Ces nouvelles, ecrites entre 1962 -1964, publiees en 1965 et revues en 1975, sont le premier jet d'Amos Oz.
La plupart d'etre elles ont pour cadre le kibboutz, cette sorte de village communautaire et egalitaire ou Oz a passe une bonne partie de sa vie. Pour d'autres ce sera Tel Aviv et sa mer ou la Jerusalem balafree de murailles. La toute derniere tranche avec toutes les autres: c'est une reinterpretation de la legende biblique de Jephte (pour les studieux: Juges, chap. 10 et suivants).
Dans la plupart d'etre elles apparaissent des personnages desillusionnes, amers, aigris ou tout simplement durs. Des pionniers vieillis qui lamentent les changements insidieux des formes de vie, l'abandon de fait, non declare, des normes de conduite. L'un d'eux dira: "Nous sommes venus materialiser un songe et le resultat est que tout est cinema et tout est Hollywood. Eretz Israel est une prostituee." Un autre que "les actes incontroles entrainaient tout le pays a un festin d'opulente arrogance. La voix de la raison, la voix de la moderation, la voix du sens commun ne s'entendait ni ne pouvait s'entendre au milieu de toute cette griserie. Quelques dizaines d'intellectuels ne pouvaient maitriser l'ebriete des masses ni de ses exaltes et frivoles dirigeants, qui a cris de liesse menaient tous vers l'abime." Pour ces vieux pionniers, la population danse autour de ce qui est percu comme un feu de joie mais est en fait un feu impur, un feu etranger, profane et profanateur, obscene. Et qui ne peut amener que malheur. Comme le feu etranger que mirent sur l'autel Nadav et Avihou pendant la peregrination d'Israel dans le Sinai, auquel repondit bientot un feu divin qui les consuma. Perversion. Degradation. Degenerescence.
L'athmosphere des nouvelles est sombre. Crepusculaire meme. Elle met souvent mal a l'aise. Partout l'incomprehension regne. Et surtout la peur.
Peur de ce desert a qui on a arrache jour apres jour, avec acharnement sueur et fatigue quelques arpents, et qui se les reappropprie des qu'on a le dos tourne.
Peur de ces vents chauds qui brulent les plants d'arbres avant qu'ils aient pu grandir.
Peur de la nuit. Quand s'elevent et arrivent jusqu'aux habitations les cris dechirants des chacals. Les chacals sont omnipresents dans ces nouvelles. Leurs lamentations sont une "allegorie de la destruction des anciens regnes, et aussi de la folie et de la mort." "Un anneau de chacals tourne nuit apres nuit autour de l'ile de lumiere... des vagues et des vagues de faim se rompent sur les plages de l'ile illuminee. Mais des fois en l'un d'eux s'induit la folie et il fait irruption dans le fortin de l'ennemi les dents brillantes, devore des volailles, mord un cheval ou un boeuf jusqu'a ce que les vigiles le tuent d'une rafale precise a demi-distance." Les chacals sont les images de toutes les peurs peut-etre, des autres peurs que celle de la nuit.
Peur de l'autre. Peur des autres et peur des notres. Peur de l'image que me rend le miroir. Peur du changement. Peur de soi.
Et cette peur peut engendrer la cruaute.
Et cette peur engendre la haine. Haine des autres. Haine de soi.
Les terres du chacal nous mene en des contrees litteraires dures, cruelles, haineuses, inhospitalieres, ou des sentiments longtemps occultes, larves, eclatent soudainement en mille morceaux pour faire tout peter. Le lecteur est en terre de malaise. Malaise accentue par le fait que les nouvelles ont presque toutes une fin ouverte, elles n'ont pas de fin, rien n'est resolu. Quelle direction choisir? Il n'y a pas de direction. Le lecteur restera avec un drole de gout en bouche, le ventre retourne.
C'etait le premier jet d'Amos Oz. Il n'avait pas 25 ans. Mais il y est deja tout entier. On subodore ce qu'il deviendra. Parce qu'on y trouve deja son regard perspicace, sa clairvoyance, son humanisme, ce que seront ses engagements, ses combats, sa droiture, et surtout, oui, surtout, son ecriture, enivrante, envoutante.
Encore un livre qu'on ferait bien de reediter.
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1/10 Amos Oz : Ailleurs peut-être (France Culture - Adaptation radiophonique). Diffusion sur France Culture du 20 juin au 1er juillet 2016. Photographie : Arad. Amos Oz. 2004 © MICHA BAR AM / MAGNUM PHOTOS. La vie de tous les jours dans un kibboutz imaginaire des années 60, décrite par un des plus grands écrivains israéliens contemporains. Roman traduit de l’hébreu par Judith Kauffmann. Adaptation : Victoria Kaario. Réalisation : Jean-Matthieu Zahnd. Conseillère littéraire : Emmanuelle Chevrière. Ce feuilleton en dix épisodes est l’adaptation du premier roman d’Amos Oz, « Ailleurs peut-être », publié aux Éditions Gallimard. Amos Oz y dépeint la vie des membres d’un kibboutz imaginaire, celui de Metsoudat-Ram, dans les années soixante. Sur le fil d’une année, Ezra, Reouven, Bronka, Noga et les autres, s’aiment, se trompent, se quittent, font des enfants, légitimes ou pas. Et ces drames intimes qui jalonnent le récit n’entravent en rien la marche de la vie collective, rythmée tant par les célébrations communistes que par les rumeurs qui empoisonnent la vie des villageois.
1er épisode : Un village idyllique, Messieurs-dames
2ème épisode : Le charme de la banalité quotidienne
3ème épisode : Le Premier Mai
4ème épisode : Puissance du mal
5ème épisode : Deux femmes
6ème épisode : Soirées poétiques
7ème épisode : Un personnage diabolique
8ème épisode : Tu es à nous
9ème épisode : Idylle familiale
10ème épisode : Tableau final
Avec :
Violaine Schwartz, Quentin Baillot, Jean-Gabriel Nordmann, Evelyne Guimmara, Mohamed Rouabhi, Christine Culerier, Rebecca Stella, Nicolas Lê Quang et bien d’autres
Bruitage : Sophie Bissantz
Equipe de réalisation : Bernard Lagnel et Anil Bhosle
Assistante de réalisation : Julie Gainet
Source : France Culture
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