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sur 4762 notes
Naïma est la petite-fille d'Ali, un planteur algérien harki venu en France en 1962 lors de l'indépendance de l'Algérie. Tout cela, elle ne le sait pas, elle va faire des recherches sur sa famille car son grand-père a tu son passé et sa grand-mère ne parle pas le français. Quant à son père Hamid, arrivé en France alors qu'il était enfant. Il reste muré dans un silence concernant ce passé. Il est maintenant marié à une Française d'origine et semble parfaitement intégré.
Naïma ressent un malaise autour de son histoire, elle est galeriste à Paris et prend régulièrement des cuites.
A travers la plume magnifique d'Alice Zeniter qui va faire retourner Naima à ses origines, nous découvrons l'histoire de la famille depuis Ali le grand-père, homme important avant tout ce carnage de la révolution.
Il possédait des oliviers, avait découvert un pressoir et produisait de l'huile.Au début du récit, il nous apparaît comme un homme bon et juste envers ses ouvriers. Il vivait en bonne entente avec les Français et ne tenait pas à l'indépendance envers la France. Ce qui fera de lui un harki qui ne sera plus le bienvenu dans son pays.
Ce qui fait le charme du livre, c'est la façon dont l'histoire est traitée.
L'auteure fait vivre les personnages de façon à ce qu'on s'y attache. Elle ne nous épargne pas les scènes cruelles mais c'est la guerre, pas question de dialogue, il faut faire peur. Les enfants voient toutes ces scènes et on s'étonne qu'ils restent mutiques au sujet de cette période ensuite.
Le passage le plus criant de vraisemblance est pour moi celui ou Alice Zeniter déclare : "la guerre leur a fait tomber une nuit sur le regard qui a sorti leur visage de l'enfance d'un coup."
Un roman magnifique dont j'ai tardé à entamer la lecture car l'histoire de l'indépendance algérienne est assez loin de la mienne mais je ne regrette pas mon incursion dans cette histoire du pays présentée de façon humaine et historique à la fois.

Challenge plumes féminines
Challenge pavés
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Un titre aussi éblouissant que son contenu !

Découverte émerveillée de cette auteure, avec cette première lecture.
Ouvrage que je souhaitais lire dès sa parution en septembre 2017; en
boulimique invétérée, incorrigible, je me suis dispersée, et j'ai reporté
cette lecture, tout en ayant bien en mémoire cette curiosité première !
Voilà, mon retard réparé ...!

Comme je le fais rituellement, lorsqu'il y a pléthore de critiques [combien
méritées !] je ne les lis qu'après la rédaction de ma propre prose !
Ce que je ferais dès que j'aurai terminé "ma copie" !

Un titre sublime et tragique à la fois, qui exprime si fidèlement la
douleur, les complexités de l'histoire de l'Algérie.

Alice Zeniter, petite-fille de harki, née en France, ne se sentait que
lointainement reliée à la terre de ses ancêtres...Et puis les années
passent...le déclic surviendra pour faire connaissance avec le passé
et les drames vécus par ses aïeux, dont la situation intenable vécus
par les harkis , ses grands-parents !

"Le camp Joffre – appelé aussi camp de Rivesaltes – où, après les longs jours d'un voyage sans sommeil, arrivent Ali, Yema et leurs trois enfants est un enclos plein de fantômes : ceux des républicains espagnols qui ont fui Franco pour se retrouver parqués ici, ceux des Juifs et des Tziganes que Vichy a raflés dans la zone libre, ceux de quelques prisonniers de guerre
d'origine diverse que la dysenterie ou le typhus ont fauchés loin de la ligne de front. C'est, depuis sa création trente ans plus tôt, un lieu où l'on enferme ceux dont on ne sait que faire en attendant, officiellement, de trouver une solution, en espérant, officieusement, pouvoir les oublier jusqu'à ce qu'ils disparaissent d'eux-mêmes. C'est un lieu pour les hommes qui n'ont pas d'Histoire car aucune des nations qui pourraient leur en offrir une ne veut les y intégrer. "

Et voilà notre écrivaine qui repart à l'envers du voyage... remontant
les épreuves, et le parcours de ses grands-parents, dont Ali ( le grand-père), et de son père, Hamid qui sont parmi mes personnages préférés !
Ce grand-père, homme -montagne, géant aux talons d'argile....
Ali, personnage étonnant auquel on ne peut que s'attacher. de l'émotion, du respect, de l'empathie pour cet ancien chef de village estimé, écouté...piégé dans deux guerres, dont une, encore plus insupportable, puisque fratricide !

