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Citations de Antonio Tabucchi (283)


Une nuit des premiers jours de décembre 1827, dans la belle ville de Pise, via della Faggiola, dormant entre deux matelas pour se protéger du froid qui étreignait la ville, Giacomo Leopardi, poète et lunatique, fit un rêve. Il rêva qu’il se trouvait dans un désert, et qu’il était berger. Mais au lieu d’avoir un troupeau qui le suivait, il était commodément assis dans une calèche traînée par quatre brebis d’une éclatante blancheur, et ces quatre brebis étaient son troupeau.
Le désert, et les collines qui le bordaient, étaient d’un très fin sable d’argent qui brillait comme la lumière des lucioles. C’était la nuit mais il ne faisait pas froid, au contraire, cela semblait une belle nuit d’arrière-printemps, de sorte que Leopardi enleva la cape dont il était couvert et la posa sur l’accoudoir de la calèche.
Où m’emmenez-vous, mes chères petites brebis ? demanda-t-il.
Nous t’emmenons en promenade, répondirent les quatre brebis, nous sommes des petites brebis vagabondes [...]
Ils arrivèrent au fond du désert et contournèrent la colline, au pied de laquelle se trouvait une boutique. C’était une belle pâtisserie tout en cristal, qui étincelait d’une lumière d’argent. Léopardi regarda la vitrine, indécis quant à son choix. Au premier rang, il y avait les tartes, de toutes les couleurs et de toutes les dimensions : tartes vertes à la pistache, tartes vermeilles à la framboise, tartes jaunes au citron, tartes roses à la fraise. Puis il y avait les massepains, aux formes drôles et appétissantes : modelés en pomme et en orange, modelés en cerise, ou en forme d’animaux. Enfin venaient les sabayons, crémeux et denses, avec une amande par-dessus. Leopardi appela le pâtissier et acheta trois gâteaux : une tourte aux fraises, un massepain et un sabayon. Le pâtissier, un petit homme tout en argent, avec des cheveux d’une blancheur éclatante et des yeux bleus, lui donna les gâteaux et comme cadeau une boîte de chocolats. Leopardi remonta dans la calèche, et tandis que les brebis se mettaient de nouveau en chemin, il commença de déguster les choses exquises qu’il avait achetées. La route avait pris de la pente, à présent elle grimpait sur la colline. Et, comme c’était étrange, ce terrain-là aussi brillait, il était translucide et envoyait une lueur d’argent. Les brebis s’arrêtèrent devant une petite maison qui étincelait dans la nuit. Leopardi, comprenant qu’il était arrivé, descendit à terre, il prit la boîte de chocolats et entra dans la maison. A l’intérieur une jeune fille était assise sur une chaise brodait au tambour.
Avance, je t’attendais, dit la jeune fille. Elle se tourna, lui sourit,et Leopardi la reconnut. C’était Silvia. Sauf qu’à présent elle était tout en argent, elle avait les mêmes apparences qu’autrefois, mais elle était en argent.
Silvia, chère Silvia, dit Leopardi en lui prenant les mains, comme il est doux de te revoir, mais pourquoi es-tu tout en argent ?
Parce que je suis une sélénite, répondit Silvia, quand on meurt on arrive sur la lune et on devient ainsi.
Mais pourquoi suis-je ici moi aussi, demanda Leopardi, je suis peut-être mort ?
Celui qui est là n’est pas toi, dit Silvia, c’est seulement ton image, toi tu es encore sur la terre.
Et depuis ici on peut voir la terre ?, demanda Leopardi.
