Le titre du dernier livre d'
Olivier Zunz est trompeur. Là où on pensait lire une énième description de l'hyperpuissance américaine en ces temps de post-guerre froide, on apprend sous la plume de cet universitaire français expatrié aux Etats-Unis, comment les élites américaines construisirent, entre la fin du XIX siècle et 1950 un modèle de gestion de la société de masse.
Le succès de la réussite des Etats-Unis,
Olivier Zunz le situe « dans la capacité des Américains à mettre leurs connaissances scientifiques au service d'objectifs commerciaux et militaires » (p.19). Au tournant du siècle, une synergie se crée entre grandes firmes et universités. Les premiers utilisent les seconds pour nourrir leur avance technologique (ainsi de Irving Langmuir, futur prix Nobel en 1932 pour ses travaux sur les filaments, recruté chez General Electric). Et les seconds ont besoin des premiers pour leur financement. Cette interdépendance se lit dans les carrières personnelles.
Olivier Zunz cite l'exemple de Bearsley Ruml qui élabora les tests de QI de l'armée pendant la première guerre mondiale, collabora à la fondation Rockfeller, travailla à l'université de Chicago avant de diriger les grands magasins Macy's puis de rejoindre l'équipe de Franklin D. Roosevelt pendant le New Deal.
Ces réseaux se nourrissent d'un arrière-fond religieux optimiste : c'est « l'Evangile social » (social Gospel) inspiré par une vieille éthique protestante qui commande d'aider les autres. Pour être plus efficaces dans leur sacerdoce, les tenants de l'Evangile social ont recours aux outils balbutiants des sciences sociales. L'idée dominante est que « l'accumulateur de savoir social et économique doit permettre l'élaboration de solutions appropriées à la question sociale » (p.54).
C'est en creusant ce sillon que, dans les années 1920, à partir de sondages et d'études de marché (l'institut Gallup est crée en 1932), est forgé le concept d'Américain moyen. Il s'agit alors de connaître le profil type du consommateur pour vendre au plus grand nombre. Cette entreprise uniformatrice a un danger : elle conduit à transformer les individus réels en unités statistiques. Mais elle a aussi un immense avantage : la consommation de masse qu'elle a nourrie a conduit à l'émergence d'une immense classe moyenne déradicalisée.
L'uniformisation des Etats-Unis était utilement contre-balancée par la promotion du pluralisme. L'équilibre n'était pas facile à trouver : il s'agissait de reconnaître le droit à la différence sans pour autant remettre en cause l'unité nationale. le pluralisme a réussi parfois, ainsi à l'égard des femmes. Mais son incapacité à intégrer les Noirs dans la vie politique et culturelle constitue, selon les propres termes d'
Olivier Zunz, la principale limite du « siècle américain ».
On pourrait regretter que le livre d'
Olivier Zunz s'arrête en 1950, qu'il reste muet sur les manifestations de la puissance américaine. Tel n'était pas son propos : il s'était fixé de démêler l'écheveau de la construction idéologique du siècle américain. Avec une érudition immense (l'appareil bibliographique est impressionnant),
Olivier Zunz y parvient déjà fort bien.