Deux courts romans sont réunis dans ce livre.
Alexis ou le Traité du Vain Combat est une longue lettre de rupture qu'adresse Alexis Gera à son épouse Monique. Malgré toutes les circonvolutions on comprend très vite la cause de cette rupture à laquelle Alexis ne donne jamais de nom. Aujourd'hui on appellerait ça un coming out. Pour essayer de se faire comprendre Alexis raconte sa vie, son enfance, ses années au collège, son éveil à la sexualité, sa carrière de musicien. Une vie personnelle bien sûr, et c'est certainement outrepasser les intentions de
Marguerite Yourcenar que de chercher dans cette vie des explications générales à l'homosexualité, de faire
D Alexis un archétype. Pourtant, quand on raconte une vie, on ne raconte que des acquisitions, et il se trouve que cette vie
D Alexis est marquée par une relation privilégiée avec les femmes qui l'entouraient dans son enfance et en particulier avec sa mère. Dans la préface, écrite des années plus tard,
Marguerite Yourcenar émet cependant des réserves sur cette explication. Et d'ailleurs, tout le long de cette lettre, Alexis ne prétend pas expliquer mais essaye simplement de se faire comprendre. Aussi, quand il évoque cette homosexualité, il parle d'instinct et même d'une « raison physiologique ». Alexis est également imprégné par la morale catholique et tout le vain combat qui est évoqué dans le titre est celui de l'âme contre le corps. Cette lettre de rupture, l'aveu
D Alexis, celui de n'avoir jamais aimé, est le témoignage que l'esprit et le corps, aux aspirations parfois contraires, sont inséparables et que réprimer ses instincts c'est aussi étouffer son âme. La fin du roman contient aussi des vues assez pénétrantes sur le mariage sans amour. L'écriture est sobre et un peu fanée, comme pourrait l'être celle du dernier rejeton d'une vieille famille aristocratique. Bizarrement, on ne rencontre aucun homme dans cette lettre, toutes les relations homosexuelles sont passées sous silence. Par contre, quelques belles lignes sont consacrées aux femmes.
Le coup de Grâce est un roman aux allures plus traditionnelles, une histoire d'amour qui se passe aussi en Europe l'Est, durant la guerre russo-polonaise de 1920. Eric von Lhomond, un jeune officier au caractère froid, confinant à la cruauté, raconte, quelques années plus tard, l'amour non partagé que Sophie lui porte, alors que la guerre fait rage. Sophie étant la soeur de son meilleur ami d'enfance, Conrad. Eric ne cesse d'être admiratif de Sophie, toute son attention est portée sur elle, sur les évènements auxquels elle a dû faire face, sur ses sentiments, ses réactions, mais il n'avoue que du bout des lèvres ses propres motivations. Un roman qui mériterait une relecture, en se focalisant non pas sur ce que le narrateur raconte mais sur la manière dont il le raconte et surtout sur ce qu'il ne dit pas. La fin est vraiment terrible.
Les personnages de ces deux romans ont été inspirés par le couple Jeanne et Conrad von Vietinghoff. Un couple qui a eu beaucoup d'importance dans la vie de
Marguerite Yourcenar, Jeanne lui ayant servi un peu de mère de substitution. Il y a donc une unité de lieu (Europe de l'Est) et de temps (années 1920) qui rassemble ces deux romans. Une unité de sujet également. Des sujets qui se répondent et se démodent difficilement, comme le traitement qui en est fait ou l'écriture. Classique, littéraire, une suite de phrases sublimes (surtout dans Alexis), avec assez peu d'innovations. le genre de romans irréprochables, sans véritable surprise dans la forme, mais toujours agréables à lire.