Une fresque foisonnante où nous suivons l'histoire d'une famille
algérienne sur plusieurs générations, l'exil en France, le sort terrible
et injuste subi par les harkis, la perte irrémédiable d'un pays, d'une langue... les ravages , les déconstructions de la guerre.... et la tentative de
RECONSTRUIRE ailleurs !

"Ils éclatent de rire et Ali s'étonne, alors même qu'il rit lui aussi, que cette plaisanterie guerrière puisse les amuser. Il sent bien qu'il n'est pas le seul à être surpris: les hommes et les femmes présents rient plus longtemps et plus fort que la réplique de Bachir ne le mérite.
Ils rient de pouvoir rire. Ils rient de constater que la guerre a reculé dans leur esprit, comme les flots à marée basse et que sur la plage qu'elle a découverte, ils peuvent employer le vocabulaire de l'affreux sans céder à la panique." (p. 198)

Après un tel ouvrage, il me paraît impossible de garder le même regard,
la même perception vis à vis de tout migrant, tant on ressent grâce au talent narratif de Alice Zeniter l'arrachement à une terre, aux racines,
et les douleurs, les blessures inguérissables qui s'ensuivent tout le chemin
d'une vie...

Un livre magistral, universel... qui aborde tant de sujets, de questionnements humains éternels....Qu'est-ce que perdre son pays, reconstruire ailleurs, trouver un sens , sa place après avoir été "transplanté",bafoué, avoir subi la ségrégation, etc. Un roman foisonnant difficilement "résumable"...

Un immense coup de coeur...et une admiration entière pour le talent ,
les finesses d'analyse ainsi que pour les profils très denses des personnages décrits par cette jeune écrivaine ! Une grande lecture qui restera durablement dans "mon Panthéon personnel" !!...

"Paris, au-dehors, est immense mais l'amour émerveillé qu'il lui porte ne suffit pas à faire disparaître une amère sensation de solitude.
C'est la première fois qu'il se retrouve sans personne avec qui il partagerait une histoire. (...)
Hamid a voulu devenir une page blanche. Il a cru qu'il pourrait se réinventer mais il réalise parfois qu'il est réinventé par tous les autres au même moment. le silence n'est pas un espace neutre, c'est un écran sur lequel chacun est libre de projeter ses fantasmes. (...)
Pour être sûr d'être compris, il faudrait qu'il raconte. Il sait que Clarisse
n'attend que ça. le problème, c'est qu'il n'a aucune envie de raconter. Elle
le regarde avec inquiétude dériver sur une mer de silence." (p. 311 )
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Rares sont les romans qui me bouleversent, font sens et résonnent en moi. Pourtant, l'histoire de Naïma, notre narratrice, petite-fille de Harkis, n'a rien en commun avec mon héritage familial : je suis petite-fille et fille de pieds-noirs d'Algérie, ma famille n'a pas « trahi » un idéal d'indépendance, le destin d'une nation en devenir. Ma famille ne subit pas l'opprobre de tout un peuple, menacée de mort, méprisée, honnie par l'histoire. Ma famille n'a et ne sera jamais perçue comme traître à son pays. Je ne subis pas le poids d'une dette familiale honteuse, avec ancré en moi, ce sentiment de culpabilité, cette envie de découvrir le fin mot de l'histoire, courbant l'échine alors que je ne suis en rien responsable des choix de mes aînés.

