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Critiques de Amos Oz (395)
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Judas

"Staline l'avait appelé Judas ",

Jérusalem 1959, ( 11 ans après la création de l'Etat d'Israel et 8 ans avant la guerre des Six Jours), Shmuel, étudiant, en Histoire et Religions, rencontre dans son rêve Staline dans l'arrière-salle basse de plafond et enfumée du café où se réunissait le Cercle du renouveau socialiste,dont il est un des membres."Il avait été incapable d’expliquer à Staline, souriant sous sa moustache, la raison pour laquelle les Juifs avaient rejeté Jésus, et pourquoi ils campaient toujours sur leurs positions"........

Largué par sa copine, privé de l'allocation mensuelle de ses parents en banqueroute, il abandonne ses études....dérouté, il se rend à une annonce,offrant une position d'Homme de compagnie, nourri, logé,pour un invalide de 70 ans trés cultivé. Il y fera la rencontre de Gershom Wald, l'invalide et de sa colocatrice Atalia Abravanel, une belle femme ayant le double de son âge....et fille d'un des chefs du Yichouv (l'ensemble des juifs de Palestine avant la création de l'Etat d'Israel),un des premiers opposants à la création de l'Etat d'Israel, préconisant la création d'une seule communauté judeo-arabe, un "Judas", selon Ben Gourion.

On va suivre ainsi l'histoire de cet étrange trio en parallèle à celle de deux défunts, Shealtiel Abravanel et Judas Iscariote, deux "traîtres" de l'Histoire.



Trahison et loyauté sont les thèmes au cœur de ce livre.

Une histoire qui va de paire avec l'histoire d'Israël et les idées politiques d'Amos Oz.

Oz , de la bouche de Shmuel, qui travaille oblige, discute beaucoup avec le vieil homme,son employeur, énonce des phrases très fortes, "Mais dites-moi, vous, s’il existe un seul peuple au monde qui accepterait à bras ouverts l’invasion brutale de centaines de milliers d’étrangers, puis d’autres millions encore débarquant de lointains pays sous le curieux prétexte que les livres sacrés qu’ils ont transportés avec eux leur promettaient ce pays tout entier pour eux seuls ?"......

L'auteur, homme de gauche soutient depuis les années 70 la cause palestinienne et fermement l'idée que la paix n'est possible qu'à la condition qu'Israel quitte les territoires occupés depuis 67 et qu'un nouvel état palestinien soit créé en Cisjordanie. Une position qui lui a valu le titre de traitre, "Judas".

Revenant à l'histoire, Judas était-il vraiment un traitre ? Ou au contraire le plus fidèle et le plus dévoué de ses disciples à Jésus? Dans ce roman, essayant de réhabiliter la vraie nature de cette figure biblique, par le biais de Shmuel, Oz semble vouloir se justifier lui-même.Lui, le soit-disant "Judas", est en faites lui, un des plus vrais et plus sincères citoyens luttant pour la cause de son peuple, et non contre.

Je trouve formidable l'histoire qu'il a imaginé pour formuler et répéter ses idées pacifistes à sa propre nation, de plus en plus fanatique et s'enfonçant irrémédiablement sur un chemin de non retour.

Je ne voudrais pas terminer sans citer une de ses phrases prononcée lors d'un interview à l'occasion de la sortie de ce livre: "Le jour où les gens dans ce pays commenceront à appeler Netanyahu, "un traître", je saurais que quelque chose pourrait changer".(The day people in this country start calling Netanyahu a traitor I will know that something may change")



Un excellent roman qui se termine sur une image magnifique !

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Judas

« Je vous le dis, cher ami, deux hommes qui aiment une même femme, deux peuples réclamant la même terre auront beau boire ensemble des fleuves de café, ceux-ci n’éteindront pas leur haine, et les eaux ne la laveront pas. »



De ce constat tragique qui irrigue de façon récurrente, lancinante, la pensée et la littérature israéliennes naissent une myriade de questions douloureuses à peine dicibles, un véritable vertige existentiel, et c’est sans doute pourquoi les grands romans israéliens sont si authentiquement bouleversants. Tout tourne autour de la même question, au fond : Les Juifs ont-ils eu raison et avaient-ils le droit de créer leur Etat en terre d’Israël?

Si les personnages du dernier roman d’Amos Oz, dont l’action se déroule en 1959, incarnent chacun à leur manière une réponse à cette question, l’auteur accorde une large place à celui qui, au moment du combat pour la création d’un État juif en 1948, a incarné la voix du non. En imaginant le personnage de Shealtiel Abravanel, grand ami des Arabes et membre influent du Comité exécutif sioniste, Amos Oz pousse très loin le questionnement existentiel :

« Pourquoi êtes-vous si pressés d’établir ici dans la violence et le sang un nouvel État lilliputien au prix d’une guerre sans fin, alors que tous les pays du monde seront amenés à disparaître un jour ou l’autre pour être remplacés par une mosaïque de communautés parlant des langues différentes, vivant côte à côte ou imbriquées l’une dans l’autre? »

Ainsi, le combat pour un État juif relèverait tout à la fois d’une illusion archaïque (celle de ne pas voir que les États souverains constituent un anachronisme) et d’une erreur tragique (la guerre n’aura jamais de fin).

Et pourtant, un peuple qui, au cours de sa longue histoire, a connu l’exil, les persécutions, les pogroms, l’Inquisition, les massacres, les discriminations, et pour finir, la Shoah, n’était-il pas fondé, plus qu’aucun autre sur la terre, à avoir son État?

Débat sans fin hautement inflammable, à l’instar du conflit qui oppose Israël à ses voisins.

Shealtiel Abravanel, dont nous ne connaissons la pensée et l’engagement qu’au travers des deux personnes qui lui ont été proches et lui on survécu, Atalia, sa fille unique et Gershom Wald, le beau-père de celle-ci, a payé cher son engagement. Ayant vécu le reste de sa vie dans la solitude, le silence et l’opprobre, il est à jamais marqué du sceau de l’infamie : traître à son peuple.

Pourtant, s’interroge Amos Oz, l’Histoire n’a-t-elle pas produit bien souvent des « individus courageux, en avance sur leur temps, qui étaient passés pour des traîtres et des hurluberlus »? Le grand Theodore Herzl lui-même ne fut-il pas accusé de traîtrise pour avoir un temps envisagé la création d’un État juif hors de la terre d’Israël? Et si celui qu’on accusait de traîtrise n’était pas, à l’inverse, l’être le plus dévoué, le plus fidèle à la cause qu’on lui reproche de trahir? Un utopiste? Un doux illuminé?

C’est ce que semble suggérer la passionnante réflexion que mène Amos Oz, au travers de son personnage principal Schmuel Asch, autour de la figure de Judas Iscariote, l’homme qui, aux yeux des Chrétiens du monde entier, incarne la traîtrise. Non, Judas n’était pas cet homme vil qui, pour quelques deniers, vendit Celui qu’il suivait partout comme son ombre. S’il fut bien « l’auteur, l’imprésario, le metteur en scène et le producteur du spectacle de la crucifixion », ce n’est pas pour les raisons généralement invoquées. Il croyait profondément en la nature divine de Jésus. Probablement était-il le seul à y croire, suggère Schmuel, et tandis que le fidèle disciple attendait fébrilement au pied de la croix de voir s’accomplir le miracle, d’assister au moment où le Nazaréen arracherait ses clous et lancerait au peuple frappé de stupeur, prosterné à terre : « Aimez-vous les uns les autres», Jésus, lui, se vidait de son sang comme le commun des mortels.

« Quant à Judas, le sens de sa vie, sa raison d’être, volait en éclats sous ses yeux horrifiés. Comprenant qu’il avait provoqué de ses propres mains la perte de l’être qu’il aimait et admirait, il s’éloigna et alla se pendre. « Ainsi est mort le premier Chrétien, conclut Shmuel dans son bloc-notes. Le dernier. L’unique. »

L’ironie tragique de l’Histoire veut que ce soit le seul Chrétien qui ne survécut pas à la mort de Jésus qui fut précisément considéré comme l’archétype même du Juif, le plus haïssable, le plus méprisable de tous.

