disciples de l'école de Yoshioka, il se soumet à une discipline de fer et à des expériences spirituelles pour affermir sa force mentale et ses techniques de combat au sabre. Musashi développe son propre style de combat, très empirique, sans vraiment suivre les courants des différentes écoles de sabre de l'époque. Mais la voie du Sabre exige une telle discipline qu'elle n'est pas compatible avec l'amour : ainsi, tout au long du roman, l'on voit la pauvre Otsü lui courir après et le pleurer.
Autour de Musashi gravitent de nombreux personnages qu'il ne cessera de croiser tout au long de sa quête : son ancien meilleur ami Matahachi et sa féroce mère Osugi, la jeune Akemi qui sera malmenée tout au long du roman, des moines plus ou moins facétieux, son jeune disciple Jōtarō...
J'ai beaucoup apprécié de découvrir comment vivaient les japonais à l'époque féodale, quand s'ouvre l'ère d'Edo : on croise ainsi les petits artisans et commerçants comme les fabricants de sandales de paille, les loueurs de vaches, les aubergistes mais aussi les hommes d'arme, les seigneurs, daimyōs, shōguns, les moines, les geishas...
La forme feuilletonnesque du récit explique les brusques et fréquents changements de lieux et de personnages et nous permet de parcourir en compagnie de Musashi de nombreuses contrées d'un Japon en pleine mutation, avec châteaux en reconstruction et une paix très relative qui règne entre les principaux shōguns...
J'ai aussi été bluffée par les combats avec les disciples de l'école de Yoshioka qui sont racontés avec un art de l'ellipse incroyable ! Ne craignez pas les détails crus : les combats sont dépeints en quelques traits foudroyants évoquant la vitesse quasi magique des déplacements du héros avec son sabre qui tranche et prend chaque vie en un éclair : dans de nombreuses scènes, il faut relire les quelques phrases du combat pour comprendre que tout est déjà fini ! Musashi s'en est sorti bien sûr mais ses adversaires sont tous morts ! Je suppose que le roman d'
Eiji Yoshikawa a du beaucoup inspirer toute cette mystique autour des samouraïs en leur conférant les pouvoirs presque surnaturels qui sont désormais leur apanage dans de nombreux films d'arts martiaux. Une exception toutefois à ce style lapidaire à double titre : le célèbre combat (complètement historique !) que Musashi mène seul contre des dizaines de Yoshiokas au Pin Parasol est décrit avec sauvagerie et férocité, et illustre la technique de combat à deux sabres, encore inconnue des hommes d'épée à l'époque.
C'est à la fois un roman d'aventures (avec un soupçon de farce par moments), un roman d'arts martiaux, une quête de soi, qui n'a pas vraiment d'équivalent dans la littérature française. Les Trois Mousquetaires sont peut-être ce qui s'en rapproche sans doute le plus, et encore... D'Artagnan avait des amis prêts à mourir pour lui, contrairement à Musashi qui voyage la plupart du temps en loup solitaire, de temps à autre rejoint par son très jeune disciple Jōtarō. Enfin, un mot sur le style, fluide et souvent poétique, il ajoute aux attraits de ce voyage dans le temps.
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