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Critiques de Sophocle (291)
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Électre

Sophocle est sans conteste mon auteur préféré parmi les tragiques grecs. Il y a une profondeur, une vitalité d'écriture, et même — même ! — j'ose le prétexter, au creux d'une ou deux tirades, parfois, parmi tout ce tragique, une once de comique, un zeste de pétillance. C'était vrai pour Ajax et ça l'est encore selon moi pour Électre.



À beaucoup d'égards, et ce rapprochement a déjà été fait moult fois, Électre est une héroïne qui rappelle énormément Antigone : une rebelle, une fille de roi, qui s'oppose au roi en place, qui préfère prendre des coups, risquer sa vie et la disgrâce plutôt que de lâcher d'un pouce sur la question de l'honneur, et notamment l'honneur dû aux morts.



Ici, la fibre tragique est encore plus tendue car le responsable de la mort d'un père n'est autre que sa propre mère. Aussi, venger l'un équivaut à commettre un odieux parricide envers l'autre. Douloureuse alternative. Mais ça, ce n'est pas tellement son problème car si meurtre il y a, ce devra être l'œuvre d'Oreste, son frère bienaimé qu'elle a soustrait jadis aux griffes meurtrières de sa mère, Clytemnestre et de son nouvel époux, Égisthe.



Électre passe donc une bonne partie de son temps à se lamenter sur son sort tragique, celui d'avoir vu son père, Agamemnon, assassiné sous les ordres de sa propre mère par le fourbe Égisthe, celui de subir au quotidien les brimades engendrées par son manque d'allégeance au nouveau couple royal, celui de savoir son frère vivant mais ne tentant toujours aucune action pour venir restaurer l'honneur meurtri de son père.



Il est à noter également que, comme dans le cas d'Antigone, Électre est accompagnée d'une sœur non rebelle, qui l'enjoint à accepter son sort sans trop de mauvais ressentiment et qui ne fera rien pour aller contre la volonté des maîtres, creusant ainsi, s'il en était besoin, le fossé entre l'attitude " commune " de la sœur, ici Chrysothémis, et l'attitude de l'héroïne en ce qui concerne la question du droit, de la morale, du légitime et du respect des règles publiques établies.



Tout semble tourner court lorsqu'on vient annoncer à l'infortunée Électre que son malheureux dernier espoir, Oreste, vient de trouver accidentellement la mort lors de festivités dans une cité voisine (festivités proches des jeux olympiques).



La terre s'arrête presque de tourner pour notre rebelle en mal d'action mais...,

mais...,

... toutes les informations sont-elles toujours fiables ? C'est ce que je vous laisse le soin de découvrir par vous-même. Il me reste peut-être encore à tâter deux ou trois mots quant au sens probable, civique et religieux, que cette tragédie revêtait durant l'Antiquité. Il faut peut-être y voir le fait que les dieux sont au-dessus de tout et que, peu ou prou, ils font concourir les événement à la justice. Que le fourbe qui a gagné par félonie sur le juste ne se réjouisse pas trop vite, son tour viendra... les dieux n'oublient jamais rien ni personne ! gnarf ! gnarf ! gnarf ! (rire sadique.)



J'ai hésité longuement à pousser mon appréciation jusqu'à quatre étoiles car, sur l'ensemble de l'impression laissée par cette pièce, pour un lecteur ou un spectateur du XXIème siècle, on ne va pas au-delà d'une impression moyenne. Toutefois, je tiens à saluer cette grande audace stylistique, ce tonique incroyable, cette palpitante écriture qui intervient lors du récit du drame de la course de chevaux.



N'oublions pas que cela a été écrit il y a 2500 ans, qu'il s'agit de théâtre, que le jeu d'acteur est alors très différent de ce qu'on l'imagine aujourd'hui et pourtant, Sophocle nous décoche une scène d'une vivacité d'écriture qui annonce déjà franchement un genre encore inconnu à l'époque et qui fera long feu : le roman.



Rien que pour cette scène, Sophocle peut être qualifié de génie de la littérature. C'est tellement vivant, c'est tellement intense comparativement à ce qui se faisait en ce temps-là que ça mérite un très grand coup de chapeau et tout notre respect. Saurions-nous, aujourd'hui, nous qui ricanons parfois du côté un peu vieillot de certaines pièces, apporter autant d'innovation, autant de jus, autant de style que Sophocle en apporta à l'écriture de son temps ? Alors, respect, Monsieur Sophocle, pour vous qui sûtes électriser les foules avec votre Électre. Au demeurant, ce n'est là que mon avis, c'est-à-dire, bien peu de chose.
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Antigone

C’est peu dire qu’Antigone est l'une des plus célèbres tragédies grecques (parmi celles qui nous sont parvenues, à savoir, fort peu, volontairement détruites au IIème siècle sous l’Empereur Hadrien par des autorités morales anonymes, les « pédagogues grammairiens », qui ont décidé lesquelles devaient être transmises à la postérité. De la sorte, ces éminences grises ont dégraissé Eschyle, Sophocle et Euripide, pour ne citer que ces trois-là, de 87 % de leurs productions, soit les 44 pièces survivantes sur 348 à l’origine).

Ainsi donc, parmi ces survivantes, Antigone n’est pas une tragédie canonique, mais LA tragédie canonique. Ce n’est pas pour rien qu’Hegel s’est appuyé en particulier sur celle-ci pour parler de la tragédie grecque en général.

Le poids du religieux dans la Grèce de Sophocle est difficile à appréhender de nos jours et c’est vraiment un exercice délicat que d’essayer de comprendre dans le détail les visées réelles de l’auteur. L’une des questions civiques et morales soulevée par la pièce est celle de l’obéissance à l’ordre émanant de la hiérarchie, même s’il va à l’encontre de nos convictions. Dit autrement, doit-on exécuter un ordre s’il est immoral ? Je doute que la lecture d’Antigone soit au chevet de beaucoup de nos militaires ou policiers, pourtant, c’est une vraie question. Il en va de même pour tout fonctionnaire. On sait ce que Vichy, pour ne parler que de ce régime, a été capable de faire. Les fonctionnaires de Vichy avaient-ils lu Antigone ? À méditer…

Voilà donc, Antigone, fille du célèbre Œdipe, qui vient de perdre ses deux frères bien aimés. L’un se battant pour Thèbes, l’autre contre. Thèbes obtient la victoire, et Créon, le roi de Thèbes, offre des funérailles dignes à celui qui a donné sa vie pour Thèbes, mais interdit qu’on laisse reposer l’autre frère selon les rites, car jugé comme traître, doit pourrir sur place ou être dévoré par des bêtes. Antigone, elle, refuse cette sentence et décide de braver l’interdit. Sa sœur, Ismène, elle, fait l’autre choix.

L’autre axe qui me semble majeur dans la pièce est celui de l’orgueil qui nous empêche de revenir sur une parole prononcée afin de ne pas « perdre la face ».

Je dirai simplement qu’à propos de faces perdues, Créon, se jugeant dans son bon droit, pour ne pas avoir voulu revenir sur sa décision risque d’en perdre bien d’autres de faces…

En somme, une bien belle tragédie, qu’il nous est parfois difficile de recontextualiser, mais dont certaines questions conservent toute leur raison d’être et leur verdeur, même après vingt-cinq siècles et quelques autodafés, mais cela n’est presque rien, tout juste mon minuscule avis, ma toute petite vérité, et j'aime autant laisser à Sophocle le mot de la fin :



"Ne laisse pas régner seule en ton âme l'idée que la vérité, c'est ce que tu dis, et rien d'autre. Les gens qui s'imaginent être seuls raisonnables et posséder des idées ou des mots inconnus à tout autre, ces gens-là, ouvre-les : tu ne trouveras en eux que le vide."
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Antigone

La mort de deux frères s'entretuant au combat, va provoquer la condamnation à mort d'une jeune fille, puis... d'autres morts !

Le choeur: Entendez le vol des corbeaux au dessus du corps de Polynice! Entendez les croassements odieux!



- Je ne suis qu'une jeune fille, et n'ai pas connu l'amour d'un homme, mais j'irai, oui, j'irai recouvrir le corps de mon frère !

- Non Antigone, ma soeur ! Notre oncle, le roi Créon, l'a interdit, sous peine de mort!



Le choeur: Entendez Ismène, qui essaie de sauver sa soeur. Entendez Hémon, le fils du roi Créon, plaider pour sa fiancée. Entendez notre devin Tirésias, intervenir pour cette fille folle!

Entendez le Coryphée, le chef du choeur antique parler d'une affaire menée par les Dieux eux-mêmes...



-J'ai les mains en sang, les ongles arrachés, ma tunique est salie par le sang qui suintait encore du corps de Polynice. Mais, je l'ai tenu contre moi, j'ai peigné ses cheveux avec mes doigts, et je l'ai embrassé une dernière fois...

J'ai écarté les bêtes qui rôdaient, dans la nuit noire. On est venu me repousser! Mais, je suis revenu en rampant, pour tromper les gardes.

Et j'ai arraché, j'ai creusé la terre, pour recouvrir le corps de Polynice. C'était mon frère!

Si son corps n'est pas enterré, Polynice ne pourra reposer en paix... Son âme ne peut errer éternellement, les Dieux sont avec moi!



Dans cette tragédie, Créon ne peut pardonner car cette fille, même si c'est sa nièce, ne peut contredire un Roi. Il ne peut perdre la face!

Le maintien de l'ordre dans la cité, après la guerre, implique le calcul, le mensonge et... le cynisme.



Elle s'appelle Antigone, et elle va devoir être une Antigone, tenir son rôle, jusqu'au bout...

Elle ne pleurera pas, sauf pour son frère ! C'est une adolescente intransigeante, qui refuse la médiocrité et les compromissions...



Même quand elle connaîtra sa condamnation à mort, elle affirmera sa fidélité aux lois divines et morales qui dépassent la justice des hommes!

La liberté individuelle prime sur la loi des hommes et sur les décrets des Rois...



- Je suis faite pour partager l'amour, non la haine". Antigone de Sophocle.
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Oedipe roi

Voici donc la tragédie " so folk " de Sophocle. Mais pourquoi est-elle si populaire ?

Pourquoi tellement elle et si peu Ajax, par exemple, dont la finalité profonde me semble si comparable ?