« Tant qu’on transmettra à tous les bébés chrétiens, au biberon, que des créatures déicides ou leurs descendants existent encore sur terre, nous ne connaîtrons pas le repos. »



Mais si Judas n’était qu’un roman à thèse, cela ne suffirait pas à en faire un grand livre, du moins à mes yeux. Les personnages liés les uns aux autres par des relations mystérieuses, souterraines, imbriquées dans l’Histoire, sont puissamment incarnés et incroyablement attachants. À commencer par Schmuel Ash, jeune homme émotif et désemparé, sourire de biche effarouchée dans un corps d’homme des cavernes, cherchant désespérément un sens à sa vie et un logis où venir consoler son âme esseulée. Ce logis, il croit le trouver dans l’ancienne demeure de Shealtiel Abravanel, habitée par deux « geôliers » aussi troublants que fascinants : un vieil invalide au corps atrophié, tordu comme le tronc d’un vieil olivier, à l’esprit alerte et à la langue bien pendue, et la belle et froide Atalia, dont le mystère et la féminité envoûtent Schmuel au premier regard. Ces deux êtres en partie retirés du monde semblent couver une douleur dont Schmuel découvrira peu à peu l’origine, conférant à ce magnifique roman une dimension humaine bouleversante.



« Les yeux ne se dessilleront jamais, décréta Gershom Wald. Tout le monde ou presque traverse l’existence, de la naissance à la mort, les yeux fermés. Vous et moi, mon cher Shmuel, ne faisons pas exception. Les yeux fermés. Si on les ouvrait une fraction de seconde, on pousserait des hurlements effroyables sans jamais s’arrêter. »



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Une histoire d'amour et de ténèbres

J’avais entendu parler d’Amos Oz comme un des leaders du mouvement « La paix maintenant ». C’est cette réputation qui m’a donné envie de découvrir cet auteur majeur de la littérature israélienne contemporaine.

Une histoire d’amour et de ténèbres… Le titre est bien choisi, autant au niveau intime que politique.



L’amour et les ténèbres ont marqué la relation qu’Amos Oz entretenait avec sa mère Fania, qui s’est suicidée quand il n’avait que douze ans, ainsi que la relation de l’écrivain avec cet autre que représente le peuple arabe : les Palestiniens. Sa tentative lorsqu’il était enfant de se lier d’amitié avec Aïcha et son frère Awad se termine en catastrophe et symbolise de façon troublante l’amitié impossible entre deux peuples qui ne parviennent pas à se comprendre et s’entendre. En toile de fond se trouve toujours l’horreur de la Shoah, des persécutions, des pogroms, drames absolus des Juifs, qui fait dire à Ephraïm Avnieri, un des fondateurs du kibboutz où le jeune Amos s’est réfugié après la mort de sa mère, pour tenter d’avancer : « Personne au monde ne veut de moi, nulle part. La question est là […] C’est l’unique raison pour laquelle je porte une arme, pour qu’ils ne me chassent pas d’ici aussi. Mais je ne traiterai jamais d’ « assassins » les Arabes qui ont perdu leurs villages. »



Une atmosphère mélancolique plane sur ce livre, atmosphère que l’on retrouve parfois aussi chez Modiano (Rue des Boutiques Obscures) ou Zweig (La Pitié dangereuse) et qui est loin de me déplaire. Loin de la mode de la « feel good littérature », elle est propice à une réflexion qui n’est jamais caricaturale ou manichéenne et amène le lecteur vers une meilleure compréhension du monde et une plus grande lucidité.

Grâce à ce livre, j’ai effectué une immersion radicale dans une culture que je ne connaissais pas : celle des érudits juifs ashkénazes qui discutent de philosophie et de politique, étudient le talmud, la mishna et la gemara dans des yeshivas. Tout ce vocabulaire spécifique rend un peu la lecture difficile au départ mais c’est aussi la découverte d’un univers intellectuel très riche. La famille Klausner, le vrai nom d’Amos Oz, connaissait un prix Nobel de littérature : S.J. Agnon dont l’œuvre a marqué l’écrivain, en particulier À la fleur de l’âge qui lui rappelle Fania, sa mère.

J’ai aimé les réflexions d’Amos Oz sur l’écriture et la dette qu’il affirme avoir à l’égard de Sherwood Anderson, grand écrivain qu’il m’a fait découvrir et qui mériterait sans doute d’être davantage connu. Celui-ci lui a appris que la vie des gens ordinaires valait aussi la peine d’être racontée et il l’a mis en pratique en racontant les rêves, les espoirs et les souffrances des habitants du kibboutz.

L’imagination de l’auteur est foisonnante. Ce roman, en partie autobiographique, brasse plusieurs thèmes très intéressants voire passionnants : de la construction de l’État d’Israël aux débats sur le sionisme, le conflit israélo-palestinien, la responsabilité des Britanniques dans l’échec du plan de partage de la Palestine à l’ONU en 1947, qui a provoqué une guerre interminable et de nombreuses victimes et même un diplomate assassiné, le comte suédois Bernadotte. Le thème le plus émouvant du livre est la quête sans fin d’Amos Oz pour comprendre sa mère et son geste irrévocable. Il lui consacrera un livre Mon Michael, sur une femme qui n’arrive pas à être heureuse. Pourquoi ? À cause des déceptions de la vie conjugale, des rêves impossibles à réaliser ou du souvenir des amis morts en Ukraine au cours de la Shoah par balles ? C’est pourtant grâce à Fania qu’Amos Oz est devenu écrivain puisqu’elle jouait avec lui à inventer des histoires et qu’il a continué seul de le faire après sa mort, cruelle pour un enfant. C’est elle qui lui inspire certains des plus beaux passages du livre. Elle donne à ce dernier une dimension tragique et poétique, bouleversante pour le lecteur qui ne peut s’empêcher de partager la souffrance de l’auteur, surgie du souvenir de cette femme énigmatique et tourmentée. Son suicide demeurera à jamais un mystère insoluble.

Une histoire d’amour et de ténèbres est une grande œuvre de la littérature israélienne qui illustre à merveille les vers de Baudelaire dans Les Fleurs du mal : « Tu m’as donné ta boue » ou ta souffrance « et j’en ai fait de l’or ».

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Judas

1959 - Shmuel Ash, jeune socialiste idéaliste mal dégrossi, abandonne sa thèse sur « Jésus dans la tradition juive » par manque de ressources financières et par dépit amoureux. Trop difficile à gérer. Cependant il ne perd pas le nord et une petite annonce originale demandant un « homme de compagnie » le fait se retrouver dans une maison isolée de Jérusalem. Il y fait la connaissance d'un vieil érudit, pessimiste et critique, Gershom Wald, dont il aura à s'occuper quelques heures par jour, ainsi que d'Atalia Abravanel, une femme taiseuse et quelque peu revêche.



Le sujet du roman est la trahison :

Celle de Judas qui trahit Jésus pour trente deniers,

Celle de l'ami de Gershom Wald, père d'Atalia, défenseur acharné de la paix, opposé au nationalisme tout aussi acharné de Ben Gourion, et qui, aux yeux de Wald, a trahi le sionisme pour lequel ils avaient tant lutté,

Celle du mari d'Atalia, fils de Gershom Wald, qui se fit tuer dans les tout derniers jours de la guerre d'indépendance d'Israël. Elle cultive une rancoeur profonde envers les hommes, toujours prompts à verser le sang.



L'ambiance de ce huis-clos évolue au fil des semaines. Les soliloques de Gershom Wald deviennent des échanges passionnés avec Shmuel sur l'idéal sioniste, la question arabe et les religions. Atalia lui confie ses déboires conjugaux et sa difficulté de faire le deuil de son père et de son mari.