Naïma, jeune femme indépendante, sure d'elle, libre d'être qui elle souhaite en cette France des années 2000, archétype de l'enfant de la 3e génération d'immigrés parfaitement intégrée, reste malgré elle hantée par le déterminisme social et culturel d'où elle vient : une petite-fille d'immigrés parqués dans des camps du sud de la France alors que la très jeune Algérie célébrait sa liberté recouvrée dans la joie et le sang des règlements de compte : jugeons les traîtres !
Ali, son grand-père, son épouse et leurs enfants, dont Hamid, le père de Naïma, doivent plier bagage et tout abandonner : la terre, sacrée, le statut social, la famille, les amis. Époque révolue qui voit Ali et sa famille parqués comme des bêtes dans les camps de transit avant de finir leurs jours dans une banlieue dortoir de l'Orne, en Normandie. Triste contraste entre une opulence terrienne d'antan et la vie à l'usine parmi les autres exilés.

La France qu'on a aidée, accueille si bien ses ouailles : au turbin pour la majorité et l'espoir d'un avenir un peu plus glorieux (quoique) pour les générations à venir, merci l'école républicaine. Hamid, l'aîné, sera quelqu'un ; il s'en est fait la promesse. Exit la cité-dortoir, l'odeur du couscous et la communauté soudée dans la misère sociale. En épousant Clarisse, la bourguignonne, Hamid concrétise ce doux rêve de devenir autre qu'un fils de Harkis. Muré dans le silence d'un passé trop coûteux, il taira son histoire à ses enfants dont Naïma qui se cherche et entame une quête familiale à l'amertume omniprésente. Mais que faire, vers qui se tourner quand personne ne souhaite parler ?

Alice Zeniter m'a embarquée dans cette épopée tragique avec un tel panache, une magie des mots auxquels je suis restée suspendue. J'ai lu en apnée cette quête des origines dont on ne peut sortir indemne. C'est beau tout simplement ; ce roman porte la tragédie du sublime, ce livre est une perle qui m'a transportée vers toute une palette d'émotions. C'est fou comme je me suis sentie proche de Naïma, de Yema, la grand-mère qui me rappelle un peu la mienne, de cette famille dont la seule envie est de taire le passé et avancer. Et un talent fou que celui d'Alice Zeniter que je découvre (déjà trop tard). La rentrée littéraire, oui on la snobe, souvent, moi la première. Mais 2017 restera un cru d'exception grâce à l'Art de perdre, point d'interrogation d'une dureté sans nom qui prendra tout son sens, vous verrez.
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L'art de perdre n'est pas qu'un roman plus ou moins autobiographique- même si la narratrice, bien souvent, souligne sa parenté avec le personnage feminin et contemporain de Naïma, qui est, comme elle, née de père algérien et de mère française.

Ce n'est pas non plus un simple roman générationnel- bien que le récit s'étale de la jeunesse à l'exil, en 1962, du grand-père, Ali, à la quête tardive, en 2015, d'une Algérie mythique et pleine de secrets par la jeune Naïma, en passant par l'intégration douloureuse et volontariste de Hamid, le père de l'une et le fils de l'autre.

Sinon, nous ne lirions, comme dit Alice Zeniter, que l' album illustré d'"une série d'images un peu vieillottes ( le pressoir, l'âne, le sommet des montagnes, le burnous, l'oliveraie, le torrent, les maisons blanches accrochées comme des tiques au flanc de pierres et de cèdres ) entrecoupées de proverbes, comme des vignettes cadeaux de l'Algérie " racontées par Ali, reprises par Hamid et Naïma "pour qu'elles parviennent à former un pays et l'histoire d'une famille".

L'art de perdre , en effet, est beaucoup plus que cela: comme Ali , décoré par l'armée française pour avoir participé à une des pires boucheries de la deuxième guerre mondiale, la bataille de Monte Cassino, est devenu un ancien combattant pensionné par la France, et qu'il est une sorte de chef de village dans sa Kabylie montagnarde, il fait , presque malgré lui, partie de ces harkis, haïs par le FLN, que la France, de mauvaise grâce, exfiltrera après les accords d'Evian et relèguera de longues années dans des camps successifs avec toute sa famille avant de lui "offrir" un HLM exigu dans l'Orne...

