Nuit d'hiver, composé en m'amusant (70 ans)
les vieux arbres rouges sont couverts de givre
des feuilles mortes jonchent la cour pêle-mêle
au sud-ouest le croissant pâle de la lune
dix mille tambours grondent, le vent
du nord-ouest
souvent j'achète du vin à crédit, confus
d'augmenter mes vieilles dettes
j'étudie mes livres, sans y rechercher
un quelconque bénéfice
assis à la fenêtre rustique, affalé je m'endors
de l'autre côté des bambous un petit garçon
concasse une brique de thé
Journée d'automne, séjournant à la campagne
journée d'automne, je séjourne chez un vieux paysan
sur un plateau rouge les fines tranches de poisson
mariné sont fraîches comme des fleurs
le riz de Lei-san, de véritables perles, est déjà cuit
du thé de Ting-heng, comme de la neige blanche,
est en train d'infuser
Aube de neige (79 ans)
qui a sculpté, autour du lac, en paravent de jade
blanc,
les dix mille replis verts des montagnes en face
de la salle du sud ?
ivre, le vieillard, dans sa folie riant tout seul,
avec sa canne de bambou dessine des caractères,
la cour en est toute remplie
« Sur mes vêtements, la poussière du chemin se mêle aux taches de vin
En ce lointain voyage, nulle part où ne sombre mon âme
Ma vie ne serait-elle que celle d’un poète ?
Dans la pluie fine croisant à dos d’âne la passe de l’Épée »
— Poème dans la traduction de M. Guilhem Fabre (dans « Instants éternels : cent et quelques poèmes connus par cœur en Chine », éd. La Différence, Paris)
La sieste (80 ans)
sous l'auvent en chaume un simple potage de chénopode
j'en maitrise parfaitement la cuisson, on dirait de la nourriture raffinée cuite dans un tripode
quant aux livres, les gens ignorent leur saveur sublime
la profondeur du sens littéraire me satisfait autant que des mets de choix
le vieil homme a joui de ces deux choses-là depuis soixante-dix années
j'ai parfois honte que le ciel soit aussi indulgent envers moi
avec l'eau de la source limpide je rince la théière pour préparer le thé de la montagne
plein le lit le vent des pins, en pleine journée je m'endors