Le profond intérêt de ce livre, à mon sens, est la thèse que soulève Shmuel/Amos Oz sur la personnalité de Judas qui, pourquoi pas, pourrait faire évoluer les mentalités entre chrétiens et Juifs.



Au commencement, il arriva aux oreilles des grands prêtres de Jérusalem qu'un « hurluberlu » réalisait des prodiges et entraînait les foules en Galilée. Ils convoquèrent Judas l'Iscariote, homme aisé, et lui confièrent la mission d'infiltrer le groupe de ce Jésus, faux prophète ou escroc, susceptible de déranger l'ordre public. Judas s'acquitta tellement bien de sa tâche qu'il se fit l'ami des apôtres et le confident de Jésus. II eut une telle admiration pour les paroles d'amour et de sagesse contenues dans ses paraboles qu'il devint son serviteur le plus zélé et souhaita que les grands prêtres réfutent leurs soupçons. Jésus répondait inlassablement : « L'an prochain à Jérusalem. L'année prochaine peut-être ».



Lorsque vint ce moment ainsi que la condamnation à mort de Jésus, Judas espéra qu'il accomplît un énième miracle et qu'il descendît de la croix « incitant le monde entier à reconnaître sa divinité ». Hélas ! « le sens de sa vie, sa raison d'être, volait en éclats sous ses yeux horrifiés. Comprenant qu'il avait provoqué de ses propres mains la perte de l'être qu'il aimait et admirait, il s'éloigna et alla se pendre. Ainsi est mort le premier Chrétien, conclut Shmuel dans son bloc-notes. le dernier. L'unique » (p. 179).



N'étant pas spécialiste en théologie et encore moins en questions inexpliquées qui, comme le dit Shmuel Ash dans sa thèse, le resteront à jamais, je trouve remarquable la vision que donne l'auteur de ce qu'aurait pu être Judas, de ce qu'est un traître et pourquoi il l'est. La patiente étude des textes religieux, les profondes questions qu'ils suscitent, les incohérences répétées, ont amené Amos Oz à donner une autre version de la diabolisation de Judas. Loin d'être sacrilège pour les Chrétiens, elle pourrait être, au contraire, une ouverture dans ce qui a séparé christianisme et judaïsme.



L'évolution des trois personnages du livre, le changement des attitudes qui s'opère durant cet hiver 1959-60 grâce à une meilleure écoute de l'autre, à une approche différente entre les événements vécus par les uns et les autres, sont emblématiques de ce que pourrait être le « compromis » que préconise Amos Oz.



Lecture extrêmement enrichissante. Livre relu à peine terminé. Dans mon Top 3 de 2016.



Shalom Alekhem.

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Connaître une femme



Cette œuvre d’Amos Oz au titre intriguant de 1989 est avant tout un chef-d'oeuvre littéraire d’introspection.



Le protagoniste principal, Joël Raviv, 47 ans et agent haut placé du service de renseignements de son pays (le Mossad ?) décide, à la mort de son épouse, Ivria Lublin, de prendre une pré-retraite et de s’occuper de leur fille Netta, une adolescente fragile de 16 ans et demi.



Ivria a été son grand et seul véritable amour, mais leur longue relation a connu des périodes troubles et délicates. Quoi de plus naturel qu’au moment de sa disparition brutale, il passe en revue toute une série de moments passés ensemble. Seulement, chez Joël ce récapitulatif prend rapidement l’allure d’une réflexion profonde sur le sens des choses et surtout le sens de la vie.



Une entreprise qui risque d’ennuyer relativement vite le lecteur, à cause du manque évident d’action et de considérations fatalement répétitives, à moins que de disposer de qualités littéraires et humaines d’un grand écrivain, comme justement Amos Oz.



Amos Klausner, de son nom de baptême, n’a pas choisi au hasard son pseudo Oz, qui signifie "force" en Hébreu.



Il en faut, je présume, pour avoir le courage de se lancer dans une introspection tellement sincère et honnête.

Probablement que le traumatisme qu’il a souffert quand sa mère dépressive s’est suicidée lorsqu’il n’avait que 12 ans, explique en partie cette capacité, comme dans son impressionnant roman "Une histoire d’amour et de ténèbres", son roman autobiographique de 2003, d’ailleurs.



Il faut aussi se rendre compte que l’existence de Joël, sans sa douce moitié et sans un boulot contraignant, n’est guère facile, d’autant plus qu’il partage son habitation avec sa belle-mère Avigaïl, sa propre mère Lisa et sa fille Netta, qui fait des crises d’épilepsie.



Et bien que sa mère et belle-mère sont des amies et toutes les 2 actives dans l’Association pour les enfants autistes et dans le "Comité d’accueil des nouveaux immigrants", il y a entre elles parfois des disputes que Joël essaie de calmer en proposant de faire appel à une compagnie de C.R.S. ou à l’O.N.U. Ce qui laisse supposer qu’il n’a pas (encore) perdu complètement son sens d’humour.



Pour s’occuper l’esprit, Joël se livre à toute une série d’activités domestiques et du jardinage. Ainsi, il fait la connaissance de ses voisins, un vieil homme d’origine roumaine et les Vermont frère et sœur, des Américains qui ont fui leur pays après un divorce. Avec Ann-Mary Vermont il a même une affaire sans lendemain.



Je vous laisse découvrir comment Joël Raviv réussit à récupérer finalement son ancien entrain et goût à la vie.



Si ce roman n’arrive peut-être pas tout à fait au niveau de son best-seller précité, "Une histoire d’amour et de ténèbres", fait est qu’il s’en rapproche, du point de vue richesse littéraire, indéniablement.

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Une panthère dans la cave

Amos Oz possède un esprit alerte et frais toujours brillant dans son approche engagée de sujets vraiment délicats.



Si vous connaissez cet auteur vous retrouverez dans ce petit récit ce qui fait le sel de sa pensée.

L'humour bravache sert des propos plus profonds.



Dans ce conte initiatique plein de rêverie et de poésie, l'auteur revient encore et toujours sur le destin et la lutte du peuple israélien.

Il soulève délicatement les voiles de la mémoire et les stigmates de la guerre et aborde la dissension entre les deux peuples qui partagent ce lopin de terre.



Avec digression il fait se côtoyer les « ennemis » et nous promène au long des fissures.

L'amour des livres est souvent évoqué dans ses oeuvres, pour le plus grand bonheur des amoureux de la littérature.



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Judas

Amos Oz, fervent partisan d'un double État pour résoudre le conflit israélo- palestinien- dont j'avais lu avec passion en 2004, le récit de l'existence tumultueuse de sa famille et de ses aïeux - dans : "Une Histoire D'amour et de Ténébres "nous revient avec cet ouvrage qui se déroule , à la fin des années 50, à Jérusalem , coupée en deux, dont on arpente les rues, dès que l'on sort du huit- clos..





Car il s'agit bien d'un huit- clos qui rassemble trois personnages et mêle le destin individuel d'un jeune étudiant de 25 ans, Shmuel Asch, celui de Gershom Wald, un grand vieillard érudit et Atalia Abravanel , une femme belle et résistante, mystérieuse , deux fois plus âgée que Shmuel.





Shmuel, idéaliste et hypersensible , corpulent, barbu, timide, émotif, socialiste ( il est membre du renouveau socialiste ), asthmatique, cyclothymique , aux épaules massives s'enflammait pour de nouvelles idées, s'épuisait très vite, avait la larme facile, ce qui le plongeait dans la honte........



Plaqué par sa petite amie et sans le sou, il abandonne ses études et son mémoire de maîtrise " Jésus dans la tradition juive " ..

Il se met au service de Gershom Wald, ce grand vieillard de 70 ans, laid, physiquement diminué, mais incroyable brasseur d'idées, théoricien inlassable, érudit ; sceptique et ô combien caustique!



Atalia Abravanel, sa bru compléte le trio dans la maison de Gershom.