Traître pour sa patrie d'origine, "bougnoule" pour sa patrie d'adoption, Ali se mure dans un silence douloureux et ira même, un jour, dans un geste de désespoir muet, jusqu'à jeter ses médailles de guerre à la poubelle...

Mais si un fils de boulanger n'est pas considéré comme un boulanger, un fils et même une petite-fille de harki continuent de porter les stigmates de leur ascendant- les harkis restant des supplétifs assimilés à des traîtres.

En cela, le roman d'Alice Zeniter est une véritable interrogation sur l'identité et sur le choix.

Une interrogation sur la part de la liberté et celle du déterminisme historique et familial dans l'existence individuelle.

S'il est impossible pour Hamid, homme de gauche, athée, marié à une française, de dire qu'il est arrivé en France en 1962, il sera difficile aussi pour sa fille, Naïma, après les attentats de 2015, de supporter certaines réactions à son égard, de devoir constamment faire la preuve de son athéisme, ou de sa francité, d'etre sommée de manifester hautement sa réprobation à l'égard du terrorisme, ou de se faire le défenseur de la pratique traditionnelle et modérée de sa grand-mère musulmane !

On comprend mieux que ce passé, ces non-dits, ce double rejet ait pesé sur des générations et ait rendu le dialogue familial, la quête de l'identité et la connaissance de ses racines si difficiles. Sans parler de l'intégration...

Alice Zeniter évite tous les pièges de ce type de récit : l'hagiographie, le misérabilisme, la colère, le rejet, le repli identitaire.

Avec une maturité sidérante pour une auteure aussi jeune - et même beaucoup de recul et d'humour- elle entreprend, avec son avatar, Naïma, de mettre des mots sous les vignettes de son lacunaire album de famille, de rechercher les faits entre tous ces silences, et les liens entre tous ces faits.

Elle fait, du même coup, oeuvre salutaire: en ouvrant tout grand les portes de son histoire familiale, elle rouvre et apure les comptes d'une guerre d'Algérie qui, longtemps, n'a pas dit son nom, et qui creuse encore, à force de silences, de terribles blessures entre arabes et kabyles, entre indépendantistes et harkis, entre français et pieds- noirs, entre partisans du FLN héroïque et tenants d'un régime militaire et autocrate, entre l'Algérie et la France.

Moi qui ne suis pas née francaise, je suis sortie de cette lecture revivifiée - comme si j'y avais appris à mieux connaître et surtout à mieux comprendre une page délicate de l'Histoire de mon pays d'adoption, à travers la quête déterminée et courageuse d'Alice-Naïma aux sources de son histoire.

L'art de perdre, c''est un cadeau qu'elle nous fait gagner- un cadeau qu'elle nous offre à tous, nous conviant à la lucidité, à la réflexion, à la connaissance, et finalement à la tolérance et à la fraternité.

Je recommande chaudement!
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Débuter une lecture c'est comme enfiler un costume neuf, c'est raide au col et aux emmanchures mais, généralement au bout de quelques mouvements, on se sent bien dedans.
Le roman d'Alice Zeniter n'échappe pas à ce malaise léger vite effacé par quelques pages tournées.
Mieux, le style nouveau à vos yeux donne à l'échine ce fourmillement préparant à de jolis moments telle une toile fine et serrée diffuse du frais à vos déplacements.
Le sujet est lourd, son traitement est allégé par l'aisance, la grâce et la finesse de l'auteure à nous faire partager le sort d'une famille Kabyle sur trois générations de 1930 à nos jours.

