« Brooklyn grouillante de vie est livrée aux mains des promoteurs et des spéculateurs. Des politiciens corrompus veulent transformer New York en monstrueuse
Babylone. le pinceau virtuose et rageur de
Danijel Zezelj s'engage pour la défense de l'humain… » (Quatrième de couverture).
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Plonger sans transition dans l'univers graphique de
Danijel Zezelj (
Industriel, DMZ tome 5…) et se laisser porter par les illustrations.
Accepter de suivre son instinct, d'être pris au dépourvu et que la force évocatrice des visuels vous prennent à la gorge…
Accepter de ne pas tout comprendre, de ne pas parvenir à tout interpréter à la première lecture…
Accepter qu'un album muet vous permette d'entendre la cacophonie d'une ville et le bruit plus mat d'un burin ou d'une gouge. Vous laissez reconstruire l'odeur puissante d'un étal, vous faire suffoquer tant la concentration de poussière dans l'air est forte…
Regarder Lev Bezdomni, ce grand-père, travailler et donner vie au bois. D'un simple tronc naît un cheval fougueux, un tigre majestueux…
Regarder la petite-fille de cet homme s'émerveiller devant ce monde imaginaire qui prend forme sous ses yeux. Imaginer le rouge, le bleu ou le jaune paille du ballon de baudruche qui la suit partout où elle va. Observer ses dessins enfantins avec lesquels elle communique. Voir ses yeux d'enfant pétiller…
Entendre une fanfare, saliver à l'odeur de la barbe à papa, être saisi par une forte odeur d'urine dans une ruelle sombre…
Lire un album de
Danijel Zezelj ne va pas de soi du moins, il faut se mettre au travail. Il faut un minimum de concentration pour attraper le fil de cette histoire graphique. Dès lors que vous acceptez cela, les pièces du récit s'assemblent progressivement et naturellement.
C'est la seconde fois que j'ai l'occasion de lire un de ses albums (voir
Industriel cité plus haut). J'ai procédé dans la même manière à chaque fois. Après avoir « lu » une vingtaine de pages, j'ai ressenti le besoin de reprendre l'album à zéro. Alors je fais une pause dans ma lecture, j'enlève le marque-page, le temps de digérer et d'assembler les premiers éléments puis je reprends et lis d'une traite. Les albums muets de cet auteur croate nous forcent à nous fier à notre instinct, à observer chaque détail et chaque expression. Et même si l'ouvrage est totalement dépourvu de dialogues, il faut se contraindre et modérer le rythme de lecture. Tout est dans l'observation car chaque détail compte. Il faut accepter de suivre le regard de l'auteur et se reposer entièrement sur la composition des planches. On navigue ainsi entre des illustrations qui s'étalent en pleine page et des cases qui se succèdent avec plus de nervosité, au rythme de quatre ou cinq petites cases par bande. Ensuite, face à ces différentes séquences narratives, le lecteur effectuera tout le travail d'interprétation que la lecture suppose.
Une fois que l'on s'est immiscé dans ce monde narratif, la lecture devient addictive et il est difficile de s'en extraire. A vrai dire, j'apprécie énormément cette lutte permanente dans les contrastes. le noir et le blanc s'amadouent, se lovent, s'assemblent et se déchirent. Jamais on ne verra un des deux extrêmes capituler. A ce titre, David A. Beronä explique, dans la postface, qu'ouvrir un ouvrage de Zezelj c'est comme si la surface de chaque page blanche avait été mystérieusement fendue par l'auteur et qu'elle déversait un sang noir qui se transformait en une longue coulure narrative et se répandait ensuite de page en page…
L'histoire quant à elle revient sur la légende de la somptueuse
Babylone, cité qui symbolise tous les possibles, cité de la corruption et du prestige. Zezelj s'approprie ce mythe et le transpose à nos sociétés contemporaines pour créer une nouvelle fable urbaine qui prend racine à New York. La Tour de Babel prend le nom de « Tour de Brooklyn » et symbolise le narcissisme d'un maire prétentieux. Pour parvenir à ses fins, plusieurs quartiers populaires devront être rasés, des expulsions locatives prononcées sans possibilité de recours.
D'un coup de pinceau,
Danijel Zezelj développe deux ambiances radicalement opposées. D'une part, le monde du vieil artiste et de sa petite-fille. On évolue dans un milieu populaire où la solidarité est de mise malgré leur train de vie modeste. Une atmosphère que l'on investit assez facilement en raison de la spontanéité et de la convivialité des rapports entre les gens. En nous faisant entrer dans le quotidien de ces gens discrets, Zezelj nous permet de les investir et de ressentir leurs émotions. On se satisfait notamment de la mine de contentement qu'affiche le vieux lorsqu'il contemple ses oeuvres, satisfait de son travail. Les chevaux de bois qu'il réalise, ses croquis préparatoires et le regard émerveillé de la petite fille lorsqu'elle voit les sculptures de son grand-père donnent une touche de féérie à leur quotidien.
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Lien :
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