Ceux qui ne sont rienTaha Bouhafs
Editions La Découverte et Les Nouvelles vagues, Paris, 2022
Alors que des enfants des migrations maghrébines s'engagent dans la normalité et l'invisibilité sociale dans des logiques d'inclusion, que d'autres glissent dans la pente du business et que d'autres encore pensent trouver sens à leur vie dans une pratique fondamentaliste et activiste de l'islam,
Taha Bouhafs a suivi le chemin de l'engagement social et politique et de l'action militante. Voici le récit de quelques années de sa jeune vie, des 18 ans de sa prise de conscience aux 25 ans de son engagement professionnel comme journaliste. En faisant abstraction du sujet militant du livre, on pense aux grands auteurs de récits initiatiques de jeunesse :
Jules Vallès,
Jack London, ou d'une autre façon
Jack Kerouac. Voici comment un jeune homme banal est, pour lui, devenu homme. En cela ce livre est bien intéressant.
Mais il n'y a pas que la forme, la structure, le récit, il y a le fond. Et là il faut discuter. C'est que le monde de
Taha Bouhafs est d'une simplicité totale : d'un côté les méchants, et ils sont nombreux : les patrons forcément exploiteurs, la police structurellement violente et raciste, les élus et les ministres traitres de la République en Marche, avec à leur tête Macron en grand Satan. de l'autre tous les autres, « les gens », racisés, écrasés, méprisés, éborgnés, ceux-là ont un héraut : Jean-Luc Mélanchon. Et heureusement, pour faire entendre ceux d'en bas il y a
Taha Bouhafs.
Mais comment les faire entendre, comment rétablir leurs vérités tellement niée par les médias évidemment aux ordres et par les institutions ? Comment dénoncer cette police terroriste ? En les filmant durant leurs luttes, leurs manifestations, leurs interventions, et en diffusant immédiatement ces images ; ce que
Taha Bouhafs appelle faire du journalisme. Ces images n'ont pas besoin d'être contextualisées, d'être questionnées dans les choix mêmes de mise en forme, de plans, d'angles, parce que l'auteur nous explique que l'image parle d'elle-même et ne peut pas mentir. A se demander à quoi ont servi tous les débats portés par les photographes, les cinéastes, les reporters, les sémiologues, sur la subjectivité structurelle de toute image !
Taha Bouhafs le reconnait d'ailleurs, paradoxalement, en montrant comment des images décontextualisées ont pu être utilisées contre les personnes filmées. Alors, vérité d'un côté mais malhonnêteté de l'autre ? Lui-même se livre d'ailleurs au petit jeu du hors contexte avec les brèves citations macroniennes qui jalonnent son récit.
Ma dernière critique porte sur le regard porté sur les luttes, les mouvements, les organisations dont les combats sont filmés. Ici pas de mise en contexte, pas de travail de la contradiction, pas de mises en perspectives. Rien qui porte sur les tensions internes, les débats critiques nécessaires. Et pourtant : les Gilets Jaunes, Justice pour Adama, l'occupation des facs… Et là on n'est vraiment plus dans du journalisme au sens d'un travail critique qui aide à comprendre en décodant, on est seulement dans un travail de témoignage direct qui s'absout de l'objectivité.
A tellement vouloir faire de l'information à l'encontre de la pensée politique main stream décervelante et des medias évidemment à ses ordres,
Taha Bouhafs nous propose de nous faire décerveler volontairement par la bonne pensée politiquement correcte. Ce n'est pas mieux.
Reste ce que je disais en introduction : abstraction faite du contenu largement discutable, cette fresque de vie est un témoignage important d'une jeunesse d'aujourd'hui.
Francho