Sa beauté mystérieuse enflamme et envoûte Schmuel.

Au gré des pages et de l'évolution de l'intrigue, l'auteur convoque nombre de fantômes , celui de Micha, son brillant mathématicien de fils, disparu dans la nuit du 2 avril 1948- marié une année à Atalia..



Et surtout- surtout ---, celui de Judas-Iscariote- l'apôtre , qui, par un baiser, livra Jésus à ses bourreaux - l'incarnation même du traitre - selon la tradition chrétienne .

Car le thème de la Trahison est le thème central de l'intrigue:

Chacun de nous n'est- il pas le traitre d'un autre ??

Qu'est- ce qu'un traitre?

Qu'est-ce qui fait qu'un traitre est considéré comme traitre ?

L'auteur ne craint pas de puiser ses sources à la théologie, au questionnement sur les textes religieux et les rapports entre christianisme et judaïsme afin de tisser l'apprentissage intellectuel, sentimental et politique du jeune Shmuel.

Il lui apporte des éléments théoriques et philosophiques passionnants .

Au cours de ces conversations enflammées, la création d'Israël, le sionisme, la question Arabe sont au cœur du dialogue .

Un roman puissant, audacieux, une fiction poignante portée par les émotions et les pensées de Shmuel, Atalia et Wald, habitée par le passé de chacun...... Hantée par leurs fidélités, leurs erreurs et leurs reniements.

Un ample roman d'idées, empreint de nostalgie, de désillusion cruelle, pétri d'êtres de sang, de chair, de désirs et d"incertitudes, de chagrins , de tourments, des personnes cernées par le deuil; la perte et les spectres - auxquels- d'une maniére ultime -l'auteur invite Judas à se joindre.......









Une mise en scène juste et subtile des questions essentielles qui animent l'auteur depuis toujours .

Un trio hanté par le passé et une réflexion vibrante et puissante sur la Trahison dans la Jérusalem de 1959......
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Jusqu’à la mort

La croisade des enfants, de Schwob, m'a remis en memoire cet ancien livre d'Amos Oz. Il contient deux longues nouvelles. La deuxieme est sans grand interet a mon avis, pas du meilleur de cet auteur en tous cas. Mais la premiere…! Elle continue de remuer dans ma tete, de bonnes annees après ma premiere lecture.



Une relativement petite compagnie de croises part de France au printemps 1096, menee par un modeste noble, Guillaume de Touron. Leur avancee est empreinte de cruaute, se fournissant vivres (et femmes) dans les villages qu'ils traversent par la voie des armes. Ils reservent une ferocite particuliere aux juifs qu'ils rencontrent. Les deboires de leur route les amenent a se croire infiltres par des juifs, ou par des esprits judaisants, et ils s'entredechirent. Ils s'amoindrissent. Ils sont peu a peu gagnes par un etat de barbarie, par une sorte de degenerescence morale et physique. Ils n'atteindront aucun but, et finiront dans un rude hiver montagneux, luttant sans espoir contre le froid, la faim et la folie.



C'est une croisade de mort. Ce qui commence comme un chemin de redemption finit en cauchemar. Partis instaurer ailleurs un royaume divin, ces croises (ici c'est plutot cette bande amorphe d'aventuriers et d'illumines) se satanisent en fait eux-memes au cours de leur marche.

Je crois que le theme de cette nouvelle est exceptionnel dans l'oeuvre d'Amos Oz (Ce que j'en ai lu). En general il decrit la societe israelienne qu'il connait, et la on dirait qu'il s'attaque a d'antiques, a d'ataviques reminiscences juives: les souffrances engendrees en Europe par le passage des groupes croises. Mais Oz va plus loin: le convoi qu'il decrit ne seme pas terreur et souffrance seulement autout de lui, mais aussi en son sein. La haine est autodestructrice.



En fait la deuxieme nouvelle, Amour tardif, traite aussi de haine non inhibee, immoderee: celle que porte un conferencier syndicaliste vieillissant aux bolcheviques et a la Russie. Sans raison veritable, cette haine est, dans ce cas-ci aussi, autodestructrice.



Dueux longues nouvelles. Une qui m'a impressionne, la deuxieme beaucoup moins. Je deuvrais donner une note moyenne: trois etoiles. La nouvelle eponyme fait grimper cette note a quatre (mes notations tiennent plus de l'humeur du jour que des sciences exactes!).
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Judas

J'ai vécu une véritable incursion dans un pan de l'Histoire que je connais très peu : Jérusalem à l'aube des années 60.



La trame du récit et les personnages ne sont que des simples instruments et messagers d'un propos plus grand qu'Amos Oz souhaite développer.

La présence constante d'éléments naturels tels la pluie, le vent et le froid, les innombrables tasses de thé constituent une ambiance feutrée, propice aux discussions, aux débats.

Amos Oz aime jouer avec les répétitions dans les descriptions des personnages et des lieux, de sorte que nous avons le sentiment de déjà vu, d'être des habituées des lieux et de bien les connaître.



L'auteur étoffe son récit par le rappel de faits historiques, des citations et des principes de théologie et traits d'esprit d'une grande intelligence.

Le conflit israélo-palestinien est le pilier du débat, sur lequel l'auteur aime débattre sur toutes les coutures. Il a une vision pessimiste et pragmatique quant à l'espoir de paix ou d'un arrangement de la reconnaissance territoriale au niveau politique.

Ecrivain israélien de gauche, militant pour la création d'un État palestinien et pour le rapprochement culturel des deux peuples ennemis, il pourrait aussi être vu comme le Judas de son clan.



Il s'attaque à des sujets extrêmement importants pour la religion judéo-chrétienne et notamment sur la dimension divine de Jesus qui n'est pas reconnue par les juifs.

Amos Oz a sa théorie à propos de Judas, le disciple de Jesus et devenu symbole de la trahison.

Il pense que sans Judas, Jesus n'aurait jamais été élevé au rang de divinité et le christianisme n'aurait pas vu le jour. Judas a certainement été le seul à vraiment croire au pouvoir divin de Jesus.



Trahison et loyauté : deux thèmes intimement liés et indissociables



A l'heure où j'écris ces lignes j'apprends qu'il y a eu un nouvel accès de fièvre dans le conflit israélo-palestinien.



Je retiendrai la joie d'avoir découvert une voix rare et précieuse.









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Chanter et autres nouvelles

J'ai découvert Amos Oz avec Judas, qui m'a subjuguée.

Dans ce recueil de nouvelles l'auteur joue avec les répétitions dans les descriptions des personnages et des lieux, de sorte que nous avons le sentiment de déjà-vu.



La fine analyse des sentiments tels l'attente, la solitude, le désespoir et les questionnements sont traités avec humanité, le message d'espoir est présent malgré une certaine mélancolie.



Glissant du passé au présent, évoquant l'usure du temps Amos Oz saisit les petits gestes quotidiens pour dire le chaos des âmes.





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Une histoire d'amour et de ténèbres

Encore une relecture.



Les debuts m'ont un peu agace. J'ai senti qu'Oz se laissait aller vers trop de narcissisme, meme pour une autobiographie. Et je n'ai pas aime sa facon d'houspiller le mauvais lecteur qui "veut tout savoir, immediatement", et les mauvais journalistes: "Professeur Nabokov, avait questionne un jour une journaliste, en direct, a la television, are you really so hooked on little girls? A moi aussi, des journalistes enthousiastes me demandent, au nom du droit de savoir du public, si ma femme m'a servi de modele pour le personnage de Hannah dans Mon Michael [...] Pourquoi ces journalistes essouffles en ont-ils apres Nabokov et moi?"