Première génération – le livre d'Ali.
On ne peut que tomber sous le charme d'Ali qui a pleinement rempli ses « fonctions » avant tout pour sa famille, pour la colonisation et sous une certaine forme pour son pays.
Hauts les sentiments, hautes les valeurs de ces hommes oubliés ou tués dans un erg ensoleillé.
« La guerre fait éclater la famille comme le soc dans la motte de terre et l'éparpille en multiples adieux »
On mesure parfaitement l'écart entre les accords d'Evian arides comme des décrets et la réalité du terrain charnelle pour de vrai.
« C'est stratégique, une fois qu'ils auront vidés le pays des Français et des Algériens qui leur sont restés fidèles, alors ils vont revenir pour bombarder. Rien que pour ça, il faut partir… »

Deuxième génération – le livre d'Hamid.
Hamid, le fils d'Ali a glissé Alger dans ses bagages…Été 62, un coup de traversée magique, Harkis ici, Harkas là et voilà…Camp de Rivesaltes, tu n'es plus ni Algérien, ni Français. Énorme !
Alice Zeniter transcrit scrupuleusement le malaise du déracinement de la famille et de son dénuement face au mode de vie imposé et à l'animosité exacerbé.
Désoeuvrement de la famille incapable de s'insérer dans une France qu'elle ne comprend pas, dans une France qui ne la comprend pas. Défaite de famille !
Hamid grandit, réfléchit, le passé se voile. L'éducation, les copains, la politique, les filles, seront son exutoire pour se sentir vivre et non survivre.
Dans le « livre d'Hamid », il y a le chapitre Clarisse, « Est-ce qu'une épargnée peut comprendre un bouleversé ». L'amour ? « On ne peut être amoureuse du silence de quelqu'un ». Hamid a voulu devenir une page blanche…Il faudrait qu'il raconte…Pour l'entourage de Clarisse, Hamid ne fait pas partie des bons personnages.
Une fois de plus, les émotions sont révélées avec force et pudeur, les mots justes d'Alice nous enlacent avec délices jusqu'à subir le mal être inévitable du fils ainé avec son père, du jeune Kabyle avec cet entourage hostile.
Les vies d'Hamid et de Clarisse passent au tamis de l'avis d'Alice tellement lucide et tant mature que le lecteur est entraîné dans le pays où les mères veillent et où les pères sont encore dans les choix impossibles influencés par les puissances séculaires.

Troisième génération – le livre de Naïma.
Fille d'Hamid et de Clarisse. Comment comprendre ce que personne ne lui expliquera jamais ? Accomplir enfin le voyage qu'un grand-père ne pouvait, qu'un père ne voulait et qu'une grand-mère n'imaginait. Faire la femme-pont. Aller sur « les lieux originels de l'épopée familiale ». Trouver ce qu'elle cherchait ? Une preuve ?
Qu'elle était d'ici ou de là-bas ! Naïma a trouvé l'art de perdre
Ce roman est aiguisé comme une lame de couteau et n'égorgera que vos idées reçues.
J'avais enfilé sans le savoir le costume du dimanche avec en prime les chaussures vernies.
Le « chapeau » est pour Madame Zeniter pour son livre saisissant de talent et d'intelligence.


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« Quand quelqu'un se tait, les autres inventent toujours et presque chaque fois ils se trompent, alors je ne sais pas, peut- être que les écrivains se sont dit qu'il valait mieux tout expliquer tout le temps à tout le monde plutôt que de les laisser projeter sur le silence. »

Et c'est ce que Alice Zeniter a fait. Magistralement !
A travers ce roman, elle raconte sa famille. Elle raconte sa propre expérience de son pays manqué.