C'est vrai qu'elle est très bien écrite et que définitivement, Sophocle est LE grand tragédien grec, selon moi, devant tout autre. Mais ça ne suffit probablement pas pour expliquer un tel succès.

Le sujet alors ? Pourquoi pas, mais je le répète, Ajax n'est pas si différente de cette pièce à cet égard.

Alors je vais avancer ma théorie (au sens que j'ai indiqué une fois, c'était dans ma remarque sur Terre Des Hommes, il me semble), qui vaut ce qu'elle vaut, mais que je vais essayer d'étayer, tant bien que mal.

Et bien, selon moi, si Œdipe Roi est si populaire et fonctionne si bien encore de nos jours, c'est probablement parce que c'est l'une des seules tragédies grecques qui nous replace à peu près dans le même bain culturel que les spectateurs de l'Antiquité auxquels elles étaient toutes destinées.

Je m'explique. Il n'était pas un spectateur des pièces d'Eschyle, Sophocle ou Euripide qui ne connaissait sur le bout des doigts les subtilités de la mythologie ainsi que les archi-classiques (même pour l'époque) Iliade et Odyssée.

Donc, aucun point du scénario de ces pièces n'était une découverte pour les spectateurs, seuls comptaient la qualité de la langue dans laquelle était énoncée les tirades et la morale sous-jacente à chacune.

De nos jours, peu nombreux sont encore les fervents connaisseurs de ces moindres détails mythologiques. Le scénario est donc une découverte et nécessite même souvent des explications pour le néophyte.

Qu'en est-il d'Œdipe ? Qui ne connaît pas le fameux " complexe " ? Et est-il faux d'affirmer que, peu ou prou, parmi les lecteurs, tout le monde sait plus ou moins qu'Œdipe a tué son père et épousé sa mère ?

Voilà donc un point très important : pour ainsi dire, chaque lecteur moderne de cette tragédie en connaît par avance le scénario, exactement comme nos aînés de l'Antiquité.

Voilà pourquoi l'empathie fonctionne si bien, voilà pourquoi l'on peut encore être bouleversé, car on voit, sous nos yeux, s'accomplir un destin que chacun de nous connaît, sait inéluctable, fatal, implacable et pathétique.

On se met à la place du pauvre diable, qui est un homme bien sous tous points de vue, honorable, héroïque, magnanime... et qui, pourtant, sous l'angle de la morale, pour qui connaît le fin mot, est le dernier des derniers.

Il n'a pourtant jamais voulu se rendre coupable de quoi que ce soit. Mais c'était plus fort que lui, c'était au-dessus de lui que cela se jouait, c'était de l'ordre de la destinée, du divin. Et un simple mortel n'est rien, dans l'esprit de l'époque, face au divin, face aux oracles et toutes les choses de ce genre.

La finalité civique de cette pièce est donc exactement la même que pour Ajax, édifier le public et lui montrer qu'il n'est point de salut sans allégeance aux dieux.

C'est pourtant le volet psychologique qui nous intéresse le plus aujourd'hui. C'est donc un curieux hasard qui fait qu'on s'intéresse, de nos jours, plus à cette pièce qu'à beaucoup de ces petites sœurs. Pour Sophocle, parricide et inceste étaient probablement parmi les pires maux qui soient et avaient pour vocation de faire vibrer la corde sensible du trémolo de notre âme, agitant pitié, empathie et commisération.

Pour nous c'est autre chose et papa Freud y joue un grand rôle, mais peu importe, grâce à notre connaissance préalable du mythe, nous entrons mieux dans la tragédie et elle fonctionne donc à ravir.

Le mot de la fin sera donc, me concernant, si vous n'en choisissez qu'une, parmi tout l'héritage classique, optez plutôt pour celle-ci qu'une autre, car il y a plus de chance qu'elle fonctionne avec vous que toute autre. Mais bien évidemment, ceci n'est que mon avis, c'est-à-dire, bien peu de chose.
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Oedipe à Colone

Je ne suis pas, à proprement parler, une fan de cette pièce bien que je la trouve malgré tout essentielle tant dans l'œuvre de Sophocle que dans notre accès actuel à la tragédie grecque. L'action s'en situe chronologiquement après Œdipe Roi, du même Sophocle, et avant les Sept Contre Thèbes d'Eschyle.



(À ce propos, si la tragédie grecque vous effraie quelque peu, si vous avez l'impression de n'y rien comprendre ou de ne jamais savoir de qui ou de quoi l'on parle, je vous conseille, comme une expérience intéressante, cette succession de 4 pièces, dans cet ordre, dont vous pourrez aisément alors suivre le destin des protagonistes : 1) Œdipe Roi, 2) Œdipe À Colone, 3) Les Sept Contre Thèbes, 4) Antigone. Je signale encore que le romancier belge Henry Bauchau a également repris cette mythologie dans son Œdipe Sur La Route.)



Œdipe est désormais un vieillard aveugle, banni de Thèbes, contraint d'errer tel un mendiant par les chemins et qui doit son seul salut à la présence de sa fille aimante, Antigone. Il arrive à Colone, bourgade située à deux pas d'Athènes, province aux ordres de Thésée, le roi d'Athènes, un brave parmi les braves doublé d'un juste.



Le vieil Œdipe lui demande l'hospitalité et le droit de finir ses jours ici, loin de sa cité de Thèbes, dont il fut naguère le roi aimé et adulé de tous. En vertu de quoi, l'aveugle promet à Thésée une bénédiction sur sa cité. Fort d'être le représentant de la légendaire (à l'époque) hospitalité athénienne, le roi Thésée assure protection et tranquillité à Œdipe pour sa dernière demeure.



Mais c'est bien évidemment sans compter sur Créon, régent de Thèbes depuis le départ d'Œdipe et sur Polynice, le propre fils d'Œdipe qui tous deux souhaitent ardemment le retour de celui-ci dans les environs de Thèbes car...

OOOOUUUUHHHH !

... sans quoi un vilain présage menace la cité...

OOOOUUUUHHHH !

... une malédiction divine...

OOOOUUUUHHHH !



De suite, ça fait peur et l'on comprend l'empressement tant de Créon que de Polynice à vouloir rapatrier le vieux bonhomme. Mais c'est qu'Œdipe a la tête dure. Il se souvient, l'animal, que les deux affreux l'avaient chassé comme un loqueteux jadis, tandis qu'il aurait bien voulu rester dans sa bonne ville de Thèbes. Maintenant qu'il est effectivement devenu un loqueteux, ils voudraient de lui ?



Pour sauver quoi, une cité de vices ? Non merci, vous pouvez rentrer chez vous mes p'tits gars ! Le tout est de savoir si les mesures de coercition décrétées par Créon et les supplications de Polynice sauront infléchir les résolutions du vieil entêté. Sans compter le concours de Thésée dans tout cela, ainsi que d'Antigone et sa sœur Ismène. C'est, bien évidemment, ce que je m'en voudrais de vous dévoiler maintenant.



Voici donc une pièce de la toute fin de vie de son auteur Sophocle, qui ne sera d'ailleurs représentée, à l'époque, qu'à titre posthume sous l'insistance du petit-fils du tragédien. On y lit forcément quelques accents autobiographiques entre ce vieil Œdipe et ce vieil auteur. Sachant, au demeurant, que Sophocle avait vu le jour à Colone, comme par un fait exprès.



Ne serait-ce (comme un certain Georges Brassens bien des années plus tard), une manière de supplique pour être enterré à l'endroit de son choix ? Ne serait-ce également une manière de critique sociale qui dénoncerait le manque de respect à la vieillesse ? Ne peut-on y voir aussi une dénonciation du manque d'hospitalité à l'encontre des étrangers, des réfugiés ?



Le propos est, à cet égard, fort intéressant et plus d'actualité que jamais. Par contre, j'avoue que la pièce en elle-même n'est pas ultra captivante à mes yeux (pas encore aveugles) et même j'aurais tendance à penser l'inverse. Ceci dit, cela reste du Sophocle et, des trois grands tragédiens grecs, celui-ci reste mon favori. Mais tout ce bavardage, bien sûr, n'est que l'avis félon d'une vieille thébaine égarée, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Électre : Les Choéphores d'Eschyle - Électre de..

Voici un livre que je trouve plus intéressant que chacune des parties qui le constituent. Comme son titre l'indique, il est centré sur le personnage mythologique d'Électre.



Mais ce qui est intéressant ici, ce ne sont pas forcément les pièces prises indépendamment, mais les comparaisons qu'elles nous permettent. Or, vous savez bien que la méthode comparative est l'une des deux seules façons de mener des investigations scientifiques.



On sait que sur les plus de trois cents ou quatre cents tragédies écrites par Eschyle, Sophocle et Euripide, seules 33 nous sont parvenues. Et sur ces 33, dix évoquent de près ou de loin cet épisode mythique. C'est dire s'il est important dans la tradition culturelle grecque.



On peut rappeler en quelques mots cet épisode. À la base de la base, chez les tragiques grecs on s'appuie sur Homère, qui lui le raconte assez succinctement, laissant ainsi la place à de nombreuses interprétations, prolongations ou enjolivures.



Agamemnon, le roi vainqueur de Troie, sacrifie sa fille Iphigénie, pour apaiser le courroux de la déesse Artémis. Évidemment, Clytemnestre, sa femme, ne voit pas d'un très bon œil ce sacrifice de sa fille. On sait de plus qu'elle fait des infidélités à Agamemnon pendant son absence avec le cousin du roi, Égisthe.



De sorte que Clytemnestre manigance avec son amant d'assassiner Agamemnon. Égisthe se charge de la besogne et remplace poste pour poste son défunt cousin, à la fois dans le lit de sa femme et aux commandes du royaume.



Comme vous pouvez vous en douter, les enfants d'Agamemnon et de Clytemenestre prennent assez mal la chose, mais parmi eux, il n'y a qu'un fils, Oreste, et qui est encore trop jeune pour défendre l'honneur de son père. Il est donc exilé manu militari par des partisans de l'ancien roi aussi bien pour le protéger que dans l'espoir d'une vengeance future.



Les sœurs d'Oreste sont Électre, la rebelle et Chrysothémis la soumise. Au passage, Sophocle semble le seul à nous parler de cette sœur qu'il a peut-être ajoutée pour les besoins de sa pièce.