Heureusement, au fil des pages, le narcissisme s'estompe jusqu'a disparaitre, et Oz enjambe les frontieres de l'autobiographie pour ecrire une biographie de ses parents, de ses grands-parents, et a travers ses ancetres une histoire des juifs en Europe de l'Est, une histoire de l'implantation juive en Palestine, du conflit qui s'ensuit avec les palestiniens, mettant l'accent sur Jerusalem. Une fresque monumentale, non lineaire, et pas simpliste ni simplificatrice, mais qui au contraire met en relief les debats d'idees sur l'essence de la societe israelienne et les diverses positions face au conflit. Ce qui en fait pour moi non seulement une des plus grandes oeuvres de la litterature israelienne, mais aussi une des grandes oeuvres de la litterature juive de tous les temps. J'exagere? Presque pas.





Oz est connu pour ses prises de position envers une paix juste, equitable envers les palestiniens comme envers les israeliens. Cela transparait dans son livre, dans beaucoup de pages differentes, et surtout une, ou il met dans la bouche d'un kibboutznik ce qui peut etre considere comme son credo: "Une nuit d'hiver je m'etais retrouve de garde en compagnie d'Ephraim Avneri. [...] Je demandai a Ephraim si, pendant la guerre d'independance ou les emeutes des annees trente, il lui etait arrive de tirer et tuer un de ces assassins. [..] --Des assassins? Mais qu'aurais-tu voulu qu'ils fassent? de leur point de vue, nous sommes des extraterrestres qui avons envahi leur pays et le grignotons petit a petit. [...] Qu'est-ce que tu croyais? Qu'ils allaient nous remercier? Qu'ils nous accueilleraient en fanfare? Qu'ils nous remettraient respectueusement les cles du pays sous pretexte que nos ancetres y vivaient autrefois? En quoi est-ce extraordinaire qu'ils aient pris les armes contre nous? Et maintenant que nous les avons battu et que des centaines de milliers d'entre-eux vivent dans des camps, penses-tu vraiment qu'ils vont se rejouir avec nous et nous souhaiter bonne chance? [...] En 48 il y a eu une guerre terrible, et ils se sont debrouilles pour que ce soit eux ou nous, et on a gagne et on le leur a pris. Il n'y a pas de quoi etre fier! Mais si c'etaient eux qui avaient gagne en 48 il y aurait encore moins de quoi etre fier: ils n'auraient pas laisse un seul juif vivant. C'est parce que nous leur avons pris ce que nous leur avons pris en 48 que nous avons ce que nous avons aujourd'hui. Et c'est parce que nous avons quelque chose maintenant que nous ne devons rien leur prendre de plus. Si nous leur en prenons plus un jour, maintenant que nous avons quelque chose, nous commettrons un tres grave peche. -- Et si les fedayin debarquaient maintenant? --Dans ce cas, soupira Ephraim, ey bien, il faudra nous aplatir dans la boue et tirer. Et on aura interet a tirer mieux et plus vite. Pas parce que ce sont des assassins, mais pour la simple raison que nous avons egalement le droit de vivre et d'avoir un pays a nous."





Oz est un sioniste eclaire: pour que l'Etat juif ait un avenir, il faut que les palestiniens aient aussi un etat, viable (donc pas dans les frontieres etriquees que veulent leur destiner Netanyahu et Trump), ou ils pourront se developper normalement. Malheureusement ce ne sont pas les sionistes realistes comme lui qui sont au pouvoir aujourd'hui mais des fanatiques messianiques aveugles qui marchent a rebours de l'histoire et ne pourront apporter d'apres moi que tribulations et malheurs, a tous, a tous ceux qui vivent dans ce quartier de la planete.





Mais assez parle histoire et politique. Une histoire d'amour et de tenebres est avant tout et apres tout un tres beau livre, complexe, bigarre, bouleversant (et oui, je n'ai rien dit de la maladie, du suicide de la mere de l'auteur, qui sont de grands moments de ce livre, carrement dechirants), et ecrit par un maitre conteur, un tres grand artisan en litterature. Un livre qui transcende son cadre geographique pour devenir d'interet universel. Un livre que je conseille a tous. Un must.

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Une histoire d'amour et de ténèbres

Sur 842 pages (format poche), Amos Oz retrace, non seulement sa vie et celle de sa famille, mais également l'histoire de l'Europe de l'Est et de la création de l'état d'Israël.



Un très grand livre qui nous éclaire sur l'antagonisme entre arabes et juifs (que l'auteur compare à des enfants martyres qui ne voient dans l'autre que leurs tortionnaires et incapables de comprendre ce qui pourrait les rapprocher).



Essentiel !
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Judas

Un traître…est-ce l'infâme faux-cul qui vous lâche et vous livre ou un lonesome cow boy incompris qui a quelques longueurs d'avance dans sa pensée et quelques pieds de plus dans sa hauteur de vue ? Est-ce celui qui vous plante un couteau entre les deux omoplates en vous passant gentiment la main dans le dos ou celui qui voit clair trop vite ou trop tôt quand tous les autres ont encore la tête dans le guidon et les deux pieds dans la gadoue ?



Pour expliciter les choses : Abraham Lincoln, De Gaulle, Théodore Herzl: tous des traîtres ?



C'est autour de la figure du traître que se tisse le roman lent, ironique et spéculatif d'Amos Oz.



Shmuel Asch hiberne pendant trois mois dans une vieille maison de Jérusalem pour fuir sa thèse en panne, son amour en rade et sa famille sans tendresse.



Comme un ourson hirsute et mal léché, il se pelotonne, de décembre 1959 à février 1960, au coeur de la vieille ville, frileuse, à la fois glacée et poussiéreuse sous les vents d'hiver, dans une étrange tanière : une maison habitée par un vieil homme, Gershom Wald, et sa bru, la veuve Atalia Abravanel, fille d'un « traître » juif, Shealtiel Abravanel, militant actif contre la création de l'État d'Israël, mort en proscrit.



Dans cette maison, Shmuel exerce un étrange job : faire la conversation avec le vieux Gershom, bavard et cultivé, croiser parfois sa bru, Atalia, belle, mystérieuse et sensuelle qui enflamme Shmuel de désirs refoulés, manger la tambouille d'une voisine…et surtout faire le point.



Sur lui, sur sa vie…



Sur ses relations avec les femmes : l'éducation sentimentale auquel le soumet l'impérieuse Atalia le fait mûrir à grands pas !



Sur ses relations avec la religion – sa thèse abandonnée porte… sur le personnage de Judas, dont les Chrétiens ont fait l'archétype du traître…et du Juif, justifiant ainsi des siècles d'antisémitisme, alors que dans la doxa juive- comme le rappelle au XVIème siècle Rabbi Juda Arié-, Judas serait le vrai initiateur du christianisme. Non sans provocation, Shmuel affirme qu'il est « l'auteur, l' impresario, le metteur en scène et le producteur du spectacle de la crucifixion »



Faire le point aussi sur ses relations avec l'État d'Israël, tout jeune encore -12 ans !- et déjà vivement contesté : Shmuel est socialiste, d'un nationalisme plus que tiède et serait enclin à penser, comme le "traître" Shealtiel Abravanel, que Ben Gourion a commis une erreur impardonnable en dressant les uns contre les autres Juifs et Arabes, qui avaient pourtant tant de points communs : les uns « humiliés par les puissances coloniales », les autres subissant « pendant des siècles le mépris, l'expulsion, les persécutions, l'exil, les massacres et, pour finir, un génocide sans précédent dans l'histoire de l'humanité ».



Le temps d'un hiver, toute cette petite cuisine intérieure de questions plus ou moins lancinantes mijote et fristouille, entre les trois protagonistes, également hantés par le doute, par la perte, par le désir et par la figure ambiguë du traître.



Et puis le tremblement de terre d'Agadir a d'étranges répercussions sur le sort de notre sympathique anti-héros : il jette littéralement Shmuel dehors, le propulsant brutalement sur les routes de sa vie.



Et de tous les choix qui restent à faire.