Silvia le conduisit à une fenêtre où se trouvait une lunette. Leopardi approcha l’œil de la lentille et vit aussitôt un palais. Il le reconnut : c’était son palais. Une fenêtre était encore éclairée, Leopardi regarda à l’intérieur et vit son père, en chemise de nuit, le pot de chambre à la main, qui s’en allait au lit. Il eut un coup de cœur et déplaça la lunette. Il vit une tour penchée sur un grand pré et, tout près, une rue tortueuse avec un immeuble où il y avait une faible lumière. Il s’efforça de regarder à l’intérieur de la fenêtre et vit une chambre modeste, avec une commode et une table sur laquelle était posé un cahier à côté duquel se consumait un bout de chandelle. Dans le lit il se vit lui-même, qui dormait entre deux matelas.
Je suis mort ?, demanda-t-il à Silvia.
Non, dit Silvia, tu es seulement en train de dormir, et tu rêves à la lune.
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[...] bref ce n'est pas à proprement parler de la nostalgie, c'est comme une vague inquiétude qui devient aussi une forme de peur, mélangée toutefois à un sens de l'absurde, et dans ce sens de l'absurde il y a une intense terreur qui m'anéantit, comme s'il se produisait dans mon corps une crise qui allait le désintégrer, [...]
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Le fait d'avoir revécu la scène traumatique avec le surcroît de conscience dû à l'analyse lui donna l'impression d'être un homme complètement différent. "Vous êtes guéri", lui dit sèchement le vieux sage en lui serrant la main, "passez payer auprès de ma secrétaire".
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"Pourquoi cherchez-vous à en savoir plus sur lui?", s'est-il enquis.
"Parce qu'il est mort et que je suis vivant", a répondu Spino.
Il ne sait pas très bien pourquoi il a dit cela, il lui semblait que c'était la seule réponse plausible, parce que en réalité il n'avait aucune autre réponse.
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Spino a compris que personne ne s'intéressait à ce mort auquel il pensait sans cesse, ce n'était qu'une toute petite mort dans le ventre énorme du monde, un cadavre insignifiant, sans nom et sans histoire, un rebut de l'architecture des choses, un résidu. Et tandis qu'il comprenait cela, le bruit de cette salle moderne et plein de machines s'est arrêté, comme si sa compréhension des choses avait fait basculer un interrupteur qui aurait suspendu les voix et les gestes.
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La mort est le tournant de la route, et mourir c'est seulement ne pas être vu. (p.85).
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Borges et Dürrenmatt soupçonnèrent la mélancolie du Minotaure, mais peut-être ne leur fut-il pas donné de comprendre vraiment à fond sa maladie, le trajet du sang dans les veines et les artères, les marées impondérables de la sérotonine. C’est un état que seuls peuvent comprendre quelques malchanceux privilégiés, ceux qui, comme l’écrivit un poète, connaissent le mal de tête et d’univers.
Le premier à se rendre compte de ces terribles céphalées fut Dédale. Il savait qu’en brisant l’espace en un réseau de mille angles droits comme s’il était organisé par les yeux d’une mouche, on rend vaines les honnêtes intentions d’Euclide et on réduit sa patiente géométrie à un fractal insensé, qui terrorise. En déchiffrant cet espace, le nerf optique, avec la scansion duquel Euclide était parvenu à se mettre en harmonie, envoie au cortex cérébral des messages conflictuels, dont chacun nie le précédent. Un angle conduit à la liberté, un autre à la prison éternelle : mais ils sont égaux et complémentaires, ce sont des siamois de pierre moqueurs pour lesquels tout goniomètre est vain.
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- Mon garçon, soupira-t-il, vous m'étonnez, oui, depuis votre première visite vous n'avez cessé de m'étonner, vous écrivez dans un journal à grande diffusion et vous ne semblez pas savoir ce que signifie l'opinion publique, c'est regrettable, essayez de me suivre un instant dans mon raisonnement : si Torres, après avoir fait sa déposition aux autorités qui mènent l'enquête, répété tout dans votre journal, il peut être tranquille, car il aura toute l'opinion publique avec lui, et un conducteur distrait, par exemple, y réfléchirait à deux fois avant d'écraser sous sa voiture un type qui a les yeux de l'opinion publique braqués sur lui, vous comprenez le concept ?