Électre représente donc l'archétype de l'héroïne au destin tragique : fille de roi, déchue après son assassinat, honteuse d'avoir une mère adultère et meurtrière et pas certaine qu'un jour son petit frère puisse lui sauver la mise et ainsi lui permettre un beau mariage honorable.



Ce qui est particulièrement intéressant ici, c'est de voir l'évolution du personnage chez les trois tragédiens à quelques années d'intervalle, ainsi que l'évolution du théâtre même et de ses finalités.



Eschyle, c'est vraiment la préhistoire de la tragédie. On peut le déplorer maintenant, en trouvant sa pièce pauvre ou caricaturale, mais ce serait une erreur si l'on se souvient qu'avant lui il n'y a rien, ou en tout cas, pas grand chose. Je doute qu'il soit l'inventeur de tout, mais son rôle dans l'émergence de la tragédie grecque est fondamental et indéniable.



Concernant Électre, son rôle est assez mineur, d'ailleurs, elle ne donne pas son nom à la tragédie contrairement à son père Agamemnon dans un autre volet de l'Orestie. (Néanmoins, quand on sait le nombre de pièces perdues et les sept malheureuses pièces d'Eschyle qu'il nous reste, on se dit qu'il avait peut-être ailleurs développé plus le rôle d'Électre.)



Chez Eschyle, Électre se borne à se lamenter, à reconnaître son frère Oreste à coups de mèches de cheveux et d'empreintes de pas et à lui réclamer justice pour le meurtre de son père. Et c'est à peu près tout.



Chez Sophocle, on note une franche évolution du style d'écriture, c'est beaucoup mieux écrit, c'est très poétique, très fin et le rôle d'Électre est enrichi. L'auteur lui trouve un contrepoint avec Chysothémis, exactement comme il l'avait fait pour Antigone avec Ismène. Le rapport mère-fille est également très intéressant. Électre assume son rôle d'opposante, elle le revendique et en est fière. Elle veut être l'épine dans le pied tant de sa mère que d'Égisthe et se sent prête à jouer du poignard si par hasard son frère Oreste avait un petit coup de mou au moment de passer à l'acte.



Chez Euripide, la prestation d'Électre est un peu moins spectaculaire mais la construction de la pièce est bien meilleure. Sophocle avait révolutionné Eschyle et Euripide révolutionne Sophocle. Les évolutions purement théâtrales propulsent Euripide à mi-chemin entre Eschyle et Racine. Il crée l'ancêtre des actes au théâtre, il abaisse la proportion de répliques chantées, il crée d'ailleurs de véritables dialogues. Et il se moque doucement mais surement d'Eschyle.



On sait que son prédécesseur avait opté pour la reconnaissance au cheveu et à l'empreinte de pas. Ici, Euripide casse tout ça et démontre que c'est bidon. Il a un souci de plus grande crédibilité. Autant Eschyle nous servait du rapport aux dieux, autant Sophocle appuyait sur le bouton du pathos en nous abreuvant de poésie, autant Euripide essaie de rapprocher le théâtre de ses spectateurs d'alors sans jouer trop la carte du surnaturel.



Ainsi, ce livre n'est pas tant intéressant dans les histoires qu'il raconte que sur ce qu'il nous donne à voir et à comparer sur l'évolution même du théâtre, des origines vers ce que l'on connaît aujourd'hui, au travers de trois auteurs décisifs qui traitent d'un même sujet ou à peu près.



Pour ma part, j'aurais tendance à attribuer 2 étoiles à Eschyle, et 3 étoiles pour chacun des deux autres. C'est la comparaison des styles offerte par ce livre vraiment pas trop gros et bien fait que j'élève à 4 étoiles. Mais tout ceci n'est bien entendu que mon avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Philoctète

J'aime beaucoup ce Philoctète de Sophocle. C'est une pièce assez atypique que je peine à appeler tragédie. Si j'avais à la positionner absolument dans une case précise, ce qu'en soi je répugne toujours à faire, je la qualifierais plus volontiers de drame psychologique.



Ce n'est pas — et de loin — la pièce la plus connue de Sophocle et pourtant, elle présente de nombreuses qualités, même pour un lecteur du XXIème siècle après cet hypothétique inconnu qu'on nomme Jésus-Christ (hypothétique inconnu du temps de Sophocle j'entends, lui qui écrit environ quatre siècles avant).



Il n'est sans doute pas inutile de rappeler quelques éléments de la biographie de Philoctète. C'est un ancien compagnon d'Héraclès (Hercule pour les latinistes) qui, à la mort de ce dernier, a hérité de son arc, un arc aux pouvoirs semi-magiques, qui jamais ne rate sa cible, ce qui en fait donc un arsenal redoutable à lui tout seul.



Philoctète, d'une droiture morale irréprochable (même un peu psychorigide par moment) était lié par un serment, celui de ne jamais révéler l'endroit de la sépulture du grand héros dont il tient son arc. Or, par l'entremise d'un oracle de Delphes, (les oracles de Delphes, à l'époque, c'était quelque chose, croyez m'en) les Grecs acquirent la conviction qu'ils ne s'empareront de Troie que si Philoctète leur révèle l'endroit précis de cette tombe.



Notre vaillant archer, tiraillé entre ces deux exigences adverses, ne voulant trahir ni son serment, ni les Grecs, de mauvaise grâce désigne du pied l'endroit. Grand mal lui en prit car aussitôt, la nymphe qui faisait sentinelle sur le tombeau, transmutée en vipère, injecte une portion de venin propre à terrasser un cheval dans le talon du malheureux Philoctète.



Souffrant horriblement, ayant le pied purulent et proche de la putréfaction, hurlant de douleur constamment. Philoctète devint une gêne pour ses compagnons d'arme. Et pour reprendre les remarques d'un certain président, n'eût été que le bruit, passe encore, mais l'odeur absolument insoutenable de la mauvaise blessure pousse Ulysse, oui, oui, le vrai Ulysse, ce héros incomparable, à accomplir un acte assez peu recommandable.



Avec quelques hommes, ils emmènent le braillard putride loin sur une petite île isolée et désolée, livré à son triste sort. Et pendant dix ans, Philoctète se traine lamentablement sur un pied parmi cette misère de pierres, vivant des seules ressources de son arc, à maudire tant des dieux qui lui ont infligé pareille épreuve que d'Ulysse, dont il ne rêve que de la mort.



C'est à ce moment précis que débute la pièce de Sophocle. La guerre de Troie n'en finit pas et bat même son plein. Seulement, les Grecs s'étant emparés d'un Troyen visionnaire dont les prédictions s'avèrent toujours exactes, Hélénos, ont désormais acquis la conviction qu'ils ne remporteront la victoire que si Philoctète lui-même revient combattre avec son arc.



C'est donc gênant pour Ulysse, lui qui l'a lâchement abandonné à son pied purulent sur un rocher oublié. Celui-ci demande donc son aide à un preux guerrier, Néoptolème, le fils du probe et vaillant Achille et qui se caractérise par la même sincérité et honnêteté morale que son père.



Ulysse sait que seul quelqu'un tel que lui peut infléchir le borné et têtu Philoctète dans son refus d'aider jamais les Grecs à nouveau après le revers qu'ils lui ont infligé.



J'ai tenu à vous faire cette longue présentation pour que vous mesuriez bien tout l'enjeu de la pièce et qui est selon moi intéressant. Tout va donc se résumer à convaincre quelqu'un dont on s'était fait un ennemi de venir combattre à nos côtés pour emporter une victoire dont l'autre n'a que faire.



Drôle de challenge pour Néoptolème, car, si tant est qu'il parvienne à décider Philoctète de prendre son parti, encore faudra-t-il parvenir à rabibocher Ulysse et Philoctète, et ça, c'est presque aussi compliqué que de faire coopérer les O'Timmins et les O'Hara des Rivaux De Painful Gulch !



Ce qui m'a donc intéressée ici, ce sont les aspects psychologiques et philosophiques soulevés. D'une part, l'ingratitude et la trahison endurées par Philoctète ce qui engendre fatalement rancune et désir de vengeance. Et d'un coup, me reviennent tant de cas d'ennemis héréditaires et héréditairement inconciliables, comme Israéliens et Palestiniens, par exemple.



Le message de Sophocle est ici intéressant. Selon lui, on se punit soi-même si l'on refuse l'opportunité d'une main tendue par l'ennemi, sous prétexte que les vieux comptes ne sont pas encore soldés, sous prétexte que l'on a été martyr et pas encore vengé.



J'y vois pour ma part une vraie philosophie de vie, à savoir que c'est de présent et d'avenir que nos vies doivent faire leur pain quotidien, les blessures du passé ne doivent pas être oubliées, mais ne doivent pas non plus compromettre les bonnes volontés présentes. Je vous laisse méditer sur ce message de sagesse vieux de vingt-cinq siècles...



J'hésite donc entre trois et quatre étoiles car cette œuvre, comme toutes les tragédies grecques, souffre un peu de la couche de poussière qui la recouvre, mais, si l'on se donne la peine de la gratter un peu du bout de l'index, présente aussi des brillances insoupçonnées. Mais ce n'est bien évidemment qu'un avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Tragédies II : Ajax - Oedipe Roi - Électre

Ce volume réunit trois des quatre tragédies les plus connues de Sophocle. Sophocle, ce grand esthète devant l'éternel, ce tragédien tellement poète, ce poète tellement philosophe. Je ne vous cache pas que parmi les trois pères fondateurs grecs de la tragédie, c'est à lui que je décerne la palme, devant Euripide et loin devant Eschyle.



— AJAX —

Ajax, c'est l'un des fiers guerriers grecs qui sont allés venger l'affront du rap d'Hélène, femme du roi Ménélas, par le troyen Pâris. Assurément, c'est un brave parmi les braves.



Mais c'est aussi un fameux goujat, qui n'hésite pas à aller poursuivre de ses avances la troyenne Cassandre jusque dans le temple d'Athéna, chose absolument défendue (pour les Grecs anciens, il aurait pu la violer n'importe où, mais pas dans un temple consacré à la déesse Athéna !). Si bien que notre Athéna se trouve vexée d'une telle liberté et complote un mauvais coup pour les Grecs victorieux des Troyens lors de leur retour en Argos.