J'ai beaucoup aimé cet évangile selon Judas, sa lenteur de gastéropode, ses éternelles discussions dignes d'une yeshiva, et, paradoxalement, ses profonds silences et tous ses non-dits, ses mises en garde inutiles, ses questions sans réponse, ses réponses à côté de la question.



Je l'ai lu lentement, par petite bouchées. Les personnages sont si finement approchés, dans une narration nonchalante, qui procède par cercles concentriques, qu'ils prennent une vraie épaisseur : on s'y attache et on les aime, surtout Shmuel, avec sa démarche de chien fou, sa maladresse, sa timidité et ses cheveux en bataille…



J'ai aimé séjourner dans cette Jérusalem de 1960, partagée en deux après la guerre d'indépendance, cette Jérusalem inhabituelle, hivernale, pleine d'arcades sombres où errent les mendiants, avec ses cafés enfumés et chaleureux, hantée par le passé des deux religions antagonistes et par la présence obsédante des check points, des soldats, des barrages..déjà.



Amos Oz, écrivain israélien de gauche, militant pour la création d'un État palestinien et pour le rapprochement culturel des deux peuples ennemis, fait ici, discrètement, une sorte de plaidoyer pro domo : il est le dernier « traître » de cet étonnant évangile..



Puisse-t-il faire école et son beau livre être entendu.

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Judas

« De quoi auraient-ils pu parler ? de Jésus vu par la tradition juive ? De Jésus vu par Judas ? En quoi ce sujet pouvait-il intéresser l'humanité ? »

Moi, ça m'intéresse !

Et j'ai trouvé mon compte dans ce magnifique roman d'Amos Oz, magnifique car brassant des idées essentielles, un style lumineux et percutant, des personnages savoureux, et une vision claire sur la création de l'état d'Israël.



L'histoire, en deux mots : le jeune Shmuel, désemparé après une rupture amoureuse et ayant abandonné ses études suite à la faillite de son père, répond à une petite annonce pour un « travail » de conversation avec un vieil homme. La rencontre entre Gershom Wald aux conversations incisives ainsi qu'avec sa belle-fille au charme indéniable va le remettre sur les rails et sur le chemin de sa thèse sur Jésus dans la tradition juive et Jésus vu par Judas.



C'est l'occasion pour Amos Oz de développer le thème du traitre, à la fois dans la tradition juive mais aussi lors de la création de l'état d'Israël (1947-1948). Mêlant l'histoire contemporaine et l'histoire ancienne, Amos Oz parle de judéité, de guerre et de pacifisme, et partant, de l'être humain persécuté et persécuteur.

« Celui qui a envie de changer et qui aura le courage de le faire sera toujours considéré comme un traître par ceux qui ne sont pas capables d'évoluer »



A travers son personnage principal, sympathique, désarmant et fragile, l'auteur a d'abord piqué ma curiosité, puis m'a captivée.

Quand on demande à Shmuel « Qu'est-ce que tu veux exactement ? », il répond : « Savoir à quoi ça rime »

Moi aussi, je veux exactement savoir à quoi rime tout « ça » : les guerres à cause du nationalisme, à cause des religions, à cause du désir de pouvoir ; la torture et la souffrance ; le début de la chrétienté ;

l'impact des hommes charismatiques comme Jésus sur l'histoire du monde …

Si tout « ça » vous taraude, lancez-vous sans hésiter dans la lecture de ce roman, intense et profonde.

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Vie et mort en quatre rimes

Ce court roman raconte une nuit de la vie d'un écrivain connu et respecté qui se dédouble en narrateur. Le principal sujet en est la création littéraire, narrative, mais aussi poétique, dans la mesure où l'un des personnages est un certain Tsefania Beit-Ha'lachmi, poète dont on vient d'apprendre le décès. Est-ce que le récit de cette nuit d'été est le fruit de l'imagination et du désir créateur de l'écrivain personnage archétypal, autrement dit de la fiction, ou bien une réalité simplement relayée par l'écriture ? Il nous appartient à nous, lecteurs, de répondre à cette question selon que nous croyons l'auteur légitimement omniscient et omnipotent.

Ce fut pour moi une lecture agréable dont résonneront assez longtemps les lignes suivantes : « écrire le monde tel qu'il est, tâcher d'emprisonner une nuance, un parfum ou un son dans des mots, c'est un peu comme jouer du Schubert en présence du compositeur qui ricane dans la salle obscure. »
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Mon Michaël

Une femme ecrit. Se raconte. Raconte sa vie de couple. A Jerusalem. Elle est mariee a un homme parfait, trop parfait, gris comme ses yeux, son Michael.





Hanna est fantasque, imprevue, reveuse, peureuse et cruelle. Elle se reve en reine conquerante et toute puissante. Ville de David. Elle se reve battue, torturee, violee. Jebus. Ses plus fideles suiveurs sont ceux-la meme qui la torturent. Al-Quds. Elle se convoque des cauchemars, elle s'exalte, les cauchemars s'emparent d'elle, elle en jouit. Aelia Capitolina. Reves et cauchemars d'enfance, quand elle jouait avec Halziz, les jumeaux arabes Halil et Aziz, ses pages, ses tortionnaires. Elle est leur reine et leur otage, leur prisonniere, et ils viendront, par une nuit sombre, l'immoler et la sauver, de sa vie grise, de son Michael, de Chalem, Salem ville sorciere, Yeroushalayim au paysage de violence contenue: pierres, pins et fers rouilles.





Hanna est malade? de quoi souffre-t-elle? de troubles mentaux? Jerusalem. Quel nom donner a sa maladie? Schizophrenie? Jerusalem. Psychose maniaco-depressive? Jerusalem. Partout des murailles, des patios inaccessibles, forteresses hostiles fermees aux passants, une ville recueillie sur elle-meme. Des rues de Jerusalem on distingue des montagnes sombres qui attendent l'obscurite pour tomber sur la ville. Les villages qui l'entourent, qui l'enserrent, Nabi Samuel, Shaafat, Sheikh Jarrah, Issaouiya, Augusta Victoria, Wadi Jouz, Silouan, Tsour Bakher, Beit Tsafafa, la regardent comme une femme blessee effondree sur la route; ils serreront les poings et la ville sera aneantie. Reduite en poussiere. Comme elle le merite. Hanna appelle plusieurs fois ses fideles jumeaux, qu'ils fassent tout exploser, qu'ils incendient tout. Et le livre se finit en un ultime reve-desir-cauchemar: Halziz arrivent et detruisent tout. "Et sur les grands espaces s'abattra un calme froid."





J'exagere? Peut-etre. C'est pour moi une relecture, et deux heroines se sont imposees a moi: Hanna et sa ville. J'ai lu la folie d'une femme deambulant dans une ville instable, j'ai lu l'instabilite d'une femme dans une ville prise de folie. J'ai lu la phobie mortifere d'une femme s'esseulant de force; j'ai lu l'anxiete d'une ville assiegee depuis la nuit des temps. Hanna ne veut rien oublier. Jerusalem ne peut rien oublier. Hanna ne veut pas mourir ("J'ecris parce que les personnes que j'aimais sont mortes. J'ecris parce que quand j'etais petite j'avais une grande capacite d'aimer et maintenant cette capacite se meurt. Je ne veux pas mourir"). Jerusalem ne veut pas changer de nom une nouvelle fois. Les deux sont obnubilees par la peur. La peur s'infiltre partout et chez tous. La peur qui dans son desarroi refoule/espere une issue catastrophique.





Et autre chose: Hanna ne veut pas mourir, mais elle appelle la mort dans ses reves et on dirait meme qu'elle fait tout pour l'attirer. Comment la comprendre? C'est la question qu'Amos Oz se pose. 30 ou 35 ans avant "Une histoire d'amour et de tenebres" il essaie deja de comprendre le desarroi de sa propre mere et son suicide. Et deja il place ce desarroi dans un contexte national. Il essaie deja de comprendre et sa mere et son pays, en un meme livre.