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[...] Sachez seulement que le sadique en question est un jeune garçon, fils d'un nouveau maître de la province venu de rien et qui s'est enrichi sous les récents gouvernements, il s'agit d'une bourgeoisie de la pire catégorie, née au Portugal dans les vingt dernières années, faite d'argent, d'inculture et de beaucoup d'arrogance.
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Je préfère l'angoisse à une paix pourrissante, affirma-t-il, entre les deux je préfère l'angoisse.
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Cette lune est la lune des poètes, dit-il, des poètes et des conteurs, c'est une nuit rêvée pour écouter des histoires, et aussi pour en raconter, vous n'avez pas envie d'écouter une histoire ?
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Peut-être cherche-t-il un passé, une réponse à quelque chose qui autrefois lui a échappé. D'une certaine façon il se cherche lui-même.
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En Inde, beaucoup de gens se perdent, c'est un pays qui est fait pour ça.
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La letteratura - ha detto un poeta - è la dimostrazione che la vita non basta. Perché la letteratura è una forma di conoscenza in più. E come il viaggio : è una forma di conoscenza in più, tante forme di conoscenza in più. Molte cose ci possono bastare, e devono bastare, nella vita : l'amore, il lavoro, i soldi. Ma la voglia di conoscere non basta mai, credo. Se uno ha voglia di conoscere, almeno.
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Il les a regardés dans les yeux avec insistance, comme le font parfois les prêtres. « Pourquoi vous intéressez-vous à lui ? », a-t-il demandé.
« Parce qu’il est mort et que je suis vivant », a répondu Spino.
Il ne sait pas très bien pourquoi il a dit cela, il lui a semblé que c’était la seule réponse possible, parce que en réalité il n’avait aucune autre réponse. Le prêtre a alors entrelacé ses doigts sur la table, et en allongeant ses bras sa tunique blanche a laissé voir ses poignets, également pâles, et ses doigts ont joué un instant les uns contre les autres.
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Elle pense à quel point l'écriture est mensongère, son arrogance implacable faite de mots définis, de verbes, d'adjectifs qui emprisonnent les choses, qui les matérialisent dans une fixité vitreuse, telle une libellule prise dans la pierre depuis des siècles, qui garde encore l'apparence d'une libellule, mais qui n'est plus une libellule. (p. 83)
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Dans les bras mous de cet homme qui n'avaient pas la force de la faire tourner, elle avait eu la sensation de subir l'étreinte d'un poulpe sorti de l'eau et elle en avait rêvé deux nuits de suite, se réveillant en nage.
"Puis-je espérer vous revoir?" lui avait demandé le poulpe.
Et Asmara lui avait répondu qu'il pouvait toujours espérer, s'il voulait: l'espoir, c'est gratuit.
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Journal de voyage très personnel mais un MUST pour une bouquinerie de voyage comme la mienne, pour tout voyageur (ou presque) qui se respecte et, évidemment, pour tout admirateur de la plume de Tabucchi.
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... J'écrivais des poèmes et des lettres à ma fiancée. - Vous l'avez beaucoup aimée, observai-je. - Elle a été le petit train mécanique de mon coeur, répondit-il. (...) Regardez la lune, c'est la même lune que je contemplais avec ma fiancée quand nous allions nous promener au "Poço do Bispo", c'est curieux, n'est-ce pas ?
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« …mais toi, Pereira, quand tu publies la page culturelle, tu dois me la faire voir avant, voilà ce que j'exige. Mais je vous l'avais dit qu'il s'agissait d'un récit patriotique, insista Pereira, et vous m'avez conforté en m'assurant qu'en ce moment, on avait besoin de patriotisme. Le directeur alluma une cigarette et se gratta la tête. De patriotisme portugais, dit-il, je ne sais pas si tu me suis, Pereira, de patriotisme portugais, toi tu ne fais rien d'autre que publier des récits français, et les Français ne nous sont pas sympathiques, je ne sais pas si tu me suis... »
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