«... entre ces poussières, comme une pâte,
comme du plâtre qui se glisserait ans les fentes,
comme les pièces d'argent que l'on fond sur la montagne
pour servir de montures aux coraux parfois gros
comme la paume, il y a les recherches menées par Naïma
plus de soixante ans après le départ d'Algérie
qui tentent de donner une forme,
un ordre à ce qui n'en a pas, n'en a peut-être jamais eu.»
Naïma, petite fille de harkis, vit en France. Ses origines lui ont été tues, passées sous silence, le silence de la honte, de la peur, un silence que Naïma tentera de comprendre et de taire.
Et c'est à coup de flash-backs, qu'
Alice Zeniter nous fait découvrir l'histoire de cette famille, ce qui l'a poussée à fuir l'Algérie et amenée, en 62, à fouler le sol français.
Alice Zeniter remet les pendules à l'heure avec l'Histoire de France, et rétablit, au travers de cette saga familiale sur trois générations, une vérité historique.
Grâce à la littérature,
L Histoire s'exprime, grâce à la littérature, les silences, les zones d'ombre sont comblés, et elle nous permet, à nous lecteurs, de mieux comprendre
L Histoire, notre histoire passée et ses conséquences sur le présent, ses blessures.
La Guerre d'Algérie est une période charnière de l'histoire contemporaine française, et pourtant, peu connue. Sauf erreur, elle n'était pas au programme des cours d'histoire du collège et lycée dans les années 90, ou en tout cas, si cette période l'était, je n'en garde aucun souvenir. Un sujet controversé, pour lequel les débats sont encore vifs, et qui ne s'intègre pas dans l'enjeu de mémoire... Pas évident, peut-être, d'évoquer la violence coloniale française, de mettre en lumière des événements jusque là censurés, occultés, niés.
«Personne ici n'ignore ce qui s'abat quand la France se met en colère. L'autorité coloniale a veillé à ce que sa puissance punitive marque les mémoires. En mai 1945, lorsque la manifestation de Sétif a tourné au bain de sang, le général Duval - capable de mesurer son propre impact sur la population - a déclaré au gouvernement : je vous ai donné dix ans de paix. Au moment où la région du Constantinois sombrait dans le chaos et les cris, certains des hommes de l'Association défilaient sur les Champs-Elysées à grands éclats de cuivre. Sur la large avenue parisienne, ils paradaient, avançaient à pas rythmés, en héros de la patrie. Les femmes agitaient les mains et les mouchoirs. A Sétif, les corps troués étaient alignés sur les bords de route et comptés par l'armée française qui refuserait toujours d'en donner le nombre exact. Ils n'ont pas oublié. Sétif, c'est le nom d'un ogre terrifiant qui rôde, toujours trop proche, dans un manteau à l'odeur de poudre aux pans ensanglantés.»
Pas évident de dire la réalité coloniale...
Alice Zeniter, tout en profondeur, nuances et subtilités, avec empathie, délicatesse, force et courage aussi, et avec une exigence littéraire remarquable, nous donne une édifiante idée de cette réalité, et délivre un message fort. Nous portons en chacun de nous, une manière différente de penser et disposons, selon l'époque, le moment, à chaud, d'outils de penser différents qui nous amène à faire des choix, nos propres choix, pas toujours les bons, peut-être, et sans que l'on ait l'impression, parfois, de choisir ... un camp.
«Choisir son camp n'est pas l'affaire d'un moment et d'une décision unique, précise. Peut-être, d'ailleurs, que l'on ne choisit jamais, ou bien moins que ce que l'on voudrait. Choisir son camp passe beaucoup de petites choses, des détails. On croit n'être pas en train de s'engager et pourtant, c'est ce qui arrive. le langage joue une part importante. Les combattants du FLN, par exemple, sont appelés tout à tout fellaghas et moudjahidines. Fellag, c'est le bandit de grand chemin, le coupeur de route, l'arpenteur des mauvaises voies, le casseur de têtes.Moudjahid, en revanche, c'est le soldat de la guerre sainte. Appeler ces hommes de fellaghas, ou des fellouzes, ou des fel, c'est - au détour d'un mot - les présenter comme des nuisances et estimer naturel de se défendre contre eux. Les qualifier de moudjahidines, c'est en faire des héros.»
Un très grand roman, toujours en lice pour le Goncourt 2017, et qui mériterait de l'obtenir.
Un grand merci à Babelio, aux éditions Flammarion et à
Alice Zeniter pour ce grand moment de lecture.
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