Je me rends compte que mon billet peut effarer. Il faut le prendre avec calme, sachant qu'Amos Oz est avant tout un conteur hors pair, doue d'une ecriture envoutante, d'une tres belle langue, et s'il ne l'a pas dans sa poche c'est parce qu'il est un auteur engage, un homme honnete et courageux. Et ce livre est une aventure litteraire audacieuse, et pour ses lecteurs une aventure noble, somptueuse comme un bel horizon.









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Connaître une femme

À quoi tient le choix d'une

nouvelle lecture ?

Je venais de terminer la saga Blackwater (que j'ai lu d'une traite et adoré) et aucun autre livre de ma PAL ne me faisait envie... jusqu'à ce que "Connaître une femme" d'Amos Oz s'impose ! Quoi de mieux après une saga familiale qu'une autre histoire familiale bien bancale ?



Du moins, c'est ce que je pensais...



Parce qu'en fait, "Connaître une femme" c'est plutôt l'histoire d'un homme face au deuil de son épouse.



Le pitch est simple !

Joël, un agent des services secrets israéliens, est exfiltré d'urgence d'une mission suite à la mort accidentelle de son épouse Ivria.



On connaîtra uniquement la façon dont Ivria est morte mais jamais les circonstances exactes : suicide, meurtre, accident ? On ne le saura jamais et Joël non plus !



D'une façon générale, ce livre est plutôt l'histoire d'introspection d'un seul personnage.



Même si Joël est un espion, ça n'a rien à voir avec un livre de John Le Carré. De même, la mort relativement mystérieuse d'Ivria ne donnera jamais lieu à une enquête.



Pour tout dire, j'ai franchement aimé ce livre et je n'ai pas pu le lâcher avant de l'avoir terminé... mais j'en ressort avec l'impression de ne rien y avoir compris !



Pourtant, Joël a fait résonner en moi le manque d'émotion et le besoin de contrôle qui suivent un évènement traumatisant mais je ne suis pas certaine d'avoir saisi toute la portée de ce livre.



Il méritera donc une relecture un de ces jours !
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Judas

Pourquoi les romans d’Amos Oz me plaisent-ils autant ? C’est le deuxième que je lis et, après Une Histoire d’amour et de ténèbres, me voici cette fois sous le charme improbable de Shmuel Asch « âgé d’environ vingt-cinq ans, corpulent, barbu, timide, émotif, socialiste, asthmatique, cyclothymique, les épaules massives, un cou de taureau, des doigts courts et boudinés ». La suite du texte nous apprendra qu’il sent le talc pour bébé, pleure facilement et marche comme si sa tête courrait après ses jambes. C’est cet homme qui, à la suite d’un chagrin amoureux, l’hiver 1959 viendra, contre le gîte et un modeste salaire, faire la conversation à un vieillard érudit dans une rue isolée de Jérusalem, abandonnant ses études et renonçant à retrouver une famille à qui il ne semble plus rien avoir à dire. Dans une maison figée - sauf la première marche de son perron qui, elle, est branlante - Shmuel nourrit les poissons rouges dans une pièce remplie de livres, donne sa bouillie au vieil homme qui jacasse à n’en plus finir et croise sporadiquement la belle, la mystérieuse et distante Atalia.



Il y a chez les personnages de Judas, quelque chose qui rappelle les traits de plume un peu aigus de Joann Sfar, quelque chose de tendre, loufoque, une fragilité exacerbée par un physique meurtri et cahotant. Gershom Wald, le vieillard auquel Shmuel va tenir le crachoir est un géant brisé, sorte d’albatros à la moustache d’Einstein, tout en muscles et en béquilles. Désopilant tandem que celui qu’il constitue avec cette boule maladroite et hirsute de Shmuel. Autour d’eux plane l’odeur de violette que laisse Atalia dans son sillage.



Avant de se recroqueviller dans cette maison coquille au cœur de l’hiver, Shmuel écrivait un mémoire sur la figure de Judas. Sa thèse, souvent évoquée dans le roman, tourne autour de l’idée que Jésus n’a jamais voulu être autre chose que juif. Ce sont les évangélistes, ses apôtres épris de pouvoir et d’influence qui ont créé le christianisme. Jésus, lui, ne voulait que réformer les plus intégristes des pharisiens, ramener le judaïsme au message d’amour et de mansuétude qu’il contenait aussi. Judas se serait intégré à son groupe pour l’espionner d’abord puis, sous le charme de sa personnalité, aurait cru en lui au point de le voir comme le Messie. Par amour, par foi profonde, Judas aurait convaincu Jésus de se faire crucifier afin de prouver à la terre entière qu’il était fils de Dieu et qu’il pouvait ne pas succomber à la croix. Jésus l’aura cru plus qu’il n’aura cru en lui-même. Ce que des siècles d’Histoire ont entretenu comme figure du traître, comme fondement de la chrétienté, a pour origine, d’après Shmuel un coup de foudre amical. Le premier et seul chrétien à avoir profondément cru en Jésus, c’est Judas. Ou comment les meilleurs intentions du monde aboutissent à des tragédies. Pour des siècles et des siècles.



Comment vivre avec de pareilles idées en tête quand on est de cette religion qui a été accusée par des millions de plus puissants que vous d’avoir tué le Messie ? Comment peut-on se forger une existence lorsque son identité est pétrie des conséquences de cette histoire jusqu’à la récente Shoah ? Et ce n'est jamais fini.



Peut-être que ce qui me touche, c’est le contraste entre la vulnérabilité familière de ces personnages et la puissance de ce à quoi ils sont confrontés. Nous sommes à Jérusalem à peine dix ans après la proclamation de l’Etat d’Israël. Les hôtes de Shmuel, comme lui, sont juifs. Les traces laissées par la guerre d’indépendance, par les débats internes à la population juive aussi, sont les fantômes que la présence de Shmuel va se charger d’agiter un peu. Comme on secoue la poussière d’un vieux drap ou comme on entrouvre à peine une porte afin qu’un faible courant d’air fasse ressentir plus fort encore les odeurs enfermées depuis si longtemps.



Le désir presque adolescent de Shmuel pour la belle Atalia, la maladresse avec laquelle il se tache, se coupe, trébuche et tombe vont faire vibrer un peu de ces vieilles histoires enfouies sous des tombereaux de larmes, vont rouvrir un peu les plaies que portent des corps dont cela semble n’être que l’ultime fonction. Fallait-il croire à un Etat juif, en défendre la thèse ? Y avait-il une alternative aux massacres de la guerre d’indépendance ? Certains rêveurs croyaient que les deux peuples pouvaient « s’aimer à condition que soient dissipés les malentendus. » D’autres pensaient qu’aucun malentendu n’existait : Arabes comme Juifs tenaient à cette terre exclusivement car c’était la seule qu’ils avaient. Le drame réside en deux endroits : que cette dernière affirmation soit plus proche de la réalité que la première et que, si les rêveurs se taisent, tués de chagrin ou de balles, les réalistes en deviennent pétrifiés, désespérés. Hiver 1959, on en est là. (Et, quelques dizaines de milliers de cadavres, quelques décennies plus tard, rien n’a vraiment changé.)



Pourtant, le charme fragile de la fiction opère, la silhouette des cyprès, un chien errant dans les rues ou une lune qu’on va voir se lever, la respiration, même courte, les désirs, les idées, les mots et deux mains emmêlées.

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Les Terres du chacal

Ces nouvelles, ecrites entre 1962 -1964, publiees en 1965 et revues en 1975, sont le premier jet d'Amos Oz.



La plupart d'etre elles ont pour cadre le kibboutz, cette sorte de village communautaire et egalitaire ou Oz a passe une bonne partie de sa vie. Pour d'autres ce sera Tel Aviv et sa mer ou la Jerusalem balafree de murailles. La toute derniere tranche avec toutes les autres: c'est une reinterpretation de la legende biblique de Jephte (pour les studieux: Juges, chap. 10 et suivants).