Le thème principal de la pièce me semble être (mais c'est discutable) un questionnement sur l'orgueil et plus particulièrement sur l'orgueil mal placé.

De fait, Ajax, furieux de ne pas avoir été désigné comme le guerrier le plus valeureux, le plus digne de recevoir la distinction des armes forgées par Héphaïstos, face à Ulysse, décide d'aller jouer du sabre pour venger ce qu'il considère être un affront.



Il souhaite donc trucider Ulysse et toute sa bande.Mais c'est sans compter sur le concours d'Athéna, déesse de la sagesse, fort courroucée de l'impétuosité d'Ajax qui prétend n'avoir besoin que de son courage pour vaincre les troyens et pas de l'appui des dieux.



Ainsi, Athéna trouble les sens d'Ajax, qui croyant étriper les compagnons d'Ulysse, joue en fait de l'estoc et de la taille dans le bétail accompagnant les guerriers du roi Ithaque. Détrompé de ses visions, Ajax mesure l'affront, plus grand encore, d'avoir été ainsi joué par les dieux. Je vous laisse découvrir la suite si vous ne la connaissez déjà. (Sachez seulement qu'Ajax, par sa façon d'agir, a quelque chose de très japonais et des solutions, elles aussi très japonaises, si vous voyez ce que je veux dire, avec les kamikazes et les hara-kiri.)



Pour moi, l'idée forte de Sophocle est donc de mettre en relief tout ce qu'il peut y avoir de vain et de destructeur, même pour un être de grande valeur comme Ajax, à se nourrir d'orgueil, à laisser parler son ego plus que tout le reste, plus que l'intérêt général, plus que le patriotisme ou la déférence aux autorités (divines ou royales).





Je lis aussi, de manière plus diffuse et en filigrane, une considération de l'auteur sur la valeur des individus qui n'a rien à voir avec leur milieu d'extraction (c'est le cas du demi-frère d'Ajax, Teucros, fils d'une esclave, au cœur plus brave et plus noble que certains dignitaires). Un thème qu'Euripide reprendra dans sa version d'Électre.



— ŒDIPE ROI —

Lorsque j'essaie de me demander pourquoi Œdipe Roi a encore tant de succès de nos jours, comparativement à d'autres tragédies grecques, j'en viens à considérer qu'à l'heure actuelle, peu nombreux sont es fervents connaisseurs de ces moindres détails mythologiques de l'Illiade ou de l'Odyssée, textes de référence pour bien comprendre les tragédies.



Là où le scénario est totale découverte et nécessite souvent des explications pour les autres pièces, ici, peu ou prou, parmi les lecteurs, tout le monde a déjà entendu parlé du fameux " complexe d'Œdipe " et sait plus ou moins qu'Œdipe a tué son père et épousé sa mère. Ceci place le lecteur à peu près dans les mêmes conditions que les spectateurs de Sophocle qui connaissaient Homère sur le bout des doigts (ou plutôt des lèvres).



Voilà pourquoi l'empathie fonctionne si bien ici, voilà pourquoi l'on peut encore être bouleversé, car on voit, sous nos yeux, s'accomplir un destin que chacun de nous connaît, sait inéluctable, fatal, implacable et pathétique. On se met à la place du pauvre diable, qui est un homme bien sous tous points de vue, honorable, héroïque, magnanime... et qui, pourtant, sous l'angle de la morale, pour qui connaît le fin mot, est le dernier des derniers.



Il n'a pourtant jamais voulu se rendre coupable de quoi que ce soit. Mais c'était plus fort que lui, c'était au-dessus de lui que cela se jouait, c'était de l'ordre de la destinée, du divin. Et un simple mortel n'est rien, dans l'esprit de l'époque, face au divin, face aux oracles et toutes les choses de ce genre.



La finalité civique de cette pièce est donc exactement la même que pour Ajax, édifier le public et lui montrer qu'il n'est point de salut sans allégeance aux dieux. C'est pourtant le volet psychologique qui nous intéresse le plus aujourd'hui.



Pour Sophocle, parricide et inceste étaient probablement parmi les pires maux qui soient et avaient pour vocation de faire vibrer la corde sensible du trémolo de notre âme, agitant pitié, empathie et commisération. Pour nous c'est autre chose et papa Freud y joue un grand rôle, mais peu importe, grâce à notre connaissance préalable du mythe, nous entrons mieux dans la tragédie et elle fonctionne donc à ravir.



— ÉLECTRE —

À beaucoup d'égards, et ce rapprochement a déjà été fait moult fois, Électre est une héroïne qui rappelle énormément une autre des tragédies fameuses de Sophocle, en la personne d'Antigone : une rebelle, une fille de monarque, qui s'oppose au roi en place, qui préfère prendre des coups, risquer sa vie et la disgrâce plutôt que de lâcher d'un pouce sur la question de l'honneur, et notamment l'honneur dû aux morts.



Ici, la fibre tragique est encore plus tendue car le responsable de la mort d'un père n'est autre que sa propre mère. Aussi, venger l'un équivaut à commettre un odieux parricide envers l'autre. Douloureuse alternative. Mais ça, ce n'est pas tellement son problème car si meurtre il y a, ce devra être l'œuvre d'Oreste, son frère bienaimé qu'elle a soustrait jadis aux griffes meurtrières de sa mère, Clytemnestre et de son nouvel époux, Égisthe.



Électre passe donc une bonne partie de son temps à se lamenter sur son sort tragique, celui d'avoir vu son père, Agamemnon, assassiné sous les ordres de sa propre mère par le fourbe Égisthe, celui de subir au quotidien les brimades engendrées par son manque d'allégeance au nouveau couple royal, celui de savoir son frère vivant mais ne tentant toujours aucune action pour venir restaurer l'honneur meurtri de son père.



Il est à noter également que, comme dans le cas d'Antigone, Électre est accompagnée d'une sœur non rebelle, qui l'enjoint à accepter son sort sans trop de mauvais ressentiment et qui ne fera rien pour aller contre la volonté des maîtres, creusant ainsi, s'il en était besoin, le fossé entre l'attitude " commune " de la sœur, ici Chrysothémis, et l'attitude de l'héroïne en ce qui concerne la question du droit, de la morale, du légitime et du respect des règles publiques établies.



Tout semble tourner court lorsqu'on vient annoncer à l'infortunée Électre que son malheureux dernier espoir, Oreste, vient de trouver accidentellement la mort lors de festivités dans une cité voisine (festivités proches des jeux olympiques).



La terre s'arrête presque de tourner pour notre rebelle en mal d'action mais...,

mais...,

... toutes les informations sont-elles toujours fiables ? C'est ce que je vous laisse le soin de découvrir par vous-même. Il me reste peut-être encore à tâter deux ou trois mots quant au sens probable, civique et religieux, que cette tragédie revêtait durant l'Antiquité. Il faut peut-être y voir le fait que les dieux sont au-dessus de tout et que, peu ou prou, ils font concourir les événement à la justice. Que le fourbe qui a gagné par félonie sur le juste ne se réjouisse pas trop vite, son tour viendra... les dieux n'oublient jamais rien ni personne !



Même si l'impression générale de la pièce est pour moi moyenne, je tiens tout de même à signaler et à saluer la grande audace stylistique, ce tonique incroyable, cette palpitante écriture qui intervient lors du récit du drame de la course de chevaux et qui annonce déjà un genre encore inconnu à l'époque et qui fera long feu : le roman.





Bref, une très belle édition pour ces trois belles tragédies avec, pour ma part, une nette préférence à Œdipe Roi, mais ce n'est que mon avis. Et que valent les avis à 2500 ans de l'époque ou les pièces ont été écrites ? Pas grand-chose.
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Ajax

C’est peu dire qu’Ajax, comme bon nombre de tragédies grecques, est une pièce qui nécessite quelques explications préalables pour être pleinement comprise car, faisant revivre les personnages de l’Iliade, il peut être de bon ton de l'avoir lu au préalable.

En effet, Sophocle écrit non pas pour être lu mais être joué. Joué où ? En plein air. Joué à quelle occasion ? Une dizaine de jours par an, grand maximum, lors des dionysiales (en milieu ou fin d’hiver). Joué pour qui ? Un public d’hommes essentiellement, qui connaissent tous les légendes d’Homère. Les personnages des pièces de Sophocle sont donc bien connus du public auquel elles sont destinées.

De nos jours, Ajax évoque pour beaucoup un produit d’entretien, voire un club de football prestigieux, mais guère plus. Pour les spectateurs de Sophocle, c’est l’un des fiers guerriers grecs allant venger l’affront du rap d’Hélène, femme du roi Ménélas, par le troyen Pâris. Bref, un brave parmi les braves.

Mais c'est aussi un fameux goujat, qui n'hésite pas à aller poursuivre de ses avances la troyenne Cassandre jusque dans le temple d'Athéna, chose absolument défendue (pour les Grecs anciens, il aurait pu la violer n'importe où, mais pas dans un temple consacré à la déesse Athéna !).

Si bien que notre Athéna se trouve vexée d'une telle liberté et complote un mauvais coup pour les Grecs victorieux des Troyens lors de leur retour en Argos.

Quel est le thème principal de cette pièce ? Je n’en sais rien. Car le poids du religieux et du mystique est si présent dans la pensée grecque d’alors et dans cette tragédie qu’il est fort probable que je passe à côté de l'idée essentielle et de la morale véritablement poursuivies par l’auteur.

Selon moi, et ce que j’en retire au XXIème siècle, mais sans aucune garantie que ce soit le thème principal, c’est un questionnement sur l’orgueil et plus particulièrement sur l’orgueil mal placé.

De fait, Ajax, furieux de ne pas avoir été désigné comme le guerrier le plus valeureux, le plus digne de recevoir la distinction des armes forgées par Héphaïstos, face à Ulysse, décide d’aller jouer du sabre pour venger ce qu’il considère être un affront. Il souhaite donc trucider Ulysse et toute sa bande.

Mais c’est sans compter sur le concours d’Athéna, déesse de la sagesse, fort courroucée de l’impétuosité d’Ajax qui prétend n’avoir besoin que de son courage pour vaincre les Troyens et pas de l’appui des dieux.