Sur trois générations, nous suivons l'histoire d'une famille dont les racines sont ancrées en Algérie.
Il y a d'abord Ali, le patriarche, kabyle, montagnard, propriétaire, reconnu, et….harki.
Aïe ! Voilà un mot tout à fait bizarre que je ne connaissais pas du tout, moi, la petite Belge peu au courant de la guerre d'Algérie.
Harki, pour les Algériens, c'est « collabo », finalement. Alors qu'Ali a suivi le mouvement, qu'il voulait seulement protéger sa famille contre le FLN, les indépendantistes violents, alors qu'il ne s'est pas rendu compte qu'il était un peu trop près des gendarmes français…
Voilà le harki Ali parti en France, avec sa famille. Ali qui jamais ne parlera plus de son passé.
Nous suivons, année après année, le destin de cette famille, des camps de regroupements et de travail dans le Sud de la France jusqu'aux barres de béton d'une ville de Normandie.
Trois points de vue : celui d'Ali, chassé d'Algérie pour trouver un « refuge » en France, où il devra « fermer sa gueule et dire merci » ; celui d'Hamid, son fils aîné, se réfugiant dans son silence, niant en bloc la réalité de son père, patriarche déchu et du pays dont il vient ; celui de Naïma, fille d'Hamid, jeune femme moderne tentant de se trouver une place entre descendante de harki, Française, Kabyle…et voulant par-dessus tout savoir ce qu'il s'est vraiment passé, un peu avant 1962.

Je l'ai dit, j'ai trouvé ce livre magistral.
Alice Zeniter a su avec maestria mêler l'Histoire du point de vue des petites gens, de ceux considérés comme vaincus, avec l'Histoire contemporaine de l'Algérie, mais aussi des attentats à Paris et à Bruxelles que nous connaissons tous, le tout avec un sens aigu de la société française et algérienne, et une empathie extrême.
Moi qui ne me posais pas outre mesure des questions sur les immigrés, j'ai touché du doigt leur vécu, du moins celui de quelques Algériens, j'ai pénétré dans leurs pensées, dans leur vie difficile et contradictoire. La guerre d'Algérie n'est plus pour moi un mot, mais une réalité. Je mesure ses conséquences, encore actuellement.

Je terminerai avec une phrase qui pourrait s'adapter à tous les pays du monde et donc à laquelle chacun pourrait adhérer, une phrase universelle qui reflète l'objectif d'Alice Zeniter tellement bien représenté dans ce livre :
« Un pays n'est jamais une seule chose à la fois : il est souvenirs tendres de l'enfance tout autant que guerre civile, il est peuple comme il est tribus, campagnes et villes, vagues d'immigration et d'émigration, il est son passé, son présent et son futur, il est ce qui est advenu et la somme de ses possibilités ».

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L' art de perdre ou simplement votre art, chère Alice Zeniter ! Car c est là un merveilleux chef d'oeuvre que ce roman.
Une oeuvre à déguster, à savourer, lentement, pour en apprécier les mille saveurs ..

Votre art de l écriture, un exquis mélange de finesse, d'élégance et de justesse : la prose est belle savamment dosée, toute à la fois lyrique, intimiste et parfois même drôle et crue.

L' art du peintre, aussi ! Vous nous offrez là bien plus qu 'une histoire ... le tableau d'une tranche d'histoire de 1930 à nos jours. Un bien beau tryptique : trois panneaux/ trois générations. le décor celui du pays, l'Algérie. Oui, le tableau remarquable de l'histoire de ce pays, l'histoire d'un peuple, le colonialisme, la guerre, l indépendance ... Un tableau, richement détaillé, qui sans prise de partie ni jugement, nous interroge sur ce lien complexe de l'homme à son pays, le devoir et les choix parfois difficiles ...

Ainsi, l'Art en lui-même est l' émanation d'une oeuvre qui suscite émotion et questionnement. Ici, un questionnement sur l'identité : identité liée aux origines d'un lieu déjà mais aussi bien plus profonde l'identité d'un être dans toute sa complexité, celle des ancrages familiaux qui pèsent et empêchent l'épanouissement.