Dans la plupart d'etre elles apparaissent des personnages desillusionnes, amers, aigris ou tout simplement durs. Des pionniers vieillis qui lamentent les changements insidieux des formes de vie, l'abandon de fait, non declare, des normes de conduite. L'un d'eux dira: "Nous sommes venus materialiser un songe et le resultat est que tout est cinema et tout est Hollywood. Eretz Israel est une prostituee." Un autre que "les actes incontroles entrainaient tout le pays a un festin d'opulente arrogance. La voix de la raison, la voix de la moderation, la voix du sens commun ne s'entendait ni ne pouvait s'entendre au milieu de toute cette griserie. Quelques dizaines d'intellectuels ne pouvaient maitriser l'ebriete des masses ni de ses exaltes et frivoles dirigeants, qui a cris de liesse menaient tous vers l'abime." Pour ces vieux pionniers, la population danse autour de ce qui est percu comme un feu de joie mais est en fait un feu impur, un feu etranger, profane et profanateur, obscene. Et qui ne peut amener que malheur. Comme le feu etranger que mirent sur l'autel Nadav et Avihou pendant la peregrination d'Israel dans le Sinai, auquel repondit bientot un feu divin qui les consuma. Perversion. Degradation. Degenerescence.



L'athmosphere des nouvelles est sombre. Crepusculaire meme. Elle met souvent mal a l'aise. Partout l'incomprehension regne. Et surtout la peur.



Peur de ce desert a qui on a arrache jour apres jour, avec acharnement sueur et fatigue quelques arpents, et qui se les reappropprie des qu'on a le dos tourne.



Peur de ces vents chauds qui brulent les plants d'arbres avant qu'ils aient pu grandir.



Peur de la nuit. Quand s'elevent et arrivent jusqu'aux habitations les cris dechirants des chacals. Les chacals sont omnipresents dans ces nouvelles. Leurs lamentations sont une "allegorie de la destruction des anciens regnes, et aussi de la folie et de la mort." "Un anneau de chacals tourne nuit apres nuit autour de l'ile de lumiere... des vagues et des vagues de faim se rompent sur les plages de l'ile illuminee. Mais des fois en l'un d'eux s'induit la folie et il fait irruption dans le fortin de l'ennemi les dents brillantes, devore des volailles, mord un cheval ou un boeuf jusqu'a ce que les vigiles le tuent d'une rafale precise a demi-distance." Les chacals sont les images de toutes les peurs peut-etre, des autres peurs que celle de la nuit.



Peur de l'autre. Peur des autres et peur des notres. Peur de l'image que me rend le miroir. Peur du changement. Peur de soi.



Et cette peur peut engendrer la cruaute.

Et cette peur engendre la haine. Haine des autres. Haine de soi.



Les terres du chacal nous mene en des contrees litteraires dures, cruelles, haineuses, inhospitalieres, ou des sentiments longtemps occultes, larves, eclatent soudainement en mille morceaux pour faire tout peter. Le lecteur est en terre de malaise. Malaise accentue par le fait que les nouvelles ont presque toutes une fin ouverte, elles n'ont pas de fin, rien n'est resolu. Quelle direction choisir? Il n'y a pas de direction. Le lecteur restera avec un drole de gout en bouche, le ventre retourne.



C'etait le premier jet d'Amos Oz. Il n'avait pas 25 ans. Mais il y est deja tout entier. On subodore ce qu'il deviendra. Parce qu'on y trouve deja son regard perspicace, sa clairvoyance, son humanisme, ce que seront ses engagements, ses combats, sa droiture, et surtout, oui, surtout, son ecriture, enivrante, envoutante.



Encore un livre qu'on ferait bien de reediter.







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Une histoire d'amour et de ténèbres

Rarement le titre d'un ouvrage ne m'a paru contenir autant le livre. Une histoire d'amour et de ténèbres : chacun de ces termes déploie en lui-même et dans sa relation avec les deux autres tout ce que contient ce roman autobiographique.



Je vous emmènerais bien comme le fait Amos Oz directement dans les méandres de l'appartement familial, à flanc de colline, dans le dédale obscur d'un couloir alourdi de livres. Chez son grand-oncle Yosef aussi, cet érudit qui pérore, pompeux et geignard dans un décorum de théâtre. Avec son père qui lit et pratique un nombre incroyable de langues mortes ou vivantes, ne supporte pas les silences et les comble de calembours étymologiques. Sa mère, mélancolique et rêveuse. Belle et fantaisiste. Sa mère qui se suicidera alors qu'Amos n'avait que douze ans. Mais il faudrait alors que j'ajoute à chaque anecdote, comme le fait Amos Oz, les dérivations, incursions, bifurcations qui contaminent l'ordre de la narration. Que je revienne en arrière en Europe, aux racines des familles maternelles et paternelles. Que je vous perde dans des discussions profondes ou hors sol tandis que la douleur s'écoule et qu'on n'en parle même pas. Que les attaques palestiniennes ripostent aussitôt à la résolution de l'ONU en faveur de l'Etat israélien. Que vous entendiez avec moi le contre-point de ce camarade du kibboutz qui met en perspective la réaction aussi monstrueuse qu'attendue des Palestiniens dont on a envahi les terres au nom d'une histoire de deux-mille ans et d'un génocide encore tout récent. Que la guerre et ses privations reviennent au-devant de la scène avec la lecture de milliers de romans, avec les premières amours d'Amos, ses batailles homériques sur le tapis de l'appartement, des boutons pour armées, lui en héros pour remettre le monde d'aplomb. Que je recopie l'intégralité du roman en somme.



L'histoire est racontée depuis 2001, époque où le narrateur est déjà plusieurs fois grand-père et peut, de manière sinon distancée, au moins apaisée interroger ses souvenirs, les hypothèses qu'il émet sur la chaine des causalités. On y gagne une peinture tout en détail de deux générations d'aînés meurtries par la guerre mais aussi habitées d'une soif de connaissance colossale. Amour et ténèbres car à l'impossible dire d'émotions empêchées se substitue le labyrinthique chemin des savoirs. En plusieurs langues, selon la taxinomie subtile d'exégètes que rien n'effraie. Dans un abyssal aveuglement pour la résonnance affective. Mais sans qu'il soit possible de dire qu'il aurait dû en être autrement.



Coupé dans son élan par la mort de sa mère, écoeuré par l'invraisemblable inadéquation d'une réponse livresque, Amos va tenter de s'inventer une troisième voie et de forcir ses muscles, de bronzer son teint blême dans le travail agricole d'un kibboutz. Il y finira écrivain, amoureux de la fille du bibliothécaire. On n'échappe ni à l'amour ni aux ténèbres.



On y gagne un vertigineux rapport à l'existence, un humour où le terre à terre taquine la métaphysique, une humilité radicale, riche pourtant d'une connaissance encyclopédique. On y gagne un roman dense, à la lecture parfois ardue mais toujours envoutante.



J'ai commencé cette lecture avant les attentats iniques du Hamas contre les populations civiles d'Israël. C'était étrange, à mesure que les jours passaient et que j'avançais dans ma lecture, de constater que ces histoires vieilles de plusieurs dizaines d'années n'avaient rien d'accompli et qu'elles résonnaient encore bien après qu'elles ont été couchées sur le papier. C'était doux-amer de lire le caractère inextricable de la situation déjà si bien dépeint dans ces pages. Peut-être la meilleure manière de bercer mon impuissance et d'embrasser dans un même hommage les victimes de ces inéluctables et intolérables conflits.

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Amos Oz (1939-2018) R.I.P

Mon père parlait 11 langues, mais il a fait mon éducation en Hébreu, j'étais alors un « petit chauvin déguisé en pacifiste». Un «nationaliste hypocrite et doucereux », un « fanatique », qui jouait à la guerre et s’enflammait contre les Anglais et les Arabes, j'étais, j'étais, comme une panthère dans la .....?......

Nuit
Cave
Tourmente
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