Ainsi donc, Athéna trouble les sens d’Ajax, qui croyant étriper les compagnons d’Ulysse, joue en fait de l’estoc et de la taille dans le bétail accompagnant les guerriers du roi Ithaque. Détrompé de ses visions, Ajax mesure l’affront, plus grand encore, d’avoir été ainsi joué par les dieux. Je vous laisse découvrir la suite si vous ne la connaissez déjà.

Pour moi, l’idée forte de Sophocle est donc de mettre en relief tout ce qu’il peut y avoir de vain et de destructeur, même pour un être de grande valeur comme Ajax, à se nourrir d’orgueil, à laisser parler son ego plus que tout le reste, plus que l’intérêt général, plus que le patriotisme ou la déférence aux autorités (divines ou royales).

Je lis aussi, de manière plus diffuse et en filigrane, une considération de l’auteur sur la valeur des individus qui n’a rien à voir avec leur milieu d’extraction (c’est le cas du demi-frère d’Ajax, Teucros, fils d’une esclave, au cœur plus brave et plus noble que certains dignitaires).

Cependant, quelqu'un d'autre que moi pourrait vous démontrer que Sophocle recherche tout autre chose au travers de cette pièce, notamment l'allégeance aux Dieux. Ce n'est pas un terrain que je suis capable ni n'ai envie d'argumenter mais qui paraît défendable et/ou légitime.

Ainsi donc, vingt-cinq siècles après qu’elles aient été écrites, ces lignes continuent de nous questionner, dans nos échelles de valeur, dans nos rapports aux autres ou à nous-même, preuve s’il en était besoin de leur caractère universel, donc indispensable, mais ceci n’est que mon avis, c’est-à-dire, pas grand chose.
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Théâtre, tome 1 : Ajax - Antigone - Oedipe-Ro..

Attention ! avec ce recueil de chez Belles Lettres, vous avez entre les mains un vrai best of Sophocle, la crème de la crème de la tragédie grecque, idéal pour une découverte de ce théâtre si particulier.



1. AJAX

De nos jours, Ajax évoque pour beaucoup un produit d’entretien, voire un club de football prestigieux, mais guère plus. Pour les spectateurs de Sophocle, c’était l’un des fiers guerriers grecs allant venger l’affront du rap d’Hélène, femme du roi Ménélas, par le troyen Pâris. Bref, un brave parmi les braves.



Mais l'Ajax de ce temps-là, c'est aussi un fameux goujat, qui n'hésite pas à aller poursuivre de ses avances la troyenne Cassandre jusque dans le temple d'Athéna, chose absolument défendue (pour les Grecs anciens, le scandale ne vient pas du fait qu'il ait violé une femme, il aurait pu la violer n'importe où, mais pas dans un temple consacré à la déesse Athéna, ça ne se fait pas !). Si bien que notre Athéna se trouve vexée d'une telle liberté et complote un mauvais coup pour les Grecs victorieux des Troyens lors de leur retour en Argos.



Ce que je retire de cette tragédie au XXIème siècle (mais sans aucune garantie que c'en soit le véritable thème principal), c’est un questionnement sur l’orgueil et plus particulièrement sur l’orgueil mal placé.



De fait, Ajax, furieux de ne pas avoir été désigné comme le guerrier le plus valeureux, le plus digne de recevoir la distinction des armes forgées par Héphaïstos, face à Ulysse, décide d’aller jouer du sabre pour venger ce qu’il considère être un affront. Il souhaite donc trucider Ulysse et toute sa bande.



Mais c’est sans compter sur le concours d’Athéna, déesse de la sagesse, fort courroucée de l’impétuosité d’Ajax qui prétend n’avoir besoin que de son courage pour vaincre les Troyens et pas de l’appui des dieux.



Ainsi donc, Athéna trouble les sens d’Ajax, qui croyant étriper les compagnons d’Ulysse, joue en fait de l’estoc et de la taille dans le bétail accompagnant les guerriers du roi Ithaque. Détrompé de ses visions, Ajax mesure l’affront, plus grand encore, d’avoir été ainsi joué par les dieux. Je vous laisse découvrir la suite si vous ne la connaissez déjà.



Pour moi, outre la nécessaire allégeance aux Dieux, l’idée forte de Sophocle est donc de mettre en relief tout ce qu’il peut y avoir de vain et de destructeur, même pour un être de grande valeur comme Ajax, à se nourrir d’orgueil, à laisser parler son ego plus que tout le reste, plus que l’intérêt général, plus que le patriotisme ou la déférence aux autorités (divines ou royales).



Je lis aussi, de manière plus diffuse et en filigrane, une considération de l’auteur sur la valeur des individus qui n’a rien à voir avec leur milieu d’extraction (c’est le cas du demi-frère d’Ajax, Teucros, fils d’une esclave, au cœur plus brave et plus noble que certains dignitaires).



2. ANTIGONE

Avec Antigone, on passe immédiatement dans la catégorie des chef-d'œuvres intemporels, pour ainsi dire LA tragédie canonique. Le poids du religieux dans la Grèce de Sophocle est difficile à appréhender de nos jours et c’est vraiment un exercice délicat que d’essayer de comprendre dans le détail les visées réelles de l’auteur.



L’une des questions civiques et morales soulevée par la pièce est celle de l’obéissance à l’ordre émanant de la hiérarchie, même s’il va à l’encontre de nos convictions. Dit autrement, doit-on exécuter un ordre s’il est immoral ? Je doute que la lecture d’Antigone soit au chevet de beaucoup de nos militaires ou policiers, pourtant, c’est une vraie question. Il en va de même pour tout fonctionnaire. On sait ce que Vichy, pour ne parler que de ce régime, a été capable de faire. Les fonctionnaires de Vichy avaient-ils lu Antigone ? À méditer…



Voilà donc, Antigone, fille du célèbre Œdipe, qui vient de perdre ses deux frères bien aimés. L’un se battant pour Thèbes, l’autre contre. Thèbes obtient la victoire, et Créon, le roi de Thèbes, offre des funérailles dignes à celui qui a donné sa vie pour Thèbes, mais interdit qu’on laisse reposer l’autre frère selon les rites, car jugé comme traître, doit pourrir sur place ou être dévoré par des bêtes. Antigone, elle, refuse cette sentence et décide de braver l’interdit. Sa sœur, Ismène, elle, fait l’autre choix.



L’autre axe qui me semble majeur dans la pièce est celui de l’orgueil qui nous empêche de revenir sur une parole prononcée afin de ne pas « perdre la face ».

Je dirai simplement qu’à propos de faces perdues, Créon, se jugeant dans son bon droit, pour ne pas avoir voulu revenir sur sa décision risque d’en perdre bien d’autres de faces…



3. ŒDIPE-ROI

On continue de monter en qualité avec la tragédie " so folk " de Sophocle. Mais pourquoi est-elle si populaire ? Pourquoi tellement elle et si peu Ajax, par exemple, dont la finalité profonde me semble si comparable ?



C'est vrai qu'elle est très bien écrite et que définitivement, Sophocle s'impose avec Œdipe-Roi comme LE grand tragédien grec, selon moi, devant tout autre. Mais ça ne suffit probablement pas pour expliquer un tel succès.



Le sujet alors ? Pourquoi pas, mais je le répète, Ajax n'est pas si différente de cette pièce à cet égard. Alors je vais avancer ma théorie : selon moi, si Œdipe Roi est si populaire et fonctionne si bien encore de nos jours, c'est probablement parce que c'est l'une des seules tragédies grecques qui nous replace à peu près dans le même bain culturel que les spectateurs de l'Antiquité auxquels elles étaient toutes destinées.



Je m'explique. Il n'était pas un spectateur des pièces d'Eschyle, Sophocle ou Euripide qui ne connaissait sur le bout des doigts les subtilités de la mythologie ainsi que les archi-classiques (même pour l'époque) Iliade et Odyssée. Donc, aucun point du scénario de ces pièces n'était une découverte pour les spectateurs, seuls comptaient la qualité de la langue dans laquelle était énoncée les tirades et la morale sous-jacente à chacune.



De nos jours, peu nombreux sont encore les fervents connaisseurs de ces moindres détails mythologiques. Le scénario est donc une découverte et nécessite même souvent des explications pour le néophyte.



Qu'en est-il d'Œdipe ? Qui ne connaît pas le fameux " complexe " ? Et est-il faux d'affirmer que, peu ou prou, parmi les lecteurs, tout le monde sait plus ou moins qu'Œdipe a tué son père et épousé sa mère ? Voilà donc un point très important : pour ainsi dire, chaque lecteur moderne de cette tragédie en connaît par avance le scénario, exactement comme nos aînés de l'Antiquité.



Voilà pourquoi selon moi l'empathie fonctionne si bien et pourquoi l'on peut encore être bouleversé, car on voit, sous nos yeux, s'accomplir un destin que chacun de nous connaît, sait inéluctable, fatal, implacable et pathétique. On se met à la place du pauvre diable, qui est un homme bien sous tous points de vue, honorable, héroïque, magnanime... et qui, pourtant, sous l'angle de la morale, pour qui connaît le fin mot, est le dernier des derniers.



Il n'a pourtant jamais voulu se rendre coupable de quoi que ce soit. Mais c'était plus fort que lui, c'était au-dessus de lui que cela se jouait, c'était de l'ordre de la destinée, du divin. Et un simple mortel n'est rien, dans l'esprit de l'époque, face au divin, face aux oracles et toutes les choses de ce genre. La finalité civique de cette pièce est donc exactement la même que pour Ajax, édifier le public et lui montrer qu'il n'est point de salut sans allégeance aux dieux.



C'est pourtant le volet psychologique qui nous intéresse le plus aujourd'hui. C'est donc un curieux hasard qui fait qu'on s'intéresse, de nos jours, plus à cette pièce qu'à beaucoup de ces petites sœurs. Pour Sophocle, parricide et inceste étaient probablement parmi les pires maux qui soient et avaient pour vocation de faire vibrer la corde sensible du trémolo de notre âme, agitant pitié, empathie et commisération.



Pour nous c'est autre chose et papa Freud y joue un grand rôle, mais peu importe, grâce à notre connaissance préalable du mythe, nous entrons mieux dans la tragédie et elle fonctionne donc à ravir.