Merci pour votre art, chère Alice Zeniter, c est, pour finir, l'écho à mon histoire personnelle : fille d'une mère allemande et d'un père d'origine espagnole. Deux cultures différentes au sein desquelles j'ai grandi ... mais ça c'est une autre histoire ... mon histoire ...
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Je rejoins toutes les critiques élogieuses, oui c'est un magnifique roman, la saga d'une famille de harkis qui traverse le temps et l'histoire des années 1930 à nos jours. Trois générations, trois personnages principaux, le patriarche, le fils, la petite-fille.
Un roman puissant et d'actualité, une écriture sensible, un roman qui ne se lâche pas car nous suivons pas à pas les trois générations avec l'envie de connaître leur destin. Un grand roman qui nous fait réfléchir sur l'actualité et un immense plaisir littéraire.
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Voilà encore un roman qui vient confirmer ma théorie selon laquelle on sent tout de suite si un récit va marquer son empreinte en nous. C'était mon sentiment depuis la sortie de L'art de perdre et c'est ce qui a fait que j'ai pris mon temps pour l'ouvrir sans doute.

Je vais commencer par une conclusion tiens ! Elle est la suivante : L'Art de perdre est bel et bien, à l'image de son auteur, un livre d'une bienveillance infinie*. Ça fait du bien !

Plus que l'histoire de la Guerre d'Algérie perçue du côté des mal-nommés Harkis, plus que le récit d'une immigration laborieuse qui laisse des plaies ouvertes, plus que le questionnement sur l'amalgame trop souvent constaté entre terrorisme et pratique de la religion musulmane, L'Art de perdre offre surtout à ses lecteurs des points de vue différents sur des événements identiques, en toute bienveillance et sans parti pris. Chacun a raison et tout le monde a tort.

L'écriture d'Alice Zeniter est très sensuelle, très intime. Elle fait preuve d'une grande empathie à l'égard de ses personnages, pourtant fort différents, ce qui les rend saisissants de réalisme. J'ai beaucoup aimé voir Ali, Hamid et Naïma évoluer au sein de leur famille et tenter, chacun à sa manière, de trouver une réponse à ses questions, un sens à sa vie.

L'Art de perdre est un récit poignant sur la vie familiale, sur les empreintes que le passé laisse sur les générations à venir, sur les choix de vie qui s'offrent à chaque individu. Un récit sur l'histoire plurielle de l'Algérie et de la France qui m'a fait m'interroger sur le passé de mon propre grand-père. Il a combattu en bon Français de France et, dans les silences profonds qui entourent cette période de sa vie, tout juste avons-nous pu déceler toute l'horreur, toute la peur et toute la honte que cette guerre terrible avait laissé en lui.

* J'ai pu dire à Alice Zeniter, au Salon du livre de Paris de mars 2019, et avant d'avoir lu son livre (bien qu'il figurait déjà en bonne place dans ma PAL), toute la bienveillance que je lisais sur son visage et que je décelais dans ses interviews. Dans sa dédicace, elle avait donc noté qu'elle espérait que je retrouve cette bienveillance entre les pages de son livre.
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Je me joins à la cohorte des admirateurs : cette saga familiale est formidable, instructive, nécessaire, et elle touche au coeur.
Non seulement parce qu'elle vient éclairer un pan d'histoire qui reste encore quasiment taboue, celle des harkis et du sort qui leur a été réservé, mais aussi parce qu'elle met en perspective avec autant d'empathie que d'acuité la question identitaire pour trois générations d'Algériens, soulignant sans concession ni pathos l'évolution du rapport complexe aux origines, à la France, à la nationalité.

Un pan d'histoire et une appréhension du destin différents pour chacune des trois parties du récit, toutes réussies, correspondant à chaque génération : Ali le grand-père, arraché à son village kabyle du fait de son choix de soutenir l'armée française, avec lequel on revisite la guerre d'Algérie et le sort des harkis parqués pendant des années dans le camp de Rivesaltes puis dans les dortoirs à main d'oeuvre de banlieues; Hamid son fils qui s'émancipe par l'éducation et rejette son milieu familial tout en serrant les dents contre le racisme latent; Naïma enfin, sa fille, ressentant le malaise dans son état "d'intégrée" et qui se tourne vers la quête d'une histoire familiale qui ne lui a jamais été racontée.

J'ai dévoré cette saga captivante et utile, qui mérite largement tous les prix qu'elle a reçu.


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