Citations sur Le voyage dans le passé (115)
« Qu’entends-tu par-là Louis ? répéta-t-elle, mais c’était davantage une prière de ne pas s’expliquer qu’une question appelant une réponse » (Page 62)
Dès leur première rencontre, il l’avait aimée, mais ce sentiment, qui le submergeait jusque dans ses rêves, avait beau être une passion absolue, il lui manquait néanmoins l’évènement décisif qui viendrait l’ébranler, c’est-à-dire la claire prise de conscience que ce qu’il recouvrait, se dupant lui-même, du nom d’admiration, de respect et d’attachement, était déjà pleinement de l’amour, un amour fanatique, une passion effrénée, absolue.
Ils gravirent les hauteurs en silence. En contrebas, les maisons faiblement éclairées s'estompaient déjà; depuis le crépuscule de la vallée, la courbe du fleuve s'étirait, toujours plus lumineuse, tandis qu'en haut, les arbres embaumaient et que l'obscurité s'abattaient sur eux. Ils ne croisaient personne, seules leurs ombres glissaient en silence devant eux. Et chaque fois qu'un réverbère éclairait leurs silhouettes à l'oblique, leurs ombres de mêlaient, comme si elles s'embrassaient; elles s'allongeaient, comme aspirées l'une vers l'autre, deux corps formant une même silhouette, se détachaient encore, pour s'étreindre à nouveau, tandis qu'eux-mêmes marchaient las et distants.
De toutes parts s'élevait le cliquetis des rails de la gare de Francfort, toute de fer et de verre vibrants, des sifflets stridents transperçaient le tumulte du hall enfumé, et sur vingt panneaux, une horloge comminatoire indiquait les heures et les minutes, mais lui, au milieu de ce tourbillon humain, hors de l'espace, hors du temps, dans une transe singulière de possession passionnée, n'était sensible qu'à sa seule présence. " Le temps presse, Louis, nous n'avons pas encore nos billets. " C'est à ce moment-là que son regard captif se détacha d'elle et, avec tendresse et respect, il lui saisit le bras.
L'express du soir pour Heidelberg - fait inhabituel - était bondé. Ils pensaient que leurs billets de première classe leur permettraient de se retrouver en tête-à-tête. Déçus, ils se décidèrent, après avoir inspecté en vain tout le train, pour un compartiment où il n'y avait qu'un monsieur aux cheveux gris, qui somnolait, calé dans un coin.
Chaque jour consumé dans le travail déposait quelques petites poussières de cendre sur son souvenir ; il rougeoyait encore, comme des braises sous le gril, mais finalement, la couche grise ne cessait de s'épaissir.
Dès leur première rencontre, il l'avait aimée, mais ce sentiment qui le submergeait jusque dans ses rêves, avait beau être une passion absolue, il lui manquait néanmoins l'évènement décisif viendrait l'ébranler, c'est à dire la pleine prise de conscience que ce qu'il recouvrait, se dupant lui-même, du nom d'admiration, de respect et d'attachement, était déjà pleinement de l'amour, un amour fanatique, une passion effrénée, absolue.
Folie, balbutia t-il à part lui, stupéfait, pris de vertige. Folie ! Que veulent t-ils ? Une fois de plus, une fois de plus ?
Une fois de plus cette guerre qui venait de détruire toute sa vie ? Saisi d'un frisson inconnu il scruta ces jeunes visages, examina cette masse qui cheminait, noire, en rang par quatre, cette pellicule cinématographique qui défilait, par segments, surgissant de l'étroit passage d'une boite obscure, et chaque visage aperçu était figé dans cette même expression d'amertume résolue - une menace, une arme.
Sans un mot, ils furent enveloppés d’une gêne qui les paralysa, d’autant plus sensible dans cette pièce inoccupée et silencieuse : elle se précipita nerveusement vers le cordon de la fenêtre pour relever les rideaux et laisser entrer plus de lumière sur l’obscurité feutrée des choses. Mais dès qu’un brusque jet de lumière crue fit irruption dans la pièce, ce fut comme si les objets étaient soudain doués d’un regard et, inquiets, effrayés, s’animaient. Tous, ils s’avançaient, éloquents, porte-parole importuns d’un souvenir.
dans son bureau, sa compétence faisait oublier la plaie à vif de sa jeunesse salie, gâchée par la pauvreté et les aumônes : non, aucun salaire au monde ne le ferait renoncer à cette poignée de liberté, ce jardin secret de sa vie.
Inconsciemment, il dut lâcher un gémissement puisqu'elle se retourna : "Qu'as-tu Ludwig ? A quoi penses-tu ?"
Mais il éluda : " Rien ! Rien !" Puis il s'abîma plus profondément encore en lui-même, dans le passé, afin d'entendre si cette voix prémonitoire de son souvenir ne voulait pas lui parler et, une fois encore, lui révéler le présent, grâce au passé.