4. ÉLECTRE

À beaucoup d'égards (et ce rapprochement a déjà été fait moult fois), Électre est une héroïne qui rappelle énormément Antigone : une rebelle, une fille de roi, qui s'oppose au roi en place, qui préfère prendre des coups, risquer sa vie et la disgrâce plutôt que de lâcher d'un pouce sur la question de l'honneur, et notamment l'honneur dû aux morts.



Ici, la fibre tragique est encore plus tendue car le responsable de la mort d'un père n'est autre que sa propre mère. Aussi, venger l'un équivaut à commettre un odieux parricide envers l'autre. Douloureuse alternative. Mais ça, ce n'est pas tellement son problème car si meurtre il y a, ce devra être l'œuvre d'Oreste, son frère bienaimé qu'elle a soustrait jadis aux griffes meurtrières de sa mère, Clytemnestre et de son nouvel époux, Égisthe.



Électre passe donc une bonne partie de son temps à se lamenter sur son sort tragique, celui d'avoir vu son père, Agamemnon, assassiné sous les ordres de sa propre mère par le fourbe Égisthe, celui de subir au quotidien les brimades engendrées par son manque d'allégeance au nouveau couple royal, celui de savoir son frère vivant mais ne tentant toujours aucune action pour venir restaurer l'honneur meurtri de son père.



Il est à noter également que, comme dans le cas d'Antigone, Électre est accompagnée d'une sœur non rebelle, qui l'enjoint à accepter son sort sans trop de mauvais ressentiment et qui ne fera rien pour aller contre la volonté des maîtres, creusant ainsi, s'il en était besoin, le fossé entre l'attitude " commune " de la sœur, ici Chrysothémis, et l'attitude de l'héroïne en ce qui concerne la question du droit, de la morale, du légitime et du respect des règles publiques établies.



Tout semble tourner court lorsqu'on vient annoncer à l'infortunée Électre que son malheureux dernier espoir, Oreste, vient de trouver accidentellement la mort lors de festivités dans une cité voisine (festivités proches des jeux olympiques).



La terre s'arrête presque de tourner pour notre rebelle en mal d'action mais...,

mais...,

... toutes les informations sont-elles toujours fiables ? C'est ce que je vous laisse le soin de découvrir par vous-même. Il me reste peut-être encore à tâter deux ou trois mots quant au sens probable, civique et religieux, que cette tragédie revêtait durant l'Antiquité. Il faut peut-être y voir le fait que les dieux sont au-dessus de tout et que, peu ou prou, ils font concourir les événement à la justice. Que le fourbe qui a gagné par félonie sur le juste ne se réjouisse pas trop vite, son tour viendra... les dieux n'oublient jamais rien ni personne ! gnarf ! gnarf ! gnarf ! (rire sadique.)



De mon point de vue, l'impression laissée par cette pièce, pour un lecteur ou un spectateur du XXIème siècle, on ne va pas au-delà d'une impression moyenne. Toutefois, je tiens à saluer cette grande audace stylistique, ce tonique incroyable, cette palpitante écriture qui intervient lors du récit du drame de la course de chevaux.



N'oublions pas que cela a été écrit il y a 2500 ans, qu'il s'agit de théâtre, que le jeu d'acteur est alors très différent de ce qu'on l'imagine aujourd'hui et pourtant, Sophocle nous décoche une scène d'une vivacité d'écriture qui annonce déjà franchement un genre encore inconnu à l'époque et qui fera long feu : le roman.



Rien que pour cette scène, Sophocle peut être qualifié de génie de la littérature. C'est tellement vivant, c'est tellement intense comparativement à ce qui se faisait en ce temps-là que ça mérite un très grand coup de chapeau et tout notre respect. Saurions-nous, aujourd'hui, nous qui ricanons parfois du côté un peu vieillot de certaines pièces, apporter autant d'innovation, autant de jus, autant de style que Sophocle en apporta à l'écriture de son temps ? Alors, respect, Monsieur Sophocle.



En somme, de bien belles tragédies, qu’il nous est parfois difficile de recontextualiser, mais dont certaines questions conservent toute leur raison d’être et toute leur verdeur, même après vingt-cinq siècles et quelques autodafés. Vingt-cinq siècles après qu’elles aient été écrites, ces lignes continuent de nous questionner, dans nos échelles de valeur, dans nos rapports aux autres ou à nous-même, preuve s’il en était besoin de leur caractère universel, donc indispensable, mais ceci n’est que mon minuscule avis, ma toute petite vérité, c’est-à-dire, pas grand-chose.

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Tragédies III : Philoctète - Oedipe à Colone

Cette édition des Belles Lettres regroupe deux pièces qui, outre l'auteur, n'ont pas grand-chose à voir l'une avec l'autre, sauf peut-être sur la thématique du vieux héros délaissé et abandonné à son triste sort. Pourquoi pas, mais sans conviction en ce qui me concerne.



1) PHILOCTÈTE.

Tout d'abord, Philoctète, une pièce que j'aime beaucoup mais pour laquelle il n'est sans doute pas inutile de rappeler quelques éléments de la biographie de son héros.



C'est un ancien compagnon d'Héraclès (Hercule pour les latinistes) qui, à la mort de ce dernier, a hérité de son arc, un arc aux pouvoirs semi-magiques, qui jamais ne rate sa cible, ce qui en fait donc un arsenal redoutable à lui tout seul.



Philoctète, d'une droiture morale irréprochable (même un peu psychorigide par moment) était lié par un serment, celui de ne jamais révéler l'endroit de la sépulture du grand héros dont il tient son arc. Or, par l'entremise d'un oracle de Delphes, (les oracles de Delphes, à l'époque, c'était quelque chose, croyez m'en) les Grecs acquirent la conviction qu'ils ne s'empareront de Troie que si Philoctète leur révèle l'endroit précis de cette tombe.



Notre vaillant archer, tiraillé entre ces deux exigences adverses, ne voulant trahir ni son serment, ni les Grecs, de mauvaise grâce désigne du pied l'endroit. Grand mal lui en prit car aussitôt, la nymphe qui faisait sentinelle sur le tombeau, transmutée en vipère, injecte une portion de venin propre à terrasser un cheval dans le talon du malheureux Philoctète.



Souffrant horriblement, ayant le pied purulent et proche de la putréfaction, hurlant de douleur constamment. Philoctète devint une gêne pour ses compagnons d'arme. Et pour reprendre les remarques d'un certain président, n'eût été que le bruit, passe encore, mais l'odeur absolument insoutenable de la mauvaise blessure pousse Ulysse, oui, oui, le vrai Ulysse, ce héros incomparable, à accomplir un acte assez peu recommandable.



Avec quelques hommes, ils emmènent le braillard putride loin sur une petite île isolée et désolée, livré à son triste sort. Et pendant dix ans, Philoctète se traine lamentablement sur un pied parmi cette misère de pierres, vivant des seules ressources de son arc, à maudire tant des dieux qui lui ont infligé pareille épreuve que d'Ulysse, dont il ne rêve que de la mort.



C'est à ce moment précis que débute la pièce de Sophocle. La guerre de Troie n'en finit pas et bat même son plein. Seulement, les Grecs s'étant emparés d'un Troyen visionnaire dont les prédictions s'avèrent toujours exactes, Hélénos, ont désormais acquis la conviction qu'ils ne remporteront la victoire que si Philoctète lui-même revient combattre avec son arc.



C'est donc gênant pour Ulysse, lui qui l'a lâchement abandonné à son pied purulent sur un rocher oublié. Celui-ci demande donc son aide à un preux guerrier, Néoptolème, le fils du probe et vaillant Achille et qui se caractérise par la même sincérité et honnêteté morale que son père.



Ulysse sait que seul quelqu'un tel que lui peut infléchir le borné et têtu Philoctète dans son refus d'aider jamais les Grecs à nouveau après le revers qu'ils lui ont infligé.



J'ai tenu à vous faire cette longue présentation pour que vous mesuriez bien tout l'enjeu de la pièce et qui est selon moi intéressant. Tout va donc se résumer à convaincre quelqu'un dont on s'était fait un ennemi de venir combattre à nos côtés pour emporter une victoire dont l'autre n'a que faire.

Drôle de challenge pour Néoptolème, car, si tant est qu'il parvienne à décider Philoctète de prendre son parti, encore faudra-t-il parvenir à rabibocher Ulysse et Philoctète, et ça, c'est presque aussi compliqué que de faire coopérer les O'Timmins et les O'Hara des Rivaux De Painful Gulch !



Ce qui m'a donc intéressée ici, ce sont les aspects psychologiques et philosophiques soulevés. D'une part, l'ingratitude et la trahison endurées par Philoctète ce qui engendre fatalement rancune et désir de vengeance. Et d'un coup, me reviennent tant de cas d'ennemis héréditaires et héréditairement inconciliables, comme Israéliens et Palestiniens, par exemple.



Le message de Sophocle est ici intéressant. Selon lui, on se punit soi-même si l'on refuse l'opportunité d'une main tendue par l'ennemi, sous prétexte que les vieux comptes ne sont pas encore soldés, sous prétexte que l'on a été martyr et pas encore vengé.



J'y vois pour ma part une vraie philosophie de vie, à savoir que c'est de présent et d'avenir que nos vies doivent faire leur pain quotidien, les blessures du passé ne doivent pas être oubliées, mais ne doivent pas non plus compromettre les bonnes volontés présentes. Je vous laisse méditer sur ce message de sagesse vieux de vingt-cinq siècles...



2) ŒDIPE À COLONE

En ce qui concerne Œdipe À Colone, je ne suis pas, c'est le moins que l'on puisse dire, une fan de cette pièce bien que je la trouve malgré tout essentielle tant dans l'œuvre de Sophocle que dans notre accès actuel à la tragédie grecque.



L'action s'en situe chronologiquement après Œdipe Roi, du même Sophocle, et avant les Sept Contre Thèbes d'Eschyle. Œdipe est désormais un vieillard aveugle, banni de Thèbes, contraint d'errer tel un mendiant par les chemins et qui doit son seul salut à la présence de sa fille aimante, Antigone.



Il arrive à Colone, bourgade située à deux pas d'Athènes, province aux ordres de Thésée, le roi d'Athènes, un brave parmi les braves doublé d'un juste. Le vieil Œdipe lui demande l'hospitalité et le droit de finir ses jours ici, loin de sa cité de Thèbes, dont il fut naguère le roi aimé et adulé de tous. En vertu de quoi, l'aveugle promet à Thésée une bénédiction sur sa cité.



Fort d'être le représentant de la légendaire (à l'époque) hospitalité athénienne, le roi Thésée assure protection et tranquillité à Œdipe pour sa dernière demeure. Mais c'est bien évidemment sans compter sur Créon, régent de Thèbes depuis le départ d'Œdipe et sur Polynice, le propre fils d'Œdipe qui tous deux souhaitent ardemment le retour de celui-ci dans les environs de Thèbes car...

OOOOUUUUHHHH !

... sans quoi un vilain présage menace la cité...

OOOOUUUUHHHH !

... une malédiction divine...

OOOOUUUUHHHH !



De suite, ça fait peur et l'on comprend l'empressement tant de Créon que de Polynice à vouloir rapatrier le vieux bonhomme. Mais c'est qu'Œdipe a la tête dure. Il se souvient, l'animal, que les deux affreux l'avaient chassé comme un loqueteux jadis, tandis qu'il aurait bien voulu rester dans sa bonne ville de Thèbes.



Maintenant qu'il est effectivement devenu un loqueteux, ils voudraient de lui ? Pour sauver quoi, une cité de vices ? Non merci, vous pouvez rentrer chez vous mes p'tits gars ! Le tout est de savoir si les mesures de coercition décrétées par Créon et les supplications de Polynice sauront infléchir les résolutions du vieil entêté. Sans compter le concours de Thésée dans tout cela, ainsi que d'Antigone et sa sœur Ismène.

C'est, bien évidemment, ce que je m'en voudrais de vous dévoiler maintenant.



Voici donc une pièce de la toute fin de vie de son auteur Sophocle, qui ne sera d'ailleurs représentée, à l'époque, qu'à titre posthume sous l'insistance du petit-fils du tragédien. On y lit forcément quelques accents autobiographiques entre ce vieil Œdipe et ce vieil auteur. Sachant, au demeurant, que Sophocle avait vu le jour à Colone, comme par un fait exprès.



Ne serait-ce (comme un certain Georges Brassens bien des années plus tard), une manière de supplique pour être enterré à l'endroit de son choix ? Ne serait-ce également une manière de critique sociale qui dénoncerait le manque de respect à la vieillesse ? Ne peut-on y voir aussi une dénonciation du manque d'hospitalité à l'encontre des étrangers ?



Le propos est, à cet égard, fort intéressant et plus d'actualité que jamais.

Par contre, j'avoue que la pièce en elle-même n'est pas ultra captivante à mes yeux (pas encore aveugles) et même j'aurais tendance à penser l'inverse. Ceci dit, cela reste du Sophocle et, des trois grands tragédiens grecs, celui-ci est et demeure mon favori.



Mais tout ce bavardage, bien sûr, n'est que l'avis félon d'une vieille thébaine égarée, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Tragédies : Oedipe roi - Oedipe à colone - Anti..

Avant que de donner un quelconque misérable avis sur du théâtre antique, peut-être vaut-il d'y glisser un petit avertissement pour les lecteurs profanes, que nous sommes en majorité (je m'inclus dedans, bien évidemment). Qu'était-ce donc que le théâtre au temps de Sophocle ?



Un divertissement parmi d'autres ? sûrement pas. Un spectacle raffiné pour élite bourgeoise ou gratin mondain ? encore moins. Plus vraisemblablement un outil d'édification des foules, un peu comme aujourd'hui on regarde un spot publicitaire du gouvernement pour nous enjoindre à trier nos déchets ou à éviter les accidents domestiques, ou bien, il n'y a pas si longtemps, les programmes éducatifs de la défunte O.R.T.F. Ou bien encore, comme on s'accorde à reconnaître les bienfaits des programmes de sensibilisation aux dangers des drogues ou à la bonne hygiène sexuelle pour former les jeunes lycéens. C'était un peu ça le théâtre, une sorte d'outil de propagande doublé d'une visée moralisante et normative pour assurer autant que possible le bon fonctionnement et l'harmonie sociales.



Pour atteindre cet objectif, afin de marquer durablement le spectateur, le théâtre va choisir d'agir directement sur le centre des émotions, et si possible les deux émotions extrêmes que peut ressentir un spectateur : soit les larmes, soit le rire. Voici de fait les deux genres majeurs, caricaturaux par nature mais parfaitement efficaces et compréhensibles en regard de l'objectif poursuivi, qu'a produit l'art théâtral grec : la tragédie et la comédie.



Ainsi donc, si l'on replace Sophocle dans ce contexte, notre lecture et nos attentes sont quelque peu différentes. On y lira par exemple l'éloge du patriotisme, de la fidélité et de quelques autres vertus (ou considérées comme telles) à l'époque. Mais pour nous autres, lecteurs du XXIième siècle, qu'attendre du théâtre antique ? « Telle est la question » a répondu un autre dramaturge, et c'est celle-ci qu'il nous faut nous poser.



Si c'est pour le message brut véhiculé à l'origine par ces pièces, manifestement il y a péremption et l'on se trompe de chemin. Par contre, si c'est pour la forme ou pour tout autre apanage, alors pourquoi bouder notre plaisir ? J'en connais qui admirent des affiches Art Nouveau, non pas pour ce qu'elles évoquent et qui a disparu, mais parce qu'elles sont belles, tout simplement.



Peu sont ceux qui peuvent encore jouir de la musique de la langue que procurait le grec ancien : il nous faut nous rabattre sur des traductions, où, après le fond, l'on perd encore un peu de ce quelque chose qu'y avait mis l'auteur pour forger une oeuvre complète, complexe, équilibrée et marquante. Avec ses trente pour cent, peut-être, de ce qui nous arrive aujourd'hui à nous, les lecteurs profanes, par rapport à l'oeuvre initiale, il faut chercher à y trouver tout de même son bonheur.



Ce bonheur vient par éclairs, par flash, lorsque l'auteur touche du doigt un paramètre de l'humain qui n'a pas changé depuis vingt-cinq, quatre ou trois cents siècles, qui est du registre de l'Humain en tant qu'espèce, indépendamment de toute appartenance à une société donnée à un moment donné, message qui ne se flétrira pas davantage dans mille ans ou dans cinq cents siècles, pour peu que l'humain sache se trainer jusque là.



Ceci est possible également à une autre échelle que l'auteur ignorait et qui n'était pas l'objectif poursuivi à l'époque mais qui a grandi avec le décalage temporel : celle de témoignage quasi ethnographique sur un mode de pensée aujourd'hui révolu et qui pourtant est le fondement, la base, l'origine, le foyer du système occidental.



Aussi, lisez-le pour ça, ce théâtre, pour ce témoignage, pour ce qu'il peut vous apprendre d'universel et qui n'a pas tremblé d'un iota depuis lors, un peu comme vous lisez Anne Frank ou Primo Levi, et alors, vous ne serez probablement pas déçus.



Si vous attendez la puissance de certains écrits plus modernes, peut-être n'y trouverez-vous pas tout votre content (quoique, ce n'est pas sûr), mais ce n'est là que mon avis, tragique par essence, c'est-à-dire, pas grand chose.
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Oedipe à Colone

Œdipe à Colone est le chant du cygne de Sophocle, la pièce ne fut en effet créée qu’en 401 avant notre ère., après sa mort.

Elle relate l’arrivée d’Œdipe, vieillard aveugle, faible et pauvrement vêtu , à Colone, près d’Athenes, et ce, au terme d’une longue route, accompagné et aidé par sa fille Antigone. Il y demande l’hospitalité à Thésée, roi de cette ville tout en se dédouanant des crimes qu’il a commis car il n’en était pas conscient. Il promet à Thésée que cette hospitalité sera bénéfique à sa ville, un oracle le lui ayant annoncé. Thésée la lui accorde.

Mais bientôt Créon puis Polynice vont tenter par la ruse ou la violence d’emmener Œdipe avec eux....

La tragédie se clôturera avec la mort d’Œdipe .



Le personnage d’Œdipe est intéressant, il est vieux, aveugle, ne peut marcher qu’avec l’aide de sa fille mais est lucide, comprenant qu’il n’est pas responsable de son passé, il est virulent tant devant Créon que face à son propre fils Polynice.

C’est bien entendu une tragédie antique, nos pièces de théâtre actuelles en sont bien éloignées, les parties chorales sont omniprésentes, les références aux dieux également.



Je serais curieux d’en voir une représentation, Pourquoi pas ? je me souviens avoir assisté à une autre tragédie antique, Médée d’Euripide, jouée par Isabelle Huppert. J’en garde un excellent souvenir.
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Antigone

Œdipe a quitté Thèbes mais pour autant, le calme n'est pas revenu. C'est Créon qui hérite du trône après que les deux fils d’Œdipe se sont entretués . Créon décide que Polynice, l'un des deux fils, ne mérite pas les honneurs funéraires. Antigone, sœur du défunt, ne supporte pas l'offense et décide de passer outre les ordres royaux.



Même si le niveau d'Œdipe roi n'est peut être pas atteint niveau tragédie , on est encore sur des niveaux que les auteurs actuels doivent hésiter à mettre en place pour ne pas entamer leur crédibilité. les Labdacides sont maudits , et bien comme il faut.

Au delà du destin familial, Antigone apparait comme une vraie pièce politique , le "doit on obéir à tous les ordres?' en toile de fond et sa réponse "Appartient il à l'opinion publique de nous dicter notre conduite ?".

De vraies questions , intemporelles, abordées ici rendant la position de Créon cornélienne bien avant l’heure !

Moins intemporelles, les querelles entre les Dieux du haut et ceux du bas et leur omniprésence dans la vie quotidienne.

Une pièce relue avec beaucoup de plaisir et qui m'entrainera assurément à nouveau dans la Grèce antique .
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Oedipe roi

Dans mon cursus universitaire, je suis tenue de lire certains ouvrages - majoritairement des classiques -, ce qui m'a amenée à découvrir le très célèbre Œdipe Roi de Sophocle.



Nous suivons le tragique destin de ce personnage, Œdipe. Roi de Thébès, il doit sortir la ville d'une période sombre en découvrant qui a tué l'ancien roi de Thébès, Laois.



Cette histoire n'était pas évidente à suivre, d'autant plus que je ne suis pas habituée au genre théâtral, si bien que je n'ai pas franchement aimé ma lecture. Toutefois, c'était chouette de pouvoir découvrir ce texte connu et reconnu ! Je pourrais éventuellement le relire dans un cadre moins scolaire qui me permettra de mieux l'apprécier !
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Électre : Les Choéphores d'Eschyle - Électre de..

Electre est l’archétype de la tragédie grecque, une œuvre qui se distingue par sa cruauté et sa violence. Les plus grands poètes de l’époque en ont fait leur version et plutôt que de s’opposer les trois pièces présentées ici se complètent pour ne plus faire qu’un ensemble indissociable. Agamemnon est mort assassiné par l’amant de sa femme qui en a profité pour usurper le titre de roi et pour prendre sa place sur le trône et dans le lit de la reine. Electre sa fille reléguée au simple rang de servante n’a plus qu’une idée en tête, venger son père et retrouver une position plus digne de son statut. Aurait-elle eu la même rage meurtrière si elle avait gardé ses prérogatives de princesse consort ? On peut en douter tant son personnage déborde d’ambitions et d’orgueil. Pour verser le sang elle a besoin d’un bras armé, bras qu’elle va trouver en la personne de son frère Oreste qu’elle pensait mort et qui réapparait après de longues années d’exil caché au loin par des partisans de son défunt père. Lui-même désire venger le héros de la guerre de Troie qu’il présente comme la droiture et la probité même. Il est vrai qu’Agamemnon fait partie des artisans de la victoire, mais pour mettre les bonnes grâces des dieux de son coté il n’a pas hésité à égorger de sa main sa plus jeune fille Iphigénie. A l'issue du conflit, il est revenu au pays accompagné d’une nouvelle concubine, de quoi largement exacerber les ressentiments de son épouse. Tuer !!! Voilà le maitre mot et si Orestre n’a pas de scrupules à éliminer celui qui a pris la place de son père, il est plus réservé sur le châtiment à appliquer à leur mère. Il hésite, mais Electre se dresse, crache les milles feux de sa colère et pousse son frère à commettre l’irréparable . Lyrique, poignant et terriblement réaliste malgré les interventions des chœurs qui agissent un peu comme une voix off, ce livre est une somme que tout le monde devrait connaitre car au même titre que l’Ylliade et l’Odyssée d’Homère, il fait partie des œuvres fondatrice de la littérature mondiale...
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Oedipe roi

Ça craint à Thèbes . La peste s'est abattue sur la ville et la ville s'en remet à son roi, Œdipe, qui l'a déjà libérée du Sphinx. Le roi a envoyé son beauf , Créeon , demander conseils aux Dieux. Tant que les assassins de Laïos, l'an roi, ne seront pas retrouvés, point de salut...



Qu'est ce que c'est bien quand même . Digne d'un bon polar, avec des héros pour qui l'honneur prévaut sur la vie . Et quelle énigme. Pauvre Oedipe, ce n'est pas bien cool comme situation tout ça. Coucher avec sa mère, tuer son père, tout cela sans le savoir, on ne le souhaite pas à son pire ennemi...

J'ai trouvé le texte très moderne, très facile à lire , et vraiment contemporain dans les idées. A part pour l'honneur des dirigeants. Quand dans la Grèce antique on est prêt à mourir pour un écart de langage , nous on a des politiciens qui nous mentent "les yeux dans les yeux "(quel champion celui là mais la déontologie qui m'habite me fera taire son nom).

C'est une heure de lecture , du suspens quand on ne connait pas l’énigme (il vaut mieux quand même entamer la lecture avec deux trois notions chronologiques ) mais aussi un plaisir de lectures avec des tirades magnifiques .

Sophocle, so folk !

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Antigone

Aucune hésitation chez Antigone qui a choisi de braver l'interdiction éditée par Créon d'accomplir les rites funéraires sur son frère Polynice.



Créon comprendra un peu tard qu'il a enfreint la loi des dieux et en sera bien puni. C'est sans doute la leçon que veut nous donner Sophocle.



C'est amusant de constater qu'Anouilh a complètement zappé ce côté mythique.
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Électre

Troisième version antique de la légende d'Electre que je lis. Après Eschyle (fiasco) et avant Euripide (excellent) c'est l'élève Sophocle qui s'y colle.



Je ne vais pas rabâcher longtemps le pitch hein. Clytemnestre a assassiné son époux Agamemnon qui avait sacrifié leur fille Iphigénie pour acquérir un sauf conduit pour Troie. Elle a été aidée par Egisthe, un cousin d'Agamemnon qui devient son amant.

Electre, autre fille du couple, ne songe qu'à la vengeance. Mais elle ne peut pas grand-chose à part faire la gueule tout le temps. Elle atteint son frère Oreste qui finira par revenir et tous les deux se vengeront des infâmes assassins de leur père (commettant au passage un matricide).



Sophocle focalise sur l'événement que constitue le retour d'Oreste. Il développe la pièce autour de ça et évacue assez rapidement à la fin le meurtre de Clytemnestre et d'Egide – dans cet ordre contrairement à ce qu'ont écrit Eschyle et Euripide. L'auteur donne tout le temps à Electre pour conter son désespoir de vivre aux côtés des assassins de son père, sa profonde envie de vengeance. Il la confronte au choeur, à sa soeur Chrysothémis (jamais apparue dans les autres versions de la légende) qui est plus « raisonnable », plus prête à accepter la situation. le duo Electre/Chrysothémis ressemble au duo Antigone/Ismène : l'implacable volonté d'un individu fort face à la raison prête à céder devant l'autorité du moment.

Et bien sûr l'échange venimeux avec Clytemnestre est présent, toujours tourné sur la justification des envies de vengeance de l'une et de l'autre. Il est clair que Clytemnestre maltraite sa fille. Mais je me suis demandé si c'est pour elle une tactique destinée à la faire craquer, à la ramener dans son giron. Cela fait je crois qu'elle lui aurait à nouveau accordé son amour.



Sophocle développe le retour d'Oreste qui a monté un plan pour paraître incognito. Son ancien précepteur vient prévenir l'assemblée de Mycènes de la… mort d'Oreste. Et il se lance dans un long exposé épique et mythomane décrivant cette mort lors d'une course de chars. Cette partie est tout à fait inattendue et surprenante. Elle offre un contraste fort avec le sujet principal et l'occasion de satisfaire l'esprit patriotique de son public athénien car c'est un athénien qui gagne la course du récit.

Oreste est là, à côté, portant l'urne contenant les « cendres » de lui-même. Et il va prendre un temps fou à torturer sa soeur Electre. Celle-ci est évidemment effondrée depuis l'annonce de la mort de son frère. Et lui traîne les pieds avant de lui avouer qui il est. Sophocle prétend dans un vers que c'est parce qu'il n'a pas confiance dans les gens que représente le choeur, mais ça ne tient pas la route vu la vitesse à laquelle est évacué l'argument.



Comme je l'ai dit, les meurtres sont rapidement réalisés, libérant d'un coup la tension de l'attente du public. On ne verra pas Oreste poursuivi par les Erinyes comme dans les deux autres versions antiques. Justice est faite et bien faite à la fin.

Seul mystère : comment Chrysothémis a pris le meurtre de sa mère par son frère qui a dû avoir lieu sous ses yeux ? Personne n'en sait rien.

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Philoctète

De quoi cause-t-on ici ?



Eh bien d’une péripétie tardive et capitale de la guerre de Troie. Ça fait dix ans que celle-ci traîne et on n’en voit toujours pas le bout. Mais un troyen capturé, Hélénos, quelque peu devin, affirme aux Grecs que seuls le retour de Philoctète et de son arc infaillible dans leurs rangs assurera la chute de Troie.

Le problème, c’est que les Grecs ont abandonné Philoctète sur une île déserte il y a dix ans (aussi) car, atteint d’un mal imposé par une déesse, mal purulent et nauséabond et hurlant sans cesse, il abîmait le moral des guerriers. Il ne va donc probablement pas accepter de revenir avec un sourire sur le visage.



C’est donc Ulysse qui accepte de s’y coller. Il débarque sur l’île en compagnie de Néoptolème (fils d’Achille, également indispensable à la chute de Troie selon Hélénos) et monte un stratagème dont il a le secret : Néoptolème va se présenter à Philoctète en criant son propre dépit envers les Grecs qui ont osé remettre les armes de son père à l’infâme Ulysse. Il va gagner sa confiance, accepter de le prendre à son bord avec l’arc et de le ramener chez lui… alors qu’en réalité il le ramènera à Troie.

Le stratagème fonctionne mais Néoptolème est vite pris de remords. Philoctète fait pitié et la ruse est véritablement indigne d’un guerrier et du sens moral. Juste avant d’embarquer, le fils d’Achille déballe tout à Philoctète qui entre dans une grande fureur et refuse tout net d’embarquer pour aider ses bourreaux.



Cette pièce n’est pas marquée par l’action. Elle l’est en revanche par la manipulation et le remord qu’elle génère chez Néoptolème d’abord, puis par les tentatives de conviction sincère que ce dernier déploie envers un Philoctète déchiré entre sa haine envers les Grecs et sa peur de devoir rester seul sur l’île jusqu’à la mort. Philoctète est un personnage très intéressant, mélange de Robinson Crusoé et d’Edmond Dantès qui a vécu dix années d’un enfer douloureux et solitaire. Il passe sans cesse de la colère à la frayeur comme une balle de ping-pong ballotée entre deux raquettes. L’évolution de Néoptolème de l’acceptation de son devoir sacré envers les Grecs vers la compassion envers Philoctète et l’abjection de son propre comportement est très bien retranscrite. Et on a à nouveau un portrait d’Ulysse qui est plutôt à charge : fourbe, lâche, adepte de l’adage « la fin justifie les moyens ». Plus je lis de l’antique, plus Ulysse perd des points dans mon top 50 des héros.



La fin est un peu décevante car l’impasse n’est pas dénouée par les hommes présents. Il faut l’intervention d’un dieu (en l’occurrence Héraclès qui a intégré l’Olympe et a jadis confié son arc à Philoctète) qui siffle la fin de la récré et indique la bonne direction à tout le monde : A Troie on vous dit ! ni une ni deux Philoctète obéit et accompagne Néoptolème. Fin bâclée